Bien évidemment, tout le monde a entendu parler de la manière dont BFM TV a interrompu sa collaboration lucrative avec Ségolène Royal, sur laquelle nous reviendrons. Mais peu de Français ont entendu parler de la rencontre à huis clos du Président de la République avec l'association de la presse présidentielle, sur laquelle le Président a demandé un embargo... Dans cet exercice, il s'agissait simplement de donner aux journalistes les "éléments de langage" dont ils ont besoin pour écrire les articles qui conviennent au pouvoir. Jamais la soumission de la presse dans la fabrique du consentement n'a atteint une telle proportion.
Donc, lundi après-midi, le Président de la République était reçu à huis clos par l’association de la presse présidentielle. Pendant deux heures, il a distillé ses éléments de langage à des journalistes sommés de n’en citer aucun entre guillemets…
Ceux-ci ont globalement joué le jeu, en s’interdisant de décrire exactement les conditions de cette bizarre conférence de presse.
Le summum de la connivence politique
Dans quelle démocratie imagine-t-on des journalistes rencontrer le chef de l’Etat ou du gouvernement pendant deux heures, dans un cadre professionnel, et jurer ne pas répéter ce qu’ils ont entendu ? On retrouve ici la fabrique du consentement très bien décrite par Noam Chomsky en son temps : si le journaliste veut des informations, il doit se montrer docile et complaisant vis-à-vis du pouvoir.
Ceux qui désobéissent perdent leur accréditation et n’ont plus accès à l’information. Ils sont obligés d’entrer en dissidence.
C’est ainsi que Macron tient la presse : par la menace de les bannir loin du Palais s’ils ne se transforment pas en petits propagandistes. Et comme nos journalistes sont tous des salariés stipendiés par les grands capitalistes dont la fortune dépend du bon vouloir de Macron (les Drahi, Dassault, Arnault, Niel et consorts), ils adorent pisser une copie complaisante et rentrer le soir dire à bobonne : “J’ai rencontré le Président aujourd’hui”.
Telle est la loi du salariat : elle transforme le journaliste, qui s’imagine être un intellectuel libre, en domestique chargé de propager la parole officielle. Servir la soupe qu’on attend de lui est bon pour ses maîtres et bon pour sa carrière.
Que la liberté de la presse soit, dans cette affaire, passée à la trappe, ne fait qu’ajouter aux gloussements de plaisir que la caste pousse en parcourant des journaux devenus vides de toute information crédible.
Une technique de mésinformation bien connue
S’appuyer sur des “journalistes de confiance” pour diffuser la bonne parole est le B.A.-BA du consentement journalistique et de la mésinformation dont le pouvoir en place a besoin pour conserver son hégémonie culturelle. Le pouvoir dans une démocratie illibérale ne s’exerce pas par la terreur, mais par la “preuve sociale” : des journalistes qui cachent leur subordination disent du bien de vous pour donner aux lecteurs l’envie d’en penser autant.
C’est d’ailleurs la technique principale recommandée par tous les services secrets chargés des opérations de contre-influence. On se souvient que j’en ai publié le manuel de référence, rédigé par les services britanniques.
Dans ce manuel, je lis par exemple ce tableau instructif (page 49) :
Il s’agit d’un exemple de plan de campagne pour lutter contre la propagande de DAESH. Comme on le voit, les “channels”, les canaux à utiliser pour répondre aux attaques de DAESH supposent de “prioritise media relations and face-to-face contact with trusted allies, journalists and researchers”.
Face à une rentrée difficile, Macron a pratiqué, avec l’association de la presse présidentielle, un exercice de “face-à-face avec des journalistes de confiance”, des “trusted journalists”. L’objectif est de diffuser sa manière de voir dans les medias qu’il subventionne et qui adorent ça…
Il n’y a pas de méthode plus ancienne ni plus efficace pour s’adresser aux spectateurs des medias mainstream : créer une intimité avec les journalistes pour qu’ils endossent ce que vous leur dites. En interdisant aux journalistes de citer les propos qu’il a tenus lors de cette rencontre, Macron n’a pas fait autre chose que d’ordonner aux journalistes de devenir ses propagandistes : si le journaliste veut citer l’information qu’il a obtenue, il est obligé de la propager sous son nom, puisqu’il n’a pas le droit de citer le Président.
Redoutable asservissement…
Acheter les commentaires qui vont bien
L’affaire Ségolène Royal virée malproprement de BFM TV vient de donner une autre illustration de la connivence coupable entre les influenceurs et les medias. Elle montre comment des politiques (ou des intellectuels, ou des commentateurs) sont payés pour commenter l’actualité à la télévision. Et elle montre, pour ceux qui avaient encore un doute, la contrepartie idéologique que le commentateur doit apporter en échange de la somme d’argent qu’il perçoit.
Pour ceux qui auraient oublié les faits, je remets ici une vidéo qui montre comment Ségolène Royal a été lynchée par BFM TV après qu’il y a parlé de “propagande de guerre ukrainienne”.
Les reproches adressés à Ségolène Royal sont limpides : elle a affirmé qu’il existait une propagande de guerre ukrainienne face à la propagande russe. Cette affirmation, qui est une évidence pour tout esprit censé, est désormais proscrite sur les télévisions de notre régime illibéral.
Le jeu dangereux du chroniqueur rémunéré
Personnellement, je n’avais pas noté que Ségolène Royal avait un contrat rémunéré avec BFM TV pour ses interventions sur cette chaîne. En fouillant dans les sources, j’ai seulement retrouvé une offre de service que Ségolène Royal avait faite en 2017 à l’ensemble des chaînes. Il semble qu’elle ait ensuite engrangé quelques contrats, dont un avec LCI, sur lequel peu d’informations circulent (et qui n’est pas donc pas confirmé).
C’est à l’occasion de sa polémique avec BFM TV que l’on découvre que notre ancienne candidate à la présidentielle avait très vraisemblablement un contrat avec la chaîne de Patrick Drahi. La plus grande opacité règne sur les arcanes juridiques de cette affaire, mais on note le terme technique employé par le directeur de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel, pour justifier la rupture unilatérale du contrat : “le lien de confiance est rompu“.
Cette phrase sent bon le droit du travail. On reprendra ici l’ensemble des propos de Fogiel :
Elle s’était engagée à revenir et elle ne l’a pas fait. Elle l’a fait sur une chaîne concurrente LCI. Elle a planté le rendez-vous dans lequel elle était supposée venir s’expliquer. Nous avons décidé, et j’estime, que le lien de confiance avec Ségolène Royal était rompu.
La rupture du lien de confiance… Une expression curieusement très canadienne, puisque, en France, on préfère parler de perte de confiance.
La véritable information de cette affaire tient donc au lien d’argent qui a probablement existé entre BFM TV et Ségolène Royal. Celle-ci était payée pour “chroniquer” sur la chaîne. Et, comme on le voit, ce statut est créateur d’obligations…
Même quand on s’appelle Ségolène Royal, on se doit de respecter son contrat. Et lorsque ce contrat porte sur du contenu éditorial, même Ségolène Royal doit accepter de livrer à BFM TV une soupe qui n’est pas libre. Elle doit porter la parole que ses maîtres lui achètent.
S’agissant d’une chaîne très dépendante des marchés financiers aux ordres du Deep State américain, on comprend que certains mots, certaines expressions, soient sévèrement bannis des interventions livrées par les chroniqueurs sur la chaîne qui paie. C’était évidemment le cas de tout ce qui touche à l’Ukraine, objet d’une propagande intensive de la part de la CIA et de ses obligés.
Ségolène Royal en a fait les frais.
Comment le Deep State asservit la presse
Le cas Royal complète parfaitement ce que nous avons mis en évidence sur la conférence de presse clandestine tenue par Emmanuel Macron auprès de l’association de la presse présidentielle. Il existe deux méthodes majeures pour transformer la presse prétendument libre et sérieuse en organismes de propagande purs et durs.
La première méthode consiste à ne parler qu’aux “journalistes alliés”, à qui l’on donne des informations confidentielles pourvu qu’ils fassent allégeance. Cette méthode fonctionne parfaitement, et permet de neutraliser toute critique sérieuse de la part des journalistes en charge des dossiers les plus sensibles.
La deuxième méthode consiste à “acheter” les voies les plus rebelles en leur proposant de juteux contrats de chroniqueurs. Si l’on juge par le rétropédalage que Ségolène Royal a entamé sur l’affaire ukrainienne, on peut même imaginer que la soupe est bonne…
Pour l’auditeur moyen, tout cela est évidemment invisible. Mais l’effet est destructeur : un citoyen lambda bien décidé à ne pas s’informer et à vivre dans le bien-être peut tout à fait vivre dans la matrice médiatique sans ne jamais se poser de question.
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