Cette semaine devrait être marquée par l'utilisation (mercredi) du 49-3 pour faire adopter le budget 2023 à l'Assemblée Nationale. Ce recours au 49-3 était prévu dès cet été, seule la date n'était pas arrêtée. Pour la NUPES, le RN, et en partie LR, cette crispation du gouvernement peut apparaître comme une victoire. Il n'en reste pas moins que les nouveaux députés, qu'ils soient de la NUPES ou du RN, n'ont guère bouleversé les règles du jeu imposées par la caste, et ont joué sagement dans la cour qui leur a été fixée par la technostructure qui forme le gouvernement profond de ce pays.
Le gouvernement devrait recourir mercredi au 49-3, contraint par le calendrier social. L’examen du budget en première lecture doit se terminer mercredi soir, et Emmanuel Macron ne veut pas aviver les tensions autour de son passage en force : après avoir impatiemment attendu la manifestation de dimanche organisée par Mélenchon, l’impatience grandit, mais le Président a dû renoncer au 49-3 avant la grève de mardi… La peur domine dans les couloirs de l’Elysée, comme je l’évoquais la semaine dernière.
8 milliards de dépenses nouvelles contre l’avis du gouvernement
Depuis le début du débat, le gouvernement a encaissé de nombreux revers. Certains ont compté que, contre l’avis du gouvernement, les divers groupes, MODEM compris, avaient adopté des amendements créant 8 milliards de dépenses nouvelles. Le 49-3 devrait permettre d’y mettre bon ordre, même si, dans un effort factice de co-construction, le gouvernement conservera quelques-uns des amendements imposés par l’opposition.
Mais le plus symbolique reste à venir : l’Assemblée doit débattre d’un retour de l’ISF et de l’abrogation de l’IFI, autant de sujets épineux qui peuvent se prêter à des votes d’autant plus inconsidérés que le recours au 49-3 est annoncé, et qu’il ouvre la porte à toutes les démagogies possibles.
Bref, lorsque le débat “normal” sera clos, mercredi, les députés, forts des plus de 3.000 amendements déposés, n’auront pris le temps que de discuter des “mesures nouvelles”, sans s’attarder sur les dépenses courantes.
Une logique parlementariste obsolète
Au jeu traditionnel, l’opposition a gagné, et les nouveaux députés, qu’ils soient de la NUPES ou du RN, peuvent se targuer d’avoir enfermé le gouvernement dans un angle dès la première session parlementaire. Sur le papier donc, bravo pour eux !
Mais c’est précisément ce qu’on peut leur reprocher… Ils ont joué sur le terrain choisi par leurs adversaires, et s’ils ont marqué un but, ils demeurent enfermés dans l’espace qui leur est assigné. Au final, le gouvernement dégainera le 49-3, et tout rentrera dans l’ordre.
Au fond, la NUPES et le RN acceptent d’être les idiots utiles d’un cadre institutionnel dont ils devraient être les premiers contestataires. La France Insoumise prône d’ailleurs ouvertement le passage à une sixième République, et le RN est l’éternelle victime d’un système institutionnel qu’il aurait tout intérêt à miner.
Et, dans ce cadre institutionnel, l’obsession d’imposer chaque année, à chaque budget, des mesures fiscales nouvelles, sans jamais surveiller l’utilisation du denier public par l’administration est au coeur de la logique parlementaire. D’une certaine façon, la représentation nationale française considère que son rôle est d’occuper le terrain médiatique en proposant une expansion permanente de l’Etat, et donc de la bureaucratie, et non de vérifier l’adhésion conforme de celle-ci aux politiques publiques.
Examiner les dépenses de la bureaucratie, la vraie révolution
Encadrer la bureaucratie en vérifiant l’utilisation qu’elle fait de l’argent public, telle est pourtant la vocation de l’Assemblée Nationale telle qu’elle est posée par les articles 14 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
On l’oublie trop souvent, mais le contrôle de la bureaucratie par la Parlement est central dans le dispositif ouvert par la Révolution française. Il est pourtant passé sous silence par les Assemblées qui en sont les héritières directes et les garantes.
Ainsi, le Parlement, curieusement n’examine pas les mesures inventées par la bureaucratie pour sa gaver sur le dos du contribuable. C’est par exemple le cas de la prime de 9.000€ attribuée à la Cour des Comptes, dont j’ai parlé la semaine dernière. Ce sont pourtant des sujets qui intéressent les Français. Ils sont essentiels au contrôle démocratique.
Inverser l’expansion permanente de l’Etat, une révolution
Car la vraie révolution parlementaire n’est pas de jouer pour la énième fois le jeu bien connu du 49-3. La vraie révolution parlementaire consiste à arrêter l’instabilité fiscale, à ne plus voter chaque année des mesures nouvelles, mais à appliquer rigoureusement l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il s’agirait, tout simplement, d’inverser le mouvement d’expansion permanente de l’Etat, pour prendre le temps de vérifier la bonne marche du service public.
Je suis tout à fait convaincu qu’une grande partie de la “fragmentation de l’opinion publique” déplorée par la caste (dont l’autre nom est l’archipélisation…) tient d’abord à l’absence de contrôle effectif de l’administration par le Parlement. Comme le disait très bien la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le consentement à l’impôt passe par une utilisation acceptable de cet impôt. Et cette acceptation n’est jamais vérifiée.
D’où un sentiment de privilège détenu par la bureaucratie, qui est destructeur pour l’esprit public.
La rentrée décevante du RN
Autant on peut comprendre que la NUPES, qui est fondamentalement un mouvement de fonctionnaires, ne cherche pas à exercer cette mission, autant le désintérêt du RN pour ce sujet est une vraie déception. L’évidence peu à peu s’impose que, s’il arrivait au pouvoir, le RN s’installerait douillettement dans le fauteuil usé du pouvoir, en reprenant à son compte, sans sourciller, les détestables pratiques d’une Vè République qui a oublié De Gaulle : instabilité fiscale permanente, expansion constante de l’Etat, domination incontestée de la bureaucratie.
Cette acceptation des règles du jeu flatte certes la partie “étatiste” de l’électorat du RN. Mais elle est prometteuse d’une déconfiture grave, car la contrainte de la dépense publique ne diminuera pas avec le temps… et rendra chaque jour un peu plus impossible l’exercice du pouvoir sans remise en question de la bureaucratie.
Au demeurant, très majoritairement, la bureaucratie est foncièrement hostile au RN. Ne pas la mettre dès maintenant sous contrôle constitue une tragique erreur de la part de Marine Le Pen.
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