Faisant écho aux chocs pétroliers de 1973 et 1979, les matières premières, avec la crise ukrainienne, sont désormais au premier rang des préoccupations économiques. Avec cependant une différence de taille : alors qu’il y a 50 ans il s’agissait pour l’essentiel d’un problème énergétique, la question des matières premières touche cette fois tous les secteurs, y compris l’alimentation. Elle agit comme un puissant déstabilisateur économique, social et politique, avec son cortège de privations forcées ou à venir.
Rien de nouveau dira-t-on, car même le plus digitalisé des secteurs économiques a bien besoin d’énergie et de matières premières. Souvenons-nous également des lumineuses pages de Stefan Sweig et de son Magellan, où le théâtre des grandes découvertes maritimes de la Renaissance est planté au travers d’un flamboyant « au début étaient les épices ».
Pour autant, nos économies et nos sociétés sont-elles capables d’affronter les défis posés par cette crise des matières premières ? Pas nécessairement. Prenons ici l’exemple, parmi d’autres, des huiles. L’on voit qu’en la matière, les décisions prises (ou non prises) ne nous épargnent ni erreurs ni, c’est souvent la même chose, idéologie.
Le pétrole
Le premier exemple, le plus emblématique est sans doute celui du pétrole, que l’on appelle aussi « l’huile de roche ». Tout a été dit des ravages actuels et à venir de l’augmentation du prix de l’or noir. Ce que l’on veut moins admettre, c’est que la crise pétrolière n’a pas résulté de la guerre en Ukraine, ni de la sortie de la pandémie Covid, même si ces deux facteurs ont et vont continuer à jouer un rôle. Le manque de pétrole remonte en réalité à des décisions prises en 2016. A cette époque, pas si lointaine, les grands producteurs de pétrole, sur un marché dont le prix est fondamentalement fixé par l’offre, poussés en cela par une opinion publique chauffée à blanc par l’activisme écologique anti-fossiles, ont décidé de limiter l’exploration, donc l’offre. Le cas de Total, rebaptisé Total Énergies, dont la stratégie est la sortie du pétrole, est emblématique. A deux limites près que nous n’avons pas fini de payer. D’abord que la sortie des énergies fossiles prendra du temps et que les énergies renouvelables ne sont pas prêtes à prendre le relais. Ensuite, que ce sont bien les énergies fossiles qui sont les sources des investissements que les pétroliers effectuent pour se verdir.
Les bio-carburants
Le deuxième exemple est celui des bio-carburants. Longtemps considérés avec un brin de condescendance, apanage de pays « exotiques » comme le Brésil, ils se développent. En France, la part de marché du superéthanol E85 (aux deux tiers fait de betteraves, mais et blé) sur le marché des essences est passée de 3,5% fin 2001 à 6% aujourd’hui, cependant que le nombre de véhicules qui peuvent l’utiliser directement (dits « fuelflex ») s’accroit rapidement. Le hic, est que l’Union européenne (UE) ne l’entend pas ainsi, et notamment la Commission qui déguise mal son opposition très forte aux bio-carburants. Or, s’il n’est pas illégitime que l’UE se dote d’objectifs environnementaux ambitieux, est-elle fondée à bannir tel ou tel moyen d’y parvenir ? Il n’est pas qu’en fait de nucléaire (taxonomie) que la question se pose. L’industrie automobile allemande l’a bien compris qui se demande pour quelles raisons rayer d’un trait des expériences telles que celle que mène Porsche au Chili pour créer un bio-carburant destiné – cela reste à prouver – à être plus vert que l’électricité utilisée par les véhicules électriques si l’on prend en compte l’ensemble du cycle de production.
Les huiles alimentaires
Troisième exemple : les huiles utilisées dans la fabrication de produits alimentaires. Là encore, les temps remettent en cause beaucoup de certitudes, pas toujours fondées d’ailleurs. C’est le cas de l’huile de palme (d’ailleurs utilisable comme bio-carburant). Tout a dit ou presque sur le rôle – depuis largement démenti – de la culture de la palme en matière de déforestation. Et alors que certains fabricants se sont bâti une respectabilité à bon compte en y renonçant, d’autres, peut-être moins désireux de payer tribut à certaines modes, y reviennent. Pour une raison simple : face à l’augmentation puissante du prix de beaucoup d’huiles alimentaires, dont l’huile de tournesol, le réel fini par s’imposer. Utiliser l’huile de palme, au prix où elle est, sans s’en exagérer les défauts ni les vertus, est nécessaire sauf à renoncer à certains produits ou à accepter des hausses de prix que beaucoup ne peuvent se permettre.
Au travers l’exemple des huiles, et plus largement des matières premières, l’on perçoit combien quand le réel est nié, il finit par se venger. A refuser de faire la part des choses entre le souhaitable et le possible, trop de décisions ont été prises dont nous risquons de payer les conséquences longtemps.
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