28 juillet 2022

Pourquoi les pays africains refusent les surplus de stocks européens de vaccins

Usine-fabrication-vaccins

Jean-Michel Lavoizard publie sur Boulevard Voltaire une ana­lyse per­ti­nente sur la résis­tance du conti­nent afri­cain à se faire impo­ser la vac­ci­na­tion pour tous édic­tée par l’Occident.
Nous la relayons volon­tiers car son auteur est un excellent connais­seur de l’Afrique :

Ce 15 juillet, Pierre Delsaux, direc­teur géné­ral de l’Autorité euro­péenne de pré­pa­ra­tion et de réac­tion en cas d’urgence sani­taire (HERA, créée en sep­tembre 2021), inter­ro­gé par des par­le­men­taires euro­péens sur le sur­plus de stock de vac­cins anti-Covid, a fait cette décla­ra­tion :
« Je vou­drais vous dire une chose. Maintenant, aujourd’hui, les États membres sont dis­po­sés à don­ner des mil­lions et des mil­lions de doses de vac­cins à des pays pauvres. Le pro­blème, c’est qu’ils n’en veulent pas. J’ai des col­lègues qui passent des heures, des week-ends, des jours et des nuits à essayer de trou­ver un moyen d’envoyer ces vac­cins à des pays pauvres, mais ils n’en veulent pas. Désolé, déso­lé, ils n’en veulent pas. C’est un fait. »

Le bud­get glo­bal d’HERA s’é­lève à 6 mil­liards d’eu­ros pour la période 2022–2027, dont 1,3 mil­liard pour la pré­pa­ra­tion et la réac­tion en cas d’urgence sani­taire en 2022, qui dépasse les besoins communautaires.

Comment expliquer ce paradoxe apparent d’une main africaine nécessiteuse qui refuse celle, européenne généreuse, qu’on lui tend ?

Vu des ins­ti­tu­tions euro­péennes qui, outre­pas­sant les domaines de com­pé­tence fixés par leurs textes fon­da­teurs, pré­tendent impo­ser leur concep­tion du bien et du bon­heur aux citoyens euro­péens ain­si qu’à leurs tri­bu­taires loin­tains, jusque dans leur mode de vie et si besoin contre leur volon­té, cette consta­ta­tion peut paraître stu­pé­fiante et choquante.

Vu d’Afrique, c’est l’ignorance des réa­li­tés locales et l’arrogance, per­çues comme telles, qui sont cho­quantes, effet d’un pro­duit stu­pé­fiant bureau­cra­tique. Leur carac­tère invo­lon­taire n’excuse pas cette mal­adresse, même ani­mée des meilleures inten­tions, car l’aveuglement y est idéo­lo­gique et le déni de réa­li­té sys­té­mique. Au nom de la non-ingé­rence, qui encou­rage la mau­vaise gouvernance.

En effet, les pro­pos du fonc­tion­naire euro­péen sont révé­la­teurs d’un défaut carac­té­ris­tique de prise en compte des contextes cultu­rels et de la psy­cho­lo­gie des inter­lo­cu­teurs afri­cains, hyper­sen­sibles à la parole étran­gère, par fier­té cultu­relle et par sus­cep­ti­bi­li­té his­to­rique. À notre époque d’émancipations afri­caines vin­di­ca­tives et qué­ru­lentes dans tous les domaines, abou­tis­se­ment for­cé d’indépendances inache­vées, l’expression « les États sont dis­po­sés à don­ner » est per­çue comme condes­cen­dante. « Donner des mil­lions et des mil­lions de doses de vac­cins à des pays pauvres » peut être inter­pré­té comme une marque for­cée de men­di­ci­té, pour se débar­ras­ser d’une énorme quan­ti­té de vac­cins excé­den­taires et super­flus. Alors que la langue de bois ins­ti­tu­tion­nelle a rem­pla­cé arti­fi­ciel­le­ment tous les termes à conno­ta­tion néga­tive (tiers-monde, sous-déve­lop­pé, aide, etc.) par d’autres plus valo­ri­sants (en voie de déve­lop­pe­ment ou d’émergence, par­te­na­riat, etc.), « pays pauvres » ne passe plus. Surtout quand la faute morale et his­to­rique de la pau­vre­té per­sis­tante est attri­buée aux « dona­teurs bien­veillants ».

La conclu­sion, « c’est un fait », en dit long sur l’incompréhension des rai­sons du refus « de mil­lions et de mil­lions de vac­cins » inuti­li­sés en Europe.

Au-delà des ques­tions de forme, on peut conseiller au « géné­reux dona­teur euro­péen » de s’interroger d’abord sur la réa­li­té du besoin sani­taire en Afrique face à une pan­dé­mie de Covid encore moins dan­ge­reuse qu’en Europe, sur un conti­nent où les causes de mor­ta­li­té sont nom­breuses, faute de gou­ver­nance plus que de moyens. À la défiance popu­laire habi­tuelle envers les auto­ri­tés poli­tiques natio­nales s’ajoutent les rumeurs per­sis­tantes de com­plots des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales visant à jugu­ler la démo­gra­phie galo­pante par vac­ci­na­tion fal­si­fiée et sté­ri­li­sa­tion dégui­sée. D’où le refus par les popu­la­tions du COVAX.

C’est ain­si que les tech­no­struc­tures natio­nales et inter­na­tio­nales se heurtent à des rejets mas­sifs des popu­la­tions afri­caines, dont elles sont deve­nues des freins au déve­lop­pe­ment qua­li­ta­tif. Par leurs excès pro­cé­du­riers, leur lan­gage abs­cons et leurs pro­cess impor­tés et mal trans­po­sés dans les milieux locaux, l’administration du déve­lop­pe­ment est deve­nue le déve­lop­pe­ment de l’administration.

Enfin, on peut s’interroger aus­si sur la ges­tion euro­péenne des stocks de vac­cins et leur réelle uti­li­té sani­taire, indé­pen­dam­ment de leur valeur finan­cière. Pour que HERA, déesse grecque du mariage et de la fécon­di­té, mère d’Héphaïstos, dieu du feu, et d’Arès, dieu de la guerre, n’aggrave pas encore le divorce entre les citoyens euro­péens et leurs diri­geants, et n’alimente pas éga­le­ment la colère des peuples.

Jean-Michel Lavoizard

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