La réforme des retraites est repartie pour un tour. Nous avons déjà expliqué pour quelle raison nous sommes convaincus qu'elle n'aboutira pas, faute de légitimité suffisante du Président pour la faire accepter par les Français. Pour surmonter l'obstacle, Emmanuel Macron met en scène sa volonté de réformer. Mais au-delà de l'affirmation capricieuse du pouvoir, l'absence profonde de vision du Président devient criante : Macron scie progressivement, patiemment, consciencieusement les branches de la sécurité sociale sur lesquelles tant de Français sont assis.
La réforme des retraites est bien partie pour être l’Arlésienne du quinquennat, saison 2. Nous avons la semaine dernière expliqué pour quelle raison nous pensons que ce qui a échoué lors du précédent quinquennat échouera aussi glorieusement lors du deuxième. La campagne de presse qui a lieu ce matin sur le mode du “le Président a tranché” montre que non seulement la macronie n’a tiré aucune leçon de ce qui s’est passé lors du précédent mandat, mais qu’elle organise dans une incompétence ahurissante son propre malheur pour le suivant.
On se cale donc dans son fauteuil pour jouir du spectacle grandiose qui se prépare : celui de la réforme de trop, mal amenée, qui finit de mettre un régime à genoux.
Comment Macron monte la barre à franchir
Donc, après un échec retentissant lors de son premier quinquennat, pourtant en terrain favorable (croissance correcte, taux bas, temps pour réformer, majorité absolue à la Chambre), Macron décide de tenter à nouveau l’obstacle… mais en relevant la barre à franchir. Cette fois, la réforme des retraites se déroulera en une version express, avec une majorité seulement relative à l’Assemblée, et dans un contexte de pénurie de gaz et d’électricité où l’inflation nourrit une grogne grandissante dans la population, et surtout dans un contexte d’excédent du régime des retraites, qui diminue fortement l’urgence de le réformer.
Nous avons par ailleurs souligné que l’année 2023 sera une année de cadeaux faits à la bureaucratie qui a massivement voté Macron.
Tout porte à croire que le Président va cramer son hiver à expliquer que la fin de l’abondance passe par la retraite à 65 ans, quand il multipliera les mesures de privilège à destination de la caste qui colonise les palais de la République.
On appelle cela un moment de bravoure.
Le cartel de la presse subventionnée au secours du Président
Sans surprise, face à l’ampleur de la tâche qui s’annonce, et face aux risques politiques à mon avis très sous-estimés par l’équipe en place, la garde rapprochée du Président commence donc à faire feu de tout bois. La nouvelle cohorte de conseillers en communication qui s’est installée à l’Elysée a immédiatement appelé son régiment d’élite, le cartel de la presse subventionnée, pour diffuser de façon très militaire les éléments officiels de langage.
Comme un seul homme, les pisse-copies zélés de nos milliardaires ont mené la bataille : ils ont commencé à forger la légende d’un dîner qui aurait duré trois heures, où le Président a fait passer les messages qu’il fallait, flinguant discrètement Edouard Philippe pour son indécision et son flou, et se montrant magnanime dans une volonté supposée d’écouter l’opposition.
Macron dicte ses conditions de négociation
La diffusion des éléments de langage sur le dîner d’hier a permis au Président de fixer déjà les bornes du deal auquel il s’attend : retraite à 65 ans dès 2023 (la seule mesure qui rapporte de la trésorerie à court terme), en échange de concessions sur les carrières longues, la pénibilité et la retraite minimale à 1.110€.
Le message s’adresse bien entendu aux partis politiques avec qui Macron va lancer une concertation pour pouvoir présenter un texte en décembre, mais aussi aux syndicats qui sont en grève dès aujourd’hui pour protester contre l’inflation.
On ne pouvait imaginer meilleur contexte pour présenter la douloureuse aux Français.
La réforme de Macron a-t-elle un sens ?
Le problème est évidemment que le fond de la réforme en lui-même souffre de nombreuses faiblesses qui vont rendre sa “vente” difficile à accepter par beaucoup de Français.
Premier problème : le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans (mesure adoptée, rappelons-le, en 1941, lorsque Vichy a créé la retraite par répartition, et la CNAV en charge de sa gestion, et remise en cause par François Mitterrand). Pour beaucoup de Français, cette décision est un repoussoir absolu. Son seul intérêt est d’empêcher brutalement les départs à la retraite, et donc d’apporter immédiatement de la trésorerie.
Ma conviction est que l’explication politique sur ce point sera difficile : dans l’effondrement généralisé des finances publiques auquel nous assistons, le régime des retraites réussit l’exploit inattendu de dégager 3 milliards d’excédents en 2022. Face aux déficits colossaux qui s’accumulent partout, l’intérêt de durcir brutalement un régime pour l’instant excédentaire est peu compréhensible. Pourquoi s’acharner sur la petite brèche des retraites, quand des trous géants poussent ailleurs comme des champignons, contre lesquels le gouvernement ne fait rien ?
Deuxième problème : Macron semble, à ce stade, ignorer la question de la durée de cotisations, qui est bien plus centrale dans le rétablissement à long terme de l’équilibre financier du régime. On doit à Fillon, puis à Touraine, d’avoir jugulé les déficits en actionnant ce levier, beaucoup plus facile à expliquer à l’opinion. Pour l’instant, le Président n’a pas pris parti sur ce sujet, qui paraît pourtant beaucoup plus adapté au traitement technique de la situation.
Troisième problème : l’injustice prévisible de la réforme, et son ineptie fondamentale. En effet, la retraite à 65 ans s’adressera à certains salariés du secteur public. Concernera-t-elle aussi les fonctionnaires et les cheminots de la SNCF ou les lignards d’EDF ? C’est à voir. En outre, Macron annonce des mesures spécifiques sur les carrières longues et la pénibilité. Autrement dit, le fils d’ouvrier qui a fait des petits boulots dans les années 70 pour échapper à sa condition et décrocher des diplômes sera pénalisé par rapport à ses petits camarades qui n’ont pas fait le même effort et ont commencé à travailler tout de suite.
Le débat promet d’être intéressant…
Une réforme en trompe-l’œil
Bref, on cherche activement la motivation financière de cette réforme… et on peut penser que l’acharnement du Président à la vouloir tient surtout à deux leviers contestables, qui seront autant de points de fragilité lors du débat qui va s’ouvrir.
Le premier levier tient au rôle de l’Union Européenne. Nous avons rappelé au printemps que la France avait annoncé à l’Union qu’elle réformerait ses retraites. Visiblement, Macron est bien décidé à respecter sa promesse, même si l’Union, ultérieurement, l’a jugée relativement peu prioritaire.
Deuxième levier : Macron fait un boudin d’adolescent qui tient à montrer qu’il met en œuvre ses promesses de campagne. Envers et contre tout, il va donc pousser à la roue pour imposer une décision totalement lunaire, que même sa majorité peinera à justifier.
Le ton autoritaire est d’ores et déjà donné puisque, dans ses éléments de langage téléguidés sur le dîner d’hier soir, Macron a d’ores et déjà expliqué que le simple dépôt d’une motion de censure entraînerait une dissolution immédiate de l’Assemblée Nationale. Quand on en arrive là…
Dans tous les cas, la réforme des retraites ne vise certainement pas à “sauver la sécurité sociale”, qui est devenue un bateau ivre.
La sécurité sociale, le bateau ivre de Macron
Au demeurant, ce désintérêt pour l’équilibre financier de la sécurité sociale, et cette focalisation sur son utilité politique, sont parfaitement illustrés par la présentation officielle du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le texte du projet de loi lui-même n’est pas encore paru. Mais le dossier de presse donne une preuve évidente de l’impéritie financière du gouvernement face à une protection sociale qui se meurt, mais n’a aucun plan de sortie pour retrouver son équilibre. Le gouvernement s’est bien gardé de donner le moindre chiffre précis sur les finances de 2023.
Voilà un projet de loi de financement qui parle de tout, sauf de financement…
Ce désintérêt affiché du gouvernement pour l’avenir financier de la sécurité sociale est en soi l’aveu que la sécurité sociale ne sert plus à rien d’autre qu’à “acheter” des voix et à nous surveiller. Quoiqu’il en coûte.
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