La Pologne ne veut surtout pas que l’on se souvienne de l’énergie que ses dirigeants ont déployée pour arriver précisément à la situation présente, car des centaines de millions de gens en pâtissent : voilà pourquoi il est tellement important à présent que les activistes œuvrent en priorité pour que chacun connaisse la réalité de ce fait « politiquement dérangeant ».
L’ensemble des médias dominants occidentaux, États-Unis en tête, a fait les gros titres vendredi sur le sujet de la suspension pour une durée indéterminée des livraisons de gaz au travers de Nord Stream I par suite de problèmes techniques découverts il y peu. Les gestionnaires de perception du Milliard Doré ont émis l’hypothèse que la Russie utilisait comme une arme ses exportations de gaz vers l’Europe pour punir le bloc qui continue d’obéir aux exigences de sanctions contre-productives émises par les États-Unis. La théorie dominante est que le président Poutine veut aggraver la crise énergétique qui approche avec l’hiver, pour essayer de faire pression sur les dirigeants européens et les amener à contraindre Kiev de faire des concessions.
Indépendamment de la manière dont on analyse les événements, le fait est que l’Europe connaît un état de panique sans précédent, surtout au vu de la très forte probabilité d’importantes instabilités socio-politiques, dont les occurrences vont croître avec la durée de la crise économique. Chacun doit se souvenir que cette crise a été engendrée par la combinaison d’une obéissance aux sanctions étasuniennes, et de la coupure inopinée du robinet de Nord Stream I. De même, pour « politiquement dérangeant » qu’il soit de le rappeler et malgré l’ardeur des médias dominants occidentaux à le cacher en cette période sensible, ce qui suit est également un fait,
Peu de gens s’en souviennent, mais le premier ministre polonais Morawiecki avait demandé au mois de mai dernier, avant le Forum Économique Mondial de Davos, que l’Allemagne fermât unilatéralement Nord Stream I avant la fin de l’année. Avant cela, il avait proposé d’ajouter la fermeture de ce gazoduc au paquet de sanctions du Milliard Doré juste après le début de la dernière phase (provoquée par les États-Unis) du conflit en Ukraine il y a 6 mois. On connaît désormais le désastre qu’a provoqué la coupure des exportations russes pour la stabilité européenne, chose à laquelle il fallait s’attendre, mais qui devrait amener les observateurs à s’interroger : pourquoi la Pologne voulait-elle qu’elle se produisît ?
Depuis le départ, cette puissance qui aspire à l’hégémonie sur l’Europe du Centre et de l’Est a poussé pour obtenir les politiques anti-russes les plus radicales possibles, et ses dirigeants sont allés jusqu’à fanfaronner avoir établi le standard mondial de la russophobie. Le « nationalisme négatif« explique pour partie la constitution du nationalisme polonais au cours des dernières années, qui voit les Polonais s’obséder d’une différenciation supposée d’avec les Russes, au lieu d’embrasser un « nationalisme positif » faisant référence à la fierté et qui ne recourt pas à la comparaison avec autrui.
L’autre raison est nettement plus stratégique, et est liée au désir de saboter les tentatives des principaux pays européens de maximiser leur autonomie stratégique. En particulier, la Pologne craint qu’une Allemagne forte impose sa vision hégémonique sur le continent à tous les autres pays, à commencer par son voisin de l’Est. Les dirigeants polonais ont ainsi décidé de poursuivre une politique double consistant à se présenter comme la principale force anti-russe d’Europe, pour devenir le principal partenaire de l’hégémonie unipolaire en déclin sur le continent, tout en essayant de pousser l’Allemagne au suicide économique.
Le premier de ces deux axes a été suivi en déployant une rage russophobe, et le second a été poussé en pressant sans arrêt Berlin pour qu’elle ferme le gazoduc Nord Stream I, sous le faux prétexte de « solidarité avec les démocraties », une rhétorique manipulatoire que l’ambassadeur polonais en Inde vient de mentionner en essayant de faire pression sur Delhi pour qu’elle condamne et sanctionne Moscou. Quand bien même la fermeture du gazoduc promettait d’abîmer les intérêts propres de la Pologne, Varsovie a parié sur l’idée que son peuple n’allait pas protester plus que cela, endoctriné qu’il est par le « nationalisme négatif ».
La Pologne considère ses grands intérêts stratégiques, visant à saper la monté de l’Allemagne sur la scène mondiale, comme bien plus importants que ses intérêts à court terme abîmés par la coupure du gaz russe sur le continent. La Pologne prévoit depuis le départ d’amener l’Allemagne à faire fausse route et a promulgué des politiques contre-productives de nature à affaiblir irrémédiablement son autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis, et ainsi permettre à Washington de rétablir son hégémonie unipolaire en déclin sur Berlin et sur le bloc tiré et influencé par la puissance allemande.
Le dessein sous-jacent à ces actions est d’amener les États-Unis à privilégier la Pologne sur l’Allemagne comme principal vassal en Europe, comme récompense d’avoir parfaitement obéi aux exigences anti-russes de Washington, et d’amener Berlin à affaiblir irréversiblement son autonomie stratégique, permettant aux États-Unis de réaffirmer leur contrôle hégémonique sur l’ensemble du continent. L’euro est tombé à un plus bas face au dollar en deux décennies en résultat de la guerre hybride conjointe étasuno-polonaise contre l’Allemagne, ce qui signifie qu’il est peu probable que cette puissance puisse jamais rivaliser de nouveau avec les États-Unis.
Ce résultat aurait été obtenu encore plus tôt si l’Allemagne avait souscrit au plan fou polonais consistant à sanctionner Nord Stream I il y a six mois, au moment où Morawiecki avait demandé à l’Allemagne d’annoncer qu’elle couperait unilatéralement les importations de gaz passant par ce gazoduc pour la fin de l’année. La Pologne escomptait, au travers de ces objectifs de déstabilisation, amener l’Allemagne à s’auto-affaiblir et à affaiblir l’UE, et à pouvoir s’en considérer comme responsable, afin d’assurer la réaffirmation de l’hégémonie étasunienne sur le continent, et pour éviter à jamais tout rapprochement avec la Russie.
Pour distant que ce second scénario ait pu paraître jusqu’il y a peu, il était encore possible en théorie à une Allemagne stratégiquement autonome de réparer ses relations avec la Russie après quelque temps, tant que les fondations économiques du dirigeant de facto du bloc européen restaient relativement stables, et elle restait donc en mesure de conserver une certaine indépendance par rapport à l’hégémonie étasunienne en déclin. C’est précisément pour cette raison que la Pologne voulait que l’Allemagne coupât Nord Stream I : afin que la cible de sa guerre hybride sabotât ses propres intérêts nationaux objectifs.
Nonobstant ce que l’on peut penser de la coupure de Nord Stream I et du fait que celle-ci découle véritablement ou non de problèmes techniques, ce développement provoque la ruine de l’Allemagne et la voue à un statut de vassal des États-Unis, en plein alignement sur le grand dessein stratégique que la Pologne a poursuivi au cours des six mois passés, comme expliqué ci-avant. Les rigueurs socio-économiques sans précédent que la crise énergétique amplifiée promet d’infliger à des millions de gens en Union européenne rend ce dernier événement extrêmement impopulaire, ce qui risque de provoquer des regards très noirs en direction des penseurs stratégiques polonais.
Quoique la Pologne ne soit en fin de compte pas responsable de l’obtention du résultat qu’elle escomptait depuis si longtemps — en fin de compte, ce sont des problèmes techniques qui justifient la fermeture du gazoduc et non la volonté propre de l’Allemagne —, Varsovie ne veut toujours pas se voir associée aux immenses rigueurs que ce développement a infligé aux peuples européens. Elle voulait que Berlin en portât la responsabilité, ce qui aurait provoqué la chute finale de l’influence de sa cible, mais à présent, les fabricants de perceptions œuvrant au sein des médias dominants peuvent tranquillement en accuser Moscou, tout en essayant de faire oublier à chacun que c’est l’objectif qu’avait poursuivi Varsovie depuis le début.
La Pologne ne veut surtout pas que l’on se souvienne de l’énergie que ses dirigeants ont déployée pour arriver précisément à la situation présente, car des centaines de millions de gens en pâtissent : voilà pourquoi il est tellement important à présent que les activistes œuvrent en priorité pour que chacun connaisse la réalité de ce fait « politiquement dérangeant ». Les Européens ont le droit de savoir que tout ceci résulte d’une Guerre Hybride étasuno-polonaise menée contre l’Allemagne, en poursuite des grands objectifs stratégiques expliqués ci-avant, même si le summum de la crise fait suite à l’invocation de problèmes techniques, et pas à Berlin se laissant prendre au piège de fermer elle-même le robinet.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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