Auteur et Réalisateur ayant payé le prix fort de son attachement au cinéma populaire auprès de la critique institutionnelle, Henri Verneuil est pourtant l’auteur d’une oeuvre comptant nombre de créations majeures à réhabiliter. Et notamment I… comme Icare sorti en 1979. Un brillant thriller politique qui reste encore aujourd’hui un modèle de fabrication cinématographique aux différents degrés de lecture.
Grâce aux précédents succès de ses différentes collaborations avec son acteur fétiche Jean Paul Belmondo, notamment Peur sur la ville en 1974, le réalisateur Henri Verneuil parvient à réunir les fonds nécessaires à la mise en place de sa propre société de production V Films. Cette dernière va lui permettre de mettre en chantier I… comme Icare, un projet qui lui tient particulièrement à cœur, écrit sur plusieurs années avec le romancier et scénariste Didier Decoin, lauréat du prix Goncourt en 1977 pour John l’enfer. Le cinéaste retrouve son équipe fétiche. Le décorateur Jacques Saulnier célèbre collaborateur d’Alain Resnais, le monteur Henri Lanoë (Mr. Klein) et le compositeur Ennio Morricone, tandis que Jean-Louis Picavet, chef opérateur de télévision, s’occupe de la lumière. Verneuil se tourne vers Yves Montand pour le rôle du procureur Henri Volney. Le comédien ira jusqu’à co-produire le film sans être crédité. Ce dernier est rejoint par Michel Albertini, Roland Amstutz, Jean-Pierre Bagot, Georges Beller, Didier Sauvegrain et Etienne Dirand. Le tournage à lieu a Cergy-Pontoise au printemps 1979.
I… comme Icare prend place dans un état fictif où le président Marc Jarry (Gabriel Cattand) est victime d’un assassinat en plein jour. La commission d’enquête menée par Frédéric Heiniger (Michel Etcheverry) en conclut que Karl-Erich Daslow (Didier Sauvegrain) est l’unique assassin. Une conclusion qui n’est pas du goût de Henri Volney chargé de prolonger l’enquête avec ses collaborateurs. Du propre aveu du réalisateur, l’assassinat de Marc Jarry est prétexte à évoquer celui du président américain John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas au Texas. Anticipant de 12 ans le JFK d’Oliver Stone, Verneuil énumère à l’écran les différentes thèses controversées des enquêteurs officieux et autres partisans de la théorie du complot : présence de plusieurs tueurs, d’un complice au parapluie en plein soleil, trucage photographique concernant le présumé tueur, assassinat de plusieurs témoins, film amateur comme pièce à conviction, complot situé dans les hautes sphères de l’état… . Autant d’éléments désormais connus d’un large public que le réalisateur présente avec conviction allant jusqu’à faire de Daslow un anagramme de Oswald, l’assassin présumé du président américain. Cependant à l’instar du futur chef d’œuvre de Stone, Verneuil dépasse le cadre sensationnaliste de son sujet pour mener une réflexion plus profonde sur les troubles socio-politiques de son époque et leurs répercutions dans l’histoire. Tout comme Le président, I… comme Icare traduit l’affection du cinéaste pour les récits allégoriques autour de périodes charnières propices à d’importants changements sociétaux.
Verneuil fait de son personnage principal une figure juridique exemplaire à la recherche de la vérité, ici le procureur Henri Volney brillamment interprété par Yves Montand. Le choix du comédien n’est pas anodin dans la mesure où ce dernier a souvent incarné des personnages directement impliqués dans des conflits politiques, qu’ils soient en arrière plan comme dans Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot, ou plus frontal comme ses diverses collaborations avec Costa-Gavras. À travers une idée tout simple, des dessins sur un carnet, Verneuil nous fait comprendre par l’image que Volney doit se fier à son unique intuition et au bluff pour déjouer les conclusions du rapport d’enquête lors d’une émission de télévision. Par cet exemple, Verneuil tend un miroir humaniste au spectateur et l’incite, à l’instar de son protagoniste, à douter et prendre confiance en ses convictions quant à la recherche de la vérité. Ce qui n’était au départ qu’une conviction personnelle de Volney sur la possibilité d’un complot visant à assassiner le président finit par reposer sur des preuves concrètes. Metteur en scène sous-estimé par ses pairs et décrié par la Nouvelle Vague, notamment Jean-Luc Godard, Henri Verneuil démontre pourtant à nouveau son subtil génie dans la réalisation. Ayant très tôt dû adapter sa mise en scène à l’égo des vedettes qu’il dirigeait, Fernandel en tête, le réalisateur a déjoué ces contraintes en articulant son découpage par une mise en valeur architecturale des rapports de force entre les différents protagonistes peuplant ses récits. Tantôt pour créer un contraste ironique voir sarcastique comme dans l’introduction d’Un singe en hiver où Albert Quentin (Jean Gabin) traverse saoul une ville en plein bombardement en arrière plan du cadre, procédé repris à l’identique dans Week-end à Zuydcoote mais avec des soldats. Tantôt pour traduire l’oppression d’individus face à un système comme la scène du parlement du Président ou les différents intérieurs de Mélodie en sous sol.
Une approche de la mise en scène héritée de pionniers comme Marcel L’Herbier et Fritz Lang qui aura connu sa dernière grande vague dans les années 60 et 70 à travers des formalistes italiens comme Michelangelo Antonioni et des réalisateurs américains comme Sidney Lumet. Aujourd’hui David Fincher et Michael Mann sont parmi les derniers représentants de cette approche subtile et complexe à analyser du fait de son apparente évidence. I… comme Icare fait la part belle à des personnages isolés dans des rues désertes, cernés par des immeubles à l’architecture futuriste ou par les documents croulants sur leurs bureaux les empêchant d’avoir une vie en dehors de leur travail. Volney étant souvent cadré au centre de l’image ou en arrière plan lors des différentes avancées majeures de l’enquête que ce soit sur le lieu du crime ou dans son bureau surplombant la ville. À travers le débat télévisuel apparait une autre thématique du film : le décryptage des images. Alors que Volney apparait quasi intégralement à travers la petite lucarne télévisuelle, le cinéaste joue sur le contraste sociétal en arrière plan via le public pourtant situé dans le même espace que lui. À partir de cette donnée Verneuil fait de son film une œuvre expérimentale dans laquelle l’utilisation de données photographiques et vidéos dépassent le cadre de l’enquête pour toucher un point plus théorique. I… comme Icare extrapole visuellement les réflexions du Blow Up d’Antonioni : la nécessité d’examiner une image mal interprétée pour trouver la vérité. Tout comme les enquêteurs, littéralement submergés d’images dans leurs bureaux représentant leurs pensées obnubilées par l’affaire, le spectateur se retrouve à faire la même chose dans son esprit.
La volonté du réalisateur d’interpeller ce dernier, doublé de sa fascination pour les différentes strates de la société que l’on retrouve tout au long de sa filmographie, trouve son apogée lors de la scène d’expérience de soumission à l’autorité tiré des travaux de Stanley Milgram. Sous ces apparences didactiques cette scène, véritable film dans film, tient à mettre en garde Volney comme le spectateur sur son propre auto conditionnement, via un jeu de miroir subtil dans lequel le procureur et le patient envoyant des décharges électriques ne font qu’un. Un élément qui amène le récit vers une dimension universelle, favorisée par la situation de l’histoire dans un état fictif. Tous ses éléments finissent par appuyer l’importance d’ I… comme Icare dans la filmographie de son auteur et dans le paysage cinématographique de l’époque. La résolution du long métrage qui donne tout son sens au titre appuie la démarche universelle d’Henri Verneuil, son pessimisme sur le devenir des sociétés et l’humanisme brisé que l’on retrouve fréquemment dans son œuvre. Une fin aussi violente que brutale dont la froideur décuplée par l’utilisation du ralenti, reste gravée dans la mémoire bien après la projection. Sorti le 19 décembre 1979, I… comme Icare attirera 1 829 220 spectateurs en France. Le film reçu le Grand prix du cinéma français en 1980 et fut nommé plusieurs fois aux César, dont celui du meilleur film mais repartit sans rien. Verneuil poursuivit dans la même veine avec le tout aussi mésestimé Mille milliards de dollars sur l’arrivée de la mondialisation.
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