La crise des relations franco-allemandes, qui éclate au grand jour, a cheminé souterrainement pendant longtemps. Elle a en réalité commencé lorsqu’Angela Merkel a décidé unilatéralement de mettre fin à l’industrie nucléaire civile européenne, au printemps 2011.
Les années qui suivent ont été essentiellement occupées à contenir le mécontentement des marchés vis-à-vis de la dette française et à maîtriser la crise grecque. En réalité, de 2012 à 2017, Paris a fait “profil bas”. Les médias allemands appelaient, à peine méchamment, François Hollande, le “vice-chancelier” d’Angela Merkel.
Lorsqu’Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée, il a pensé être capable de relancer “le couple”. En vain, dans un premier temps. Puis est venu le COVID et la mise en place d’un “emprunt européen”. Emmanuel Macron croyait avoir gagné son amorce de budget européen. En fait, c’était une victoire à la Pyrrhus.
La guerre d’Ukraine comme révélateur de désaccords profonds.
Angela Merkel s’en est allée. Une coalition tripartite s’est installée à Berlin. Les sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux y constituent un attelage hétéroclite et structurellement faible. Mais l’Allemagne est encore suffisamment riche pour qu’on ne lui dise pas ce qu’elle a à faire. Et vous connaissez notre président. C’est plus fort que lui, il ne peut pas s’empêcher de faire la leçon….
+ la France est très endettée. Et elle aimerait bien un nouveau fonds européen pour pallier la montée des prix de l’énergie causée par les sanctions anti-russes. Se lève Christian Lindner, qui dit: pas question. La France doit remettre ses affaires en ordre.
+ La France a une industrie nucléaire civile qui peut être sérieusement relancée, malgré les interruptions pour raisons politiques de la période 2012-2017. Aussi, quand Berlin demande une rallonge du gazoduc franco-espagnol MiCat vers l’Allemagne, Paris fait la sourde oreille. On aimerait mieux que les Allemands nous achètent plus de notre énergie nucléaire – en réalité financent sa rénovation. Se lève alors Robert Habeck, le ministre Vert de l’économie, qui dit: pas question.
+ Paris entretient depuis des années la chimère d’une défense européenne indépendante de l’OTAN. Survient la Guerre d’Ukraine. Olaf Scholz est soumis à une énorme pression américaine pour couper ses liens avec la Russie et pour s’intégrer encore beaucoup plus à l’OTAN. Du coup, le chancelier social-démocrate a décidé de créer un fonds de 100 milliards pour développer l’appareil de défense allemand. N’entrons pas ici dans le débat de savoir si ces 100 milliards sont beaucoup plus qu’un moyen d’acheter massivement du matériel militaire américain. Constatons simplement que le discours d’Olaf Scholz à Prague, le 29 août dernier avait sonné le glas d’une entente franco-allemande spécifique en matière de défense!
Pour reprendre le commentaire que m’en a donné un initié, bon connaisseur de ces questions:
“Ce discours dissipe toutes les illusions que Paris pouvait encore avoir:
1.L’OTAN demeure l’horizon indépassable de l’Allemagne : rien ne nouveau certes, mais la souveraineté européenne appelée de ses vœux par le Chancelier est d’emblée limitée tant dans ses actions que dans ses capacités ; l’ombre portée des Etats-Unis demeure prégnante (…)
2. Les propositions de réforme des institutions européennes dessinent en creux les contours déjà bien balisés par les précédents discours allemands, d’une CED actualisée, c’est-à-dire d’une communauté européenne de défense sous tutelle de l’OTAN : l’Europe de la défense allemande, est à la fois soumise (aux Etats-Unis) et fédérale (conseil des ministres de la Défense, abandon du droit de veto, intégration des efforts d’acquisition et d’exportation des systèmes de défense, division du travail). Une OTAN européenne inféodée à l’OTAN, elle-même inféodée aux Etats-Unis in fine, en quelque sorte. C’est d’ailleurs la définition partagée par tous les pays européens du pilier européen de l’OTAN ;
3. Les grands absents sont naturellement les thèmes français : la dissuasion nucléaire française n’est pas citée une seule fois, comme d’ailleurs le rôle de la dissuasion au sein de l’Europe. Or l’Alliance Atlantique demeure une alliance nucléaire : M. Scholz le sait bien, puisque la poursuite de mission nucléaire de l’OTAN a justifié le choix du F-35 pour remplacer le Tornado. Enfin, cette absence contribue à marginaliser le fait nucléaire, alors même qu’il est évident que le conflit ukrainien a démontré la pertinence du concept de dissuasion en limitant au conventionnel la guerre actuelle.
Non moins significatif, aucun des programmes d’armement entre la France et l’Allemagne n’est mentionné (avion d’armes et char de combat), comme sont absentes de son discours les abandons allemands de coopération avec la France : programme de modernisation du Tigre (Mast-F), MAWS (avion de patrouille maritime) sans ne rien dire de la coopération spatiale dans le militaire.”
Dans le domaine des relations franco-allemandes comme dans les autres, la décision de Vladimir Poutine d’intervenir en Ukraine le 24 février 2022 agit comme un retour au principe de réalité.
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