Aujourd'hui, Vladimir Poutine vient de signer la loi portant intégration dans la Fédération de Russie des quatre nouveaux territoires, que sont la République de Donetsk, la République de Lougansk et les régions de Kherson et de Zaporojie. A ce jour, toute une partie des frontières étatiques russes entre dans une zone grise, puisque ces territoires sont contestés, en partie désormais "occupés" et l'on attend une intervention du Président russe sur l'avenir (et le changement de statut) de l'opération militaire. Or, la question du soutien populaire est ici très importante. Revenons donc sur les éléments d'analyse sociologique de cette Ô combien délicate question.
L'on regrettera tout d'abord qu'à ce jour, le site du Centre d'analyse sociologique Wciom ne donne plus de données, quant au rating des institutions et des politiques à compter du 25 septembre. En revanche, des analyses plus complètes et thématiques sur les referendums sont disponibles : 77% estiment que les référendums se sont déroulés normalement, sans violation sérieuse, et 75% sont favorables à l'entrée de ces territoires en Russie. Autrement dit, la légitimité intérieure de ce processus est établie.
Dans une interview du 27 septembre, le directeur de cet institut revient sur certains éléments intéressants :
"Valery Valeryevich, près d'une semaine s'est écoulée depuis que le président a annoncé la mobilisation partielle. Comment les Russes ont-ils réagi ?
- Ils étaient tendus, méfiants. Si nous savons que la majorité des Russes soutiennent l'opération militaire spéciale et ont déjà une opinion formée sur le sujet, alors la question de la mobilisation est nouvelle et pas très claire, d'autant plus que la dernière mobilisation a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ni la génération actuelle ni les deux générations précédentes n'ont connu cela. Comme, d'ailleurs, et les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires, qui sont appelés à la mettre en œuvre. Il y a aussi beaucoup de peurs, d'erreurs et de maladresses. (...) Néanmoins, la majorité des Russes étaient favorables à la décision du président. Elle est dure cette décision, mais nécessaire. Les militaires en parlent depuis longtemps, mais jusqu'à récemment, les autorités ont essayé de l'éviter. Nous n'en avons plus les moyens, nous n'avons pas le droit de perdre en Ukraine, un tel scénario serait le pire de tous."
Quant au soutien apporté, une étude sociologique intéressante marque la frontière de l'âge : les plus jeunes, la génération TikTok et Instagram décérébrée, fuient la réalité, quand les plus de 44 ans comprennent mieux les enjeux et soutiennent donc la décision.
"La mobilisation partielle annoncée par le président Vladimir Poutine en Russie est soutenue par 64% des citoyens, 31% des personnes interrogées ne la soutiennent pas et 4% ont du mal à répondre. Cela découle des résultats d'une enquête menée par le groupe de recherche Russian Field. 1610 répondants y ont participé du 29 septembre au 1er octobre.
Les auteurs de l'enquête notent la différence d'attitude à l'égard de la mobilisation entre les jeunes et les représentants des générations plus âgées : chez les jeunes de 18-26 ans, plus de 50% s'opposent à la mobilisation partielle, tandis que plus de 70% des sondés de plus de 44 ans soutiennent cette décision."
L'on voit avec cette fracture, à quel l'infantilisme a été parfaitement introduit en Russie grâce aux réformes successives et destructives de l'enseignement, l'addiction aux réseaux sociaux, l'acculturation en cours de généralisation et l'implantation du culte individualiste. Car désormais, le plus important dans une société occidentalisée, c'est Moi et mon plaisir. Et il est criminel de toucher à mon plaisir. Il n'y a plus d'obligation envers la société, il n'y a que des caprices, devant être garantis par des droits. Cette culbute idéologique est présente dans tous les pays occidentaux, elle l'est aussi en Russie. Mais dans les circonstances actuelles, elle est en Russie beaucoup plus dangereuse.
Parallèlement à cela, une raison intéressante de refus est majoritairement avancée, celle d'une armée professionnelle. Et il est vrai que ces derniers temps, l'on voit le mal qui a été fait à l'armée par sa "désoviétisation" depuis 30 ans, c'est-à-dire par sa réduction en hommes, par sa contractualisation et l'idée que la technologie est plus importante que les soldats. Comme l'expérience le montre, il est certes possible de tirer des missiles à droite et à gauche, mais cela ne change pas stratégiquement le cours de la guerre, s'il n'y a pas d'hommes pour tenir le terrain. Hier, le ministre russe de la Défense a annoncé le recrutement de 200.000 personnes dans le cadre de la mobilisation partielle, qui sont en cours de formation.
Je voudrais citer un extrait de la publication d'un correspondant de guerre, Kots, qui s'interroge aussi sur les raisons du recul de l'armée russe depuis l'offensive ukrainienne de Kharkov :
"Dans beaucoup de nos secteurs, disons, la fatigue s'est installée après une longue période offensive, au cours de laquelle de vastes territoires ont été libérés. Mais il n'y a plus de force pour les tenir.
Pourquoi donc? Parce qu'il n'y a pas assez d'hommes. Bien que, bien sûr, dans les «départements de direction», tout avait l'air différent. Ces gifles étaient nécessaires pour que tout le monde comprenne comment ça se passe vraiment. Après cela, ils ont annoncé une mobilisation partielle.
L'ennemi, d'autre part, amène des réserves préparées au combat, possède un avantage à la fois en main-d'œuvre et en renseignement. Le temps qui a passé en retraite et sur la défensive, Kiev l'a utilisé pour préparer de nouvelles unités prêtes au combat.
Vous pouvez saupoudrer des cendres sur votre tête et vous arracher les poils du torse en criant "Tout est perdu !", mais maintenant, nous devons faire la même chose - préparer des gens, pour les introduire dans les unités évidées. Résoudre les problèmes de collaboration et de communication. Assurer les arrières.
C'est parti maintenant de Kremennaya à Svatovo. Je ne vois pas non plus de panique, de haine. Les hommes se préparent à de lourdes batailles pour le territoire de la Fédération de Russie. Que nous devrons reconquérir, lorsque la crise opérationnelle de l'opération spéciale militaire sera surmontée."
Le soutien de la population pour l'intégration des nouveaux territoires est réel et sensible au quotidien, ici, au-delà des chiffres annoncés. Les gens comprennent, que dans ces territoires vivent "les siens" et qu'il faut les protéger - et le meilleur moyen de les protéger est d'intégrer ces territoires à la Russie. Le soutien est également fort envers la décision de mettre en œuvre cette opération militaire (70-73%), car l'idée est bien celle de la défense du territoire. Mais les gens ont du mal à passer de l'abstrait (la défense de la Patrie, des siens) au concret - envoyer son fils ou son mari se battre, y aller soi-même. La société actuelle n'est plus une société holiste et le patriotisme, même en Russie, n'est pas celui de la Seconde Guerre mondiale, ni dans les élites, ni dans la population. Ce changement de paradigme va être un élément de poids dans la poursuite des opérations militaires qui, à en croire par le jusqu'au-boutisme atlantiste, n'est pas prêt, malheureusement, de se terminer rapidement.
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