05 juin 2022

L’ère du "comme si"

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Si le vocable "narrative" a colonisé les tribunes et les discours politiques, c'est parce qu’il y a bien longtemps que l’oxymoron de "réalité augmentée" a déserté l’univers digital de la chasse au Pokémon du début de ce millénaire, pour présider le Conseil de Ministres. La diffraction de la réalité s’est institutionnalisée. Nous passons d’une succession d’écriture narrée de la réalité, en totale forclusion des faits, à une autre. Emmanuel Macron et son gouvernement, dans sa gestion des événements du Stade de France, a procédé conformément à une habitude désormais installée, en étouffant la vérité, asphyxiant le messager, masquant les faits, tournant le dos à la réalité. Ivan Rioufol le décrit brillamment dans sa chronique pour Le Figaro : "Déni de la réalité, ce mal français".

Mais il y a pire, car cette impossibilité de rendre compte de la réalité n’est pas simplement idéologique. Il ne s’agit pas d’une manipulation calculée de la réalité, d’un mensonge pieux, d’une vérité tue, d’une concession de plus au politiquement correct, pas même d’un acte de propagande. Il s’agit de camper un monde, dans lequel la réalité n’a tout simplement plus cours. Il peut y avoir un calcul politique avant les législatives, ce n’est pas exclu, loin s’en faut. Mais cette conduite psychotique de diffraction de la réalité vient de loin, dans le cas d’Emmanuel Macron. C’est un marqueur pour lui et pour ceux qui l’accompagnent.

Emmanuel Macron : la vérité si je mens
Lutte contre la "post-vérité"... © F. Froger / Z9, pour FranceSoir

Gérald Darmanin a tout de même récidivé face au Sénat, agitant une fois de plus le stéréotype raciste et violent du hooligan anglais, se pressant aux portes du stade avec des entrées acquises frauduleusement. En revanche, s’il est possible d’évoquer le stéréotype de l’anglais hooligan, il ne serait pas possible de relever la présence non stéréotypique mais bien réelle de "blédards", avec leur sacoche, autrefois baise-en-ville surprenamment recyclé en conteneur de barrette de shit. Pourtant, ce terme de "blédards" est utilisé dans les cités et désigne la part de la migration non intégrée, perçue par les populations les plus exposées comme inassimilable, y compris dans un contexte ethnique homogène.

Le Truman Show dispose de l’antidote de la « fake news » pour colmater la moindre fissure qui laisserait pénétrer les nouvelles du monde réel. Le réel est une vue de l’esprit, nécessairement honteuse. La relation à la vérité au XXIème siècle ressemble beaucoup à celle d’une juridiction de l’Inquisition du XVIème siècle, classant les crimes contre la Foi entre propositions hérétiques, propositions erronées, propositions téméraires et propositions scandaleuses. Le réel est perçu comme tout cela tout à la fois, pour la doxa en cours.

Gérald Darmanin, au Sénat le 1er juin 2022
Devant les sénateurs, Gérald Darmanin affichait avant son audition un flegme... britannique. © Neyer Valeriano / FranceSoir

Pourtant, le réel a la dent dure. Les images sont là. Et elles sont humiliantes pour la France. Elles parlent d’une République ensauvagée. D’un endroit dangereux. Elles circulent sur les réseaux. Les chaînes d’information n’ont pas eu le temps de les censurer complètement. On y entend des propos farouchement racistes, avec un fort accent chleuh contre des Français, des Européens. On y observe des comportement crapuleux, lâches, d’inadaptés attaquant en piranha des supporters. Des femmes rapportent avoir été victime d’attouchements.

Par effet de contraste, la réponse des forces de l’ordre consiste à gazer des touristes assis à une terrasse. C’est pathétique pour des hommes en uniforme. Que dire de la chaîne de commandement ! Asperger de gaz lacrymogène des civils sur la voie publique, ne posant aucun problème de sécurité, est en passe de devenir une image d’Épinal de la macronie. Pendant ce temps, les hordes de resquilleurs s’installent en conquérants sur les gradins du stade.

Une des caractéristiques de la folie est la diffraction entre réalité et fiction. La confusion absolue entre les deux. Le glissement de l’une vers l’autre sans distinction. Et c’est cet univers psychotique qui s’est subtilement instauré. Nous vivons dans un gigantesque "comme si" qui nous force à tourner le dos à la réalité. Et cela s’applique à tous les terrains. Si les membres du bataillon Azov ont tous des croix gammées ou des symboles nazis, cela ne voudrait absolument pas dire qu’ils communient avec les idéaux nazis d’extermination de ceux qu’ils tentent pourtant explicitement de détruire depuis huit ans, parce qu’ils seraient d’une "race inférieure", même si les auteurs se fatiguent à rendre publiques leurs intentions dans tous leurs discours et écrits. Faisons comme si. Nions la réalité, même lorsque les perpétrateurs crient à tue-tête qu’ils sont ce qu’ils paraissent. Cela s’applique bien sûr aux mesures dystopiques du covidisme. Idem pour l'idéologie de genre, la négation de l’altérité sexuelle et le rejet de la science. On rejette la science, mais au nom de la science, on défend des nazis mais au nom de la démocratie, on laisse mourir des gens mais au nom de la santé, on fait nager des hommes dans des compétitions de femmes mais au nom du féminisme et ainsi de suite. Ce qui se perd avant tout, c’est le sens de la justice qui accompagne la manifestation de la Vérité.

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