08 juillet 2022

La guerre nucléaire n’a pas eu lieu

Voilà bientôt cinq mois que la guerre a débuté en Ukraine et force est de constater que tous les pronostics apocalyptiques avancés fin février ne sont pas arrivés. Nous étions au bord de la guerre nucléaire, Poutine était prêt, parait-il, à lancer ses bombes sur les capitales européennes. Pour l’instant, nous n’avons pas encore été vitrifiés.

La guerre devait s’étendre au reste de l’Europe de l’Est : la Pologne devait être envahie ainsi que les pays baltes. Il n’y a pour l’instant pas de traces de chars russes à Varsovie ou à Riga. Ces pays étant membres et de l’UE et de l’OTAN, il paraissait néanmoins peu probable que la Russie soit assez folle pour s’attaquer à ces deux coalitions.

L’armée russe devait perdre et l’ukrainienne devait la chasser de son territoire : Moscou contrôle tout le Donbass et continue d’avancer à un rythme plus ou moins rapide. L’armée ukrainienne étant majoritairement installée dans le Donbass, une défaite de celle-ci dans cette région peut signifier une rupture totale du front et donc une débandade de Kiev. Les semaines qui viennent permettront de mesurer l’état de forme des deux armées.

Information ou propagande ?

Cette guerre a donné lieu à une désinformation qui montre une fois de plus que l’accès à l’information est un enjeu essentiel de toute guerre. Que la Russie ait envahi l’Ukraine, en violation du droit international, est une chose. Que la sympathie se porte spontanément sur les civils et qu’une aide soit apportée aux réfugiés et aux sans-abris est évidente. Que les propos du président Zelensky soit en revanche repris de façon systématique comme information juste et véritable est d’un goût douteux. Sur la quasi-totalité des chaines d’information, tout ce qui vient de Moscou est par nature faux et tout ce qui vient de Kiev est par nature vrai, sans aucune analyse ni distance critique. Lorsque les Russes ont pris l’île des Serpents, c’était une victoire symbolique. Lorsqu’ils en sont partis, cela fut présenté comme une victoire stratégique pour l’Ukraine. Une île qui est surtout un caillou, non habité, à portée de tirs d’Odessa comme de la Crimée, donc très difficilement défendable.

En se focalisant sur ce conflit au jour le jour, sans analyser la question à différentes échelles et sans expliquer toutes les imbrications du conflit, on noie les spectateurs dans un déluge de détails qui n’ont guère de sens, mais qui empêchent de comprendre les enjeux réels. Dans ce conflit nous furent quasiment sommés de choisir notre camp. Il fallait être pour l’Ukraine, de façon entière et totale, ou bien pour Moscou, car sinon accusé d’être les suppôts de l’atlantisme. On peut condamner la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine tout en n’éprouvant pas de sympathie pour un gouvernement de Kiev corrompu, qui détourne à des fins personnelles une partie des fonds qui lui sont donnés. On peut reconnaitre l’enchainement des responsabilités accumulées depuis 2014 qui ont conduit à la guerre de février, sans être un poutinolâtre de standing. En matière de corruption, la Russie n’a rien à envier à l’Ukraine.

État des lieux, état de fait

En ce début juillet, plusieurs éléments se dessinent :

L’armée russe contrôle le Donbass et personne ne pourra l’en déloger. On peut le regretter avec les Ukrainiens, mais aucun pays d’Europe n’a envie d’engager son armée et celle de l’OTAN pour reconquérir Donetsk et la Crimée. Il faut donc faire avec et trouver, malgré tout, une solution et une possibilité de paix. C’est ce que disait déjà Henry Kissinger fin mai à Davos. L’Ukraine a perdu, que cela nous plaise ou non. Le plus fort a gagné, Kiev est donc contraint d’accepter la perte de son territoire et de négocier une paix à partir de là.

Si la guerre est locale, ses conséquences sont mondiales. La guerre en Ukraine n’a pas provoqué l’inflation qui touche l’Europe ni sa pénurie d’énergie, mais elle a exacerbé une crise déjà présente depuis plusieurs mois. Endettement colossal, abandon du nucléaire pour les éoliennes et les panneaux solaires, développement du bio, confinements discontinus pendant plus d’un an, autant de décisions politiques qui ont détruits ou fragilisé les secteurs énergétiques et agricoles. La guerre est une infection supplémentaire ajoutée à une plaie déjà purulente.

La question du blé est vitale, tant pour l’Europe que pour les pays d’Afrique. Il y a urgence à permettre la sortie des blés russes et ukrainiens afin d’éviter d’ajouter une crise mondiale à une crise locale.

Plutôt que de livrer des munitions et des armes, les Européens devraient penser à l’édification de la paix et à la mise en place d’une stabilité continentale. Les capacités de production d’armement arrivent à terme, l’armée ukrainienne a perdu près de 20 000 soldats, il est donc temps de passer à autre chose.

Quelle paix pour l’Europe ?

L’intégration de l’Ukraine dans l’UE prendra au moins une quinzaine d’années, si elle se fait. Le sujet de la criminalité et de la corruption n’est pas le moindre des obstacles à l’entrée du pays dans le club de l’Europe.

L’Ukraine peut encore espérer conserver Odessa, mais jusqu’à quand ? La Russie peut être tentée de refermer sa tenaille sur la ville portuaire et ainsi de relier la région sécessionniste de Transnistrie avec le reste du Donbass récupéré. Si tel était le cas, Kiev perdrait son accès à la mer et deviendrait de facto un État enclavé. L’autre possibilité est que le front cesse au large de Mykolaev, laissant Odessa à l’Ukraine, mais que la guerre reprenne dans quelques années, avec cette fois-ci la prise de la ville. C’est ce qui s’est produit en 2014 quand la Russie a récupéré la Crimée, mais a attendu huit ans avant de lancer son offensive contre le Donbass. Pour Odessa, une guerre à échéance 2030 n’est donc pas à exclure.

Si les Européens ont établi très rapidement une série de sanctions, ils n’ont jamais défini les conditions de leurs levées. Compte tenu de la pression sur les prix du pétrole, les pénuries d’électricité et l’inflation forte en Europe, il leur faudra bien lâcher du lest à l’égard de la Russie. Mais à partir de quand accepte-t-on le retour en arrière ? Personne ne voudra perdre la face, reconnaitre la victoire de fait des Russes et accepter une levée des sanctions qui sera perçue comme un recul et une faiblesse. Tout l’art de la diplomatie consiste donc à réintégrer la Russie sans trop donner l’impression qu’elle a gagnée et en faisant oublier autant faire se peux que les Européens se sont fourvoyés. Plus la pression sociale sera forte à l’intérieur des pays, plus ceux-ci seront enclins à négocier seuls pour sortir rapidement du bourbier ukrainien. Le front uni de solidarité européen risque fort de voler rapidement en éclat. Les autres pays oseront-ils sanctionner les premiers qui décideront la levée des sanctions ? La période qui s’ouvre va être rude pour l’unité et la cohésion des Européens.

Jean-Baptiste Noé

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