Les récentes décisions de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique du Nord font couler beaucoup d’encre, jusqu’ici, en Europe et en France, comme si le sort de nos nations et de nos régimes étaient suspendus à celui d’une autre nation, d’un autre continent. Qu’il y ait de notoires convergences entre ce pays d’outre-Atlantique et le continent européen, c’est un truisme que de le rappeler, puisque ses fondateurs sont originaires de chez nous, et que notre morale, notre philosophie, notre politique et notre droit s’entrecroisent depuis trois cents ans, issus qu’ils sont de la même civilisation chrétienne, romaine et grecque. Nos constitutions françaises successives ont beaucoup dû à la constitution américaine de 1787, particulièrement l’existence d’un Président de la République – quoique le nôtre dispose d’ailleurs beaucoup plus de pouvoir que le leur.
Cependant, notre droit demeure fondamentalement différent du leur, malgré la pression des instances européennes, et la France n’a pas de Cour suprême, ainsi que le rappelait le général de Gaulle avec force : « En France, la seule Cour suprême, c’est le peuple français ». Aussi l’effroi qui semble saisir les partisans radicalisés de l’avortement comme droit ici prêterait à sourire si la matière n’était si tragique. Il y a peu de chances que le peuple français envoie jamais au parlement une majorité qui reviendrait sur la pratique de l’avortement – et on peut d’ailleurs s’en désoler puisque de ce qui paraît être ici un sens de l’histoire, les États-Unis viennent de démontrer la vanité, au nom de la liberté publique contre le droit à la vie privée. Ce faisant, les États-Unis assument leurs contradictions internes de pays libéral, la Cour suprême faisant prévaloir un jour un droit individuel, un autre une compétence étatique. Mais au moins demeurent-ils libéraux. Ici, où l’on fait semblant de l’être quand ça nous arrange, pour le pire, on ne l’est jamais quand ça peut être pour le meilleur : ainsi, les hystériques pro-avortements, après avoir modifié dix fois la loi Veil pour passer d’un état de tolérance et de dépénalisation à un droit dont l’exercice est même presque encouragé par les pouvoirs publics, qui le remboursent et en allongent sans cesse la durée, on veut désormais l’inscrire dans la constitution, le graver dans le marbre, et même le faire entrer dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Rappelons que cette Charte, élaborée en 2000, n’est devenue contraignante que depuis le Traité de Lisbonne de 2007, celui-là même dont l’on sait le caractère intrinsèquement anti-démocratique puisqu’il a été signé et ratifié contre l’avis du peuple français qui avait voté non deux ans plus tôt contre le projet de constitution auquel il se substitue. Belle justice que voilà. Rappelons aussi en passant que cette Charte des droits fondamentaux protège censément dans ses trois premiers articles : la dignité humaine ; le droit à la vie ; et le droit à l’intégrité de la personne. Tout ce contre quoi va l’avortement, sauf à considérer que pour un embryon il ne s’agisse ni de vie, ni de personne, ni même d’humanité.
Mais le plus beau est atteint lorsque nos contemporains découvrent, ou feignent de découvrir, que les hautes instances au jugement desquelles ils remettent leur sort, leur vie, leur destinée sont en réalité, comme toujours, des jouets des pouvoirs politiques. Ainsi, la Cour suprême des États-Unis était-elle parée de tous les oripeaux de la vertu tant qu’elle contresignait le vent de l’histoire selon les progressistes, savoir la consécration des innombrables et vertigineux droits individuels qui enfantent chaque jour que Dieu fait un nouveau petit frère ; ainsi est-elle coupable depuis hier de tous les maux de l’humanité. Oui, les conservateurs, à travers Donald Trump notamment, ont bien joué un jeu politique en faisant nommer au fur et à mesure des juges inamovibles qui allaient dans leur sens, comme les progressistes l’avaient fait précédemment. Non, il n’existe pas, ou plus depuis nos États se sont affranchis de tout pouvoir spirituel constitué (l’Église), d’instance supérieure qui se constituerait depuis Sirius, neutre, habitée de la seule volonté du bien commun et parfaitement indépendante. Il serai temps de s’en apercevoir. Non seulement ces juges ne sont issus qu’indirectement de la volonté du peuple, ce qui va parfaitement contre l’idée généreuse et insensée de séparation des pouvoirs, mais encore quand bien même la voix du peuple les porterait directement sur le pavois, il conviendrait de s’interroger sur le bien-fondé de cette légitimité qu’est censé conférer ledit peuple. Si l’on dote le peuple de gouvernements, c’est bien que l’on considère dans le fond qu’il est incapable de décider seul de son bien. Et l’on n’a pas tort. L’histoire est pleine de décisions « démocratiques » qui conduisirent au pire, depuis la Terreur jusqu’au régime nazi, en passant par le bolchévisme. Rappelons, puisque l’on parle de constitution américaine, que les pères fondateurs jugèrent nécessaire de l’élaborer, de la donner et de la promulguer après dix années où, s’étant libérés du joug anglais, ils avaient cru en une vertu et une bonté humaines qui ne se manifestèrent jamais. Alexander Hamilton parvint finalement à cette réflexion que la sagesse des siècles aurait pu lui souffler bien plus tôt : « Les hommes aiment le pouvoir. Donnez tout le pouvoir au grand nombre et la minorité sera opprimée ; donnez tout le pouvoir à la minorité et le grand nombre sera opprimé ».
Pour en revenir à notre France et à notre Europe, nous ne cessons d’élaborer des instances plus supérieures, plus distantes, que notre pensée magique nous fait considérer comme plus neutres : après le Conseil constitutionnel (dont encore une fois les membres sont nommés par les pouvoirs exécutif et législatif), on a créé la Cour européenne des droits de l’homme en imaginant que tel un nouveau Saint-Siège, ou telle une nouvelle Inquisition elle pourvoirait à tout du seul fait de son nom. Mais, outre que ses juges sont proposés par les exécutifs des 47 États membres et validés par une délégation parlementaire des mêmes États, on a pu juger au fil du temps que leur neutralité n’existait pas, et que nombre d’entre eux étaient des émanations de lobbies possédant une feuille de route claire et précise, devant nous mener à un avenir progressiste lumineux.
Ainsi, une fois encore, misère de l’homme sans Dieu où chaque camp crie à la justice de son choix, et on l’a dit il y a longtemps bien mieux que nous : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà (…) Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses ».
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