09 juillet 2022

Stratégie de la peur sur fonds de peur archétypale (1/2)

Les périodes de troubles sont des moments dans lesquels s’élaborent, secrètement, de grandes choses. Les fourmillements sociaux en témoignent. Au-delà ou en deçà des institutions officielles, il y a lieu d’être attentif à un grouillement s’exprimant en mezzo vocce dans lequel tente de se dire et de se vivre une authentique transfiguration de la vie en société. Il est, d’ailleurs, intéressant de noter que celle-ci a toujours un aspect apocalyptique. Ne l’oublions pas, en son sens étymologique, l’apocalypse est, tout simplement, une révélation. Révélation de ce qui est en train de cesser et, en même temps, de ce qui est en train de naître.

“Les noms sont inséparables des choses” (Blaise Pascal)

Les périodes de troubles sont des moments dans lesquels s’élaborent, secrètement, de grandes choses. Les fourmillements sociaux en témoignent. Au-delà ou en deçà des institutions officielles, il y a lieu d’être attentif à un grouillement s’exprimant en mezzo vocce dans lequel tente de se dire et de se vivre une authentique transfiguration de la vie en société. Il est, d’ailleurs, intéressant de noter que celle-ci a toujours un aspect apocalyptique. Ne l’oublions pas, en son sens étymologique, l’apocalypse est, tout simplement, une révélation. Révélation de ce qui est en train de cesser et, en même temps, de ce qui est en train de naître.

Il devient de plus en plus évident que nous sommes en transit vers une autre manière d’être-ensemble. Pour le dire en des termes plus soutenus, nous vivons une transition épochale. Et ceci, ce qui est normal, dans la crainte et le tremblement. De telles mutations suscitent de la part des pouvoirs en place une rigidification de leurs attitudes.

 

Face aux mutations, la tentation du pouvoir apeuré est d’asservir

D’où la tentation de l’asservissement, l’injonction à la soumission et la plupart des temps la tyrannie sanitaire. En effet, c’est parce que les régimes en place ont peur de ce changement qu’ils induisent, de manière autoritaire, un sentiment de peur. Il s’agit là d’une constante anthropologique.

Ainsi, dans son livre classique La Peur en Occident, l’historien Jean Delumeau note que « dans l’Europe du début des Temps modernes, la peur est présente partout ». En précisant que cela provoque un affolement dû aux exagérations des divers pouvoirs publics.[1] Il en est de même en cette fin de la modernité. L’objet de la peur est certes variable. Mais du Loup Garou à la pandémie, la structure est identique : exagérer la crainte de la finitude en rappelant les exigences propres à la soumission.

La fin du Moyen-Âge et le début des Temps Modernes jouaient sur la crainte de l’Enfer et du Purgatoire et développaient les moyens d’y échapper. Mais depuis la philosophie des Lumières, le Pouvoir établi s’est employé à sauver le monde à la place de Dieu, en proposant un salut terrestre. Celui d’un bien être à courte vue.

Il n’en reste pas moins que comme dans tout cléricalisme, derrière un discours irénique, se dissimule la farouche volonté d’imposer une manière d’être et de penser dont la caractéristique essentielle est ce que Durkheim nommait un « conformisme logique ». C’est-à-dire tout simplement un unilatéralisme cause et effet de « l’homme unidimensionnel ». Ou pour le dire plus simplement, un robot obéissant à merci. (Bernanos, La France contre les robots).

Mais la sécularisation à outrance est en train de marquer le pas. Le sacré, sous diverses formes, semble revenir. Et à bien des égards la crise sanitaire proclamée à hauts cris par les élites au pouvoir s’avère n’être qu’une crise spirituelle de grande envergure. Ce qui arrive, dans le balancement des histoires humaines, chaque fois qu’une époque prend fin, en attendant une nouvelle Renaissance[2].

Peut-être peut-on appliquer à la situation actuelle ce que dans le catholicisme traditionnel on précisait pour signaler l’annulation d’un mariage : « sanatio in radice », guérison à la racine. De nombreux indices soulignent que l’on arrive à la fin du mariage de Prométhée et de la modernité.

Guérison (sanatio) permettant un nouveau mariage, celui de Dionysos et de la postmodernité.

 

Congédier Descartes? 

Cette notation métaphorique rend attentif au fait que dans la résistance vis-à-vis de la peur induite par la tyrannie sanitaire, s’esquisse une essentielle révolution. Celle du refus du dualisme : corps/esprit, nature/culture qui depuis Descartes avait façonné la pensée et l’action de la modernité. Celle du refus de l’exclusion du « tiers ». C’est-à-dire que la nature humaine est complexe et que le « tiers », celui de la finitude, est partie prenante de la nature.

Ainsi, on y reviendra plus loin, en ne la réduisant pas à sa dimension sanitaire, la crise civilisationnelle en cours est le début d’un vaste processus de résistance s’exprimant dans le désaccord vis-à-vis des élites. Résistance exprimant peu à peu un scepticisme voire une rébellion envers les diverses stratégies de la peur.

Ce n’est encore qu’un fourmillement intérieur. Mais les réseaux sociaux en témoignent, celui-ci est loin d’être négligeable. Il illustre cette circulation des élites qu’avec la justesse qu’on lui connaît Chateaubriand a si bien décrite. « L’aristocratie connait trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités. Sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. »[3]

Il suffit de transférer un tel constat à la situation contemporaine pour en apprécier la justesse. Il n’y a rien de nouveau, mais on peut le dire d’une manière nouvelle. Compte tenu de la multiplicité des lieux-communs déversés quotidiennement sur le peuple n’en pouvant mais, je me contenterai dans les pages qui suivent, de quelques ressassements méditatifs. Notes marginales, ce qu’on appelle « scolies » dans la tradition classique, permettant d’éclairer le texte écrit par le Pouvoir établi. Et montrer le langage mensonger qui en est le trait dominant.

 

La bien-pensance comme sac de pensées routinières

Car le discours officiel, celui du pouvoir et celui du psitacisme médiatique, s’emploient à mettre en œuvre un ensemble de représentations dissimulant la réalité quotidienne. On ne le redira jamais assez, ce que l’on nomme la Bien-pensance dominante dans les périodes crépusculaires, ce ne sont que des pensées routinières. C’est-à-dire une irrémédiable tendance à évacuer les informations ne correspondant pas à la « doxa », l’opinion dominante.

Donnons quelques exemples de cette réécriture : le terme pandémie tout d’abord, signifiant une épidémie présente sur tous les continents. Certes. Mais ne confond-on pas le nombre de cas de personnes infectées, mais non malades avec le taux de malades, qui définit normalement une  épidémie (Laurent Toubiana). Ne confond-on pas depuis le début de l’épisode viral, les malades et morts du Covid avec les malades et les morts avec le Covid. Plus grave encore, n’agite-t-on pas les peurs les plus ancestrales en parlant d’enfants malades alors qu’il y a eu en tout et pour tout moins d’une dizaine d’enfants morts de ou avec cette maladie ?

Revenons aux moments précédents la « grande pandémie ». L’épisode des gilets jaunes en France ne manque pas de rappeler cet épisode révolutionnaire que fut « la Grande Peur ». C’est-à-dire une révolte des classes populaires contre les privilèges et autres taxes et impôts seigneuriaux. Les classes dirigeantes ont tremblé devant la mise en cause des symboles du pouvoir, l’Arc de Triomphe, des ministères, l’Élysée même. On ne peut pas ne pas voir une sorte de revanche dans l’attitude du pouvoir face à la pandémie : Le « nous sommes en guerre » du président sonnant comme une sorte de stratégie de l’Union sacrée étouffant toute revendication sociale.

C’est cela la tactique même du pouvoir : élaborer une stratégie de la peur conjoncturelle sur fond de la peur, indépassable archétype humain. Pour le dire en des termes à la fois simples et éclairants : « la peur nous tient aux entrailles.[4] Mais on lui accorde une importance primordiale dans les moments où prévaut la pauvreté spirituelle.

 

Stratégies de la peur

C’est cela le vertige de l’époque moderne. Un monde forcené se contentant de produire pour vivre, là où il suffirait de vivre pour produire. Le leitmotiv du « pouvoir d’achat », seriné jusqu’à plus soif par les politiciens en manque d’idées en est l’expression achevée. Ne l’oublions pas, « le manque provient de la richesse » (Heidegger).

Et c’est dans ces moments de manque spirituel créé par l’abondance que s’exacerbe la stratégie de la peur. Peurs cycliques devant les maladies, les disettes, les guerres voire les augmentations d’impôts ou de taxes. L’histoire n’est pas avare d’exemples en ce sens. Et nombre de phénomènes contemporains, celui du « Covid » en particulier, l’illustrent à loisir.

Cette exacerbation de la peur archétypale engendre des phénomènes régressifs. Régression de la pensée. La nullité des analyses politiques ou journalistiques en témoigne. Régression de l’affectivité, isolement, gestes barrières, confinements en sont les exemples achevés. Sans oublier la multiplication des phobies de divers ordres. La peur structurale devient à ces moments la peur de l’autre. Ce qui conduit à l’inadaptation. L’on devient inadapté à soi et aux autres et au monde en son entier.

En témoigne l’étrange inversion des rapports générationnels qui a caractérisé la lutte « anti-covid ». On sait que la sauvegarde des enfants, c’est-à-dire la sauvegarde de l’espèce constitue une constante des relations humaines. Le « Les femmes et les enfants d’abord » des navigateurs en est le paradigme. Or dans cette pandémie, curieusement personne ne s’est préoccupé de la sécurité et du bien-être des enfants. Au contraire. N’ont-ils pas été désignés dès le début comme les vecteurs possible de la contamination ? Ne leur a-t-on pas enseigné avant même de comprendre pourquoi à tousser dans leur coude, à ne plus embrasser voire s’approcher de leurs grands-parents et même à les laisser seuls à la cuisine manger leur bûche de Noël ? récemment encore le « Monsieur Vaccin » du gouvernement, reconnaissant une forte résistance des parents à injecter à leurs enfants un produit dont on ne connaît pas les effets à long terme et qui ne leur apporte aucun bénéfice propre, n’hésitait pas à conseiller aux petits-enfants « non vaccinés » de se passer de leurs grands-parents durant l’été. Alors qu’on hésitait au début de la pandémie à « stigmatiser » les personnes âgées à risque en leur conseillant de ne pas sortir en période de contamination, on terrorise les enfants sans vergogne et l’on détruit ce qui fait la base même de la vie sociale, c’est-à-dire la transmission intergénérationnelle.

 

Mascarade généralisée

Il est à cet égard intéressant de noter que cette inadaptation à la vie sociale va de pair avec une mascarade généralisée. Le masque ne faisant que traduire extérieurement l’angoisse fondamentale étreignant l’homme dans la vie en son développement. Le masque n’est qu’une illusoire défense contre la peur. Et en fait le plus sûr moyen de répandre la peur.

L’existence quotidienne ressemblant à ce moment-là à un carnaval de Venise généralisé, dans lequel on joue à se faire peur parce que l’on est travaillé intérieurement par une peur indépassable. Celle de la nature des choses. Qui fait, pour paraphraser Lucrèce qu’il n’est aucun jour ayant suivi la nuit, aucune nuit suivie de l’aurore « qui n’ait entendu des fleurs mêlés à des vagissements, douloureux compagnons de la mort et du noir trépas ». (De natura rerum, II, 578).

En bref, le nom est inséparable de la chose. La « chose » en la matière est le sentiment et la réalité de la finitude à laquelle il convient de s’adapter. Tout l’art est de savoir vivre sa mort de tous les jours, la ritualiser sans en être obsédé. L’exacerbation de la peur traduit justement, à certains moments, l’incapacité à s’accoutumer à ce qui est inéluctable !

L’histoire ne manque pas, pourtant, de manifestations de ce que l’on nomme « l’art de bien mourir ». C’est le thème de la « bonne mort » qu’a su développer le catholicisme. Le culte marial de Notre-Dame de la Bonne Mort à Saint Hilaire à Poitiers en témoigne. Cet ars moriendi consistant à apprivoiser la mort plutôt que la dénier. On retrouve cet art dans de nombreuses cultures, on peut dire qu’il s’agit d’une constante de l’humanité.

Il en est de même de l’art religieux dans lequel la représentation de l’agonie a une fonction d’éducation. Pour n’en citer que quelques-unes, on peut se souvenir des nombreuses décollations de Saint Jean-Baptiste, des représentations de Saint Sébastien transpercé par des flèches, ou de Saint Laurent sur le gril. Sans oublier le retable d’Issenheim à Colmar dans lequel la figuration de la mort du Christ atteint les sommets que l’on sait.

On pourrait multiplier les exemples en ce sens consistant, en homéopathisant la finitude, en l’intégrant dans la vie quotidienne, à éviter une utilisation malsaine de la peur qui conduit à une déconstruction des esprits dont les efforts se poursuivent sur la longue durée. Les sociétés équilibrées ne nient pas la peur. Elles savent lui donner sa juste place dans la vie sociale et, ainsi, en éviter les effets pervers. Les vierges noires, les figures de Salomé à la chevelure de jais et autres « Dame Fortune » où domine le noir sont là pour rappeler une constante humaine : nigra sed pulchra, noire, mais belle !

C’est là une manière de gérer la peur et non de l’exacerber. Les travaux des historiens, je pense en particulier à Jean Delumeau, montrent que cette exacerbation revient régulièrement. Et pour le dire métaphoriquement, le « temps de peste », utilisé par le pouvoir en place est toujours, une manière de réguler les comportements du plus grand nombre. Et ainsi de soumettre le plus grand nombre.

 

La peste

Le « temps de peste » est celui dans lequel les protections habituelles cessent leur effet, deviennent inopérantes. Les prières, les processions religieuses, les bénédictions voire les exorcismes ne peuvent mais contre la peste ; de la même façon, on a assisté durant la pandémie à la déconstruction d’un système de santé censé sinon éloigner la mort, du moins la retarder. Les médecins de ville, recours quotidien en cas de maladie ont été écartés des soins, voire interdits de leur pratique habituelle au profit d’urgences hospitalières très rapidement saturées. Pour aboutir aux slogans actuels on ne peut plus paradoxaux : il s’agirait d’éviter la contamination par l’injection vaccinale pour « protéger l’hôpital » ! Loin de son rôle d’Etat protecteur, le pouvoir met en scène sa propre fragilité.

Or, ce que nous enseigne également l’histoire c’est que l’utilisation de la peur par les classes dirigeantes, spécificité des périodes décadentes, conduit irrémédiablement à des formes de sédition.

Ce que l’on peut en ce sens nommer « hérésie » est, à la fois le signe de la fin d’une civilisation et l’indice d’une nouvelle culture en gestation. Culture qui saura, à nouveau, intégrer la peur, tout en en évitant les aspects les plus maléfiques.

La distinction, peu utilisée et non moins pertinente, entre culture et civilisation est ici primordiale. En son moment naissant, la culture intègre tous les éléments de la vie sociale. Et ce en son entièreté. Le bien et le mal entrent en interaction constante et participent chacun à son niveau à la complexité humaine.

La civilisation qui suit ce moment fondateur repose sur la séparation de cette complexité. C’est ce qui a prévalu durant la modernité dans laquelle le « principe de coupure » fut ce à partir de quoi l’on organisa les diverses institutions sociales. Et c’est une telle coupure qui exacerbe maintenant la peur et conforte, de ce fait, l’hystérie et les hallucinations collectives. Ce qui est fréquent en toutes les périodes de décadence

[1] Cf. J. Delumeau, La Peur en Occident, XIVe – XVIIIe siècles, Fayard 1978, p. 31, p. 64 sq.

[2] L’utilisation du mot Renaissance par le pouvoir en place s’apparente à la novlangue de 1984 :  appelons Renaissance les vieilles recettes éculées de la politique politicienne !

[3] Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, LIV I, ch. I, Pleiade, 1951, p.7

[4] Guy Delpierre, La Peur et l’être, Privat, 1974

 

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