13 juin 2022

Cet obscur chemin que le rejet de la caste trace vers la démocratie liquide

Nous le sentons bien tous : nos institutions sont au bout de quelque chose. Maintenues artificiellement en vie faute d'un consensus évident pour leur redonner une belle jeunesse, la question se pose de savoir par quoi les remplacer. En réponse à mon ami François M. qui proposait de revenir à la version originelle du septennat gaulliste, je voudrais ici faire une synthèse de ce qui me semble une alternative incontournable : l'adoption d'une démocratie liquide adaptée aux temps à venir.

Je sais que, face à la crise institutionnelle rampante, certains (y compris parmi les contributeurs du Courrier) préconisent un retour à la Vè République à l’état pur, c’est-à-dire à une fonction présidentielle au-dessus des partis. C’était le principe d’un septennat avec des législatures de 5 ans, qui déconnectait le temps présidentiel du temps gouvernemental. 

Je voudrais dire ici, en synthèse (on me pardonnera, j’espère, d’ouvrir des débats sans les approfondir… mais une exhaustivité nuirait à la clarté du propos), quelle alternative me paraît préférable à cette remise en l’état. Et je voudrais dire brièvement pour quelle raison cette remise en l’état me paraît une mauvaise idée. 

Comprendre la crise institutionnelle en cours

Bien sûr, il y a (comme toujours dans la compréhension de l’Histoire), des facteurs circonstanciels auxquels il est tentant de réduire la crise institutionnelle que nous traversons. Pour certains, c’est une histoire de septennat. Pour d’autres, c’est la personnalité de Macron qui aurait phagocyté la politique traditionnelle. 

Tout cela est vrai, à des degrés divers. Mais il ne s’agit là que d’étincelles qui n’expliquent pas le long feu de l’allumette. 

Sur le fond, il me semble que nous traversons, bien plus largement que ces accidents ponctuels, une crise de la démocratie représentative. Celle-ci s’explique par son obsolescence technologique et intellectuelle. 

Aux origines de la crise qui frappe la démocratie représentative

Lorsque la démocratie représentative (moderne) est née, le niveau moyen de culture de la population était pour ainsi dire inexistant, l’analphabétisme était dominant, et les humains ne connaissaient même pas l’électricité. Ces contraintes sociales et techniques expliquent que la seule façon d’associer le peuple aux décisions dans un Etat centralisé reposait sur l’attribution d’un mandat électif. 

Aujourd’hui, l’analphabétisme est quasiment vaincu, et n’importe quel réseau social permet de faire voter en quelques minutes des dizaines de milliers de personnes sur n’importe quelle proposition, avec une proclamation immédiate des résultats. En outre, la diffusion de l’instruction fait qu’un député compte parmi ses électeurs au moins dix citoyens ordinaires qui connaissent mieux les dossiers techniques que lui. 

Comment peut-on croire que des institutions qui ne prennent pas en compte ces changements radicaux dans le contexte où le pouvoir s’exerce puissent satisfaire durablement les électeurs ? 

Je veux marteler ici que les conditions dans lesquelles la démocratie représentative est née ont radicalement changé. L’objectif d’associer le peuple aux décisions collectives qui le concernent ne peut plus passer par des mandats représentatifs tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, sauf à créer des frustrations durables, et le sentiment permanent de choix absurdes opérés en perdant la compétence des citoyens. 

Il est temps de reconnaître l’initiative citoyenne

J’ai bien compris que la caste qui capte le pouvoir à son profit ne veut pas remettre en cause ses privilèges et défend mordicus le principe de la démocratie représentative dont elle a fait sa chose. 

Mais cette option de conservation, qui n’est pas propre à la France (on se souviendra des étranges élections présidentielles américaines qui ont placé un débile au pouvoir il y a deux ans), n’est pas réaliste. La pression naturelle des peuples en faveur d’une gouvernance mieux partagée est inévitable. 

On pourrait résumer le devenir historique de la démocratie par la nécessaire reconnaissance de l’initiative citoyenne. On ne peut pas développer l’éducation, l’instruction, les technologies d’interconnexion immédiate, tout en maintenant ceux qui bénéficient de ces progrès dans une docilité humiliante, comme s’ils pouvaient s’asseoir à la table des adultes tout au long de la journée : dans leur entreprise, dans leur famille, dans leur club de sport, mais que, dès qu’il s’agit de pouvoir et de partage de la gouvernance, ils devraient rester à la table des enfants. 

L’initiative citoyenne dans l’ordre politique est inévitable. 

RIC et hyper-citoyenneté

Le Referendum d’Initiative Citoyenne (le RIC) est évidemment une étape essentielle dans le tâtonnement obscur qui guide les citoyens coincés dans la caverne de la démocratie représentative vers la lumière d’une gouvernance heureuse. 

Toute la question est de savoir par quelle conception de l’Etat assortir cette réforme inévitable. 

Je sais que beaucoup de défenseurs du RIC préconisent de généraliser l’intervention de l’Etat à tous les domaines de la société pour opérer une sorte de collectivisation permanente des destins individuels. C’est ce que j’appelle le projet d’hyper-citoyenneté. 

Dans ce projet, nous devrions siéger du matin au soir dans une assemblée permanente pour discuter de tout et décider de tout. 

Cette hyper-citoyenneté me paraît d’essence totalitaire, car elle autorise l’Etat à décider de tout, sous prétexte que l’Etat opère par referendum permanent. Nous savons tous l’imposture de gauche que cette option dissimule : elle repose sur l’idée que chaque citoyen doit se transformer en militant constant, qui donnerait sa vie au débat public, au détriment du reste, notamment de sa vie professionnelle ou de sa vie de famille. 

Je suis partisan d’un autre modèle : celui où ceux qui veulent jouir de la vie peuvent le faire sans que certains dogmatiques ou sectaires n’en profitent pour décider à leur place. 

RIC et réforme de l’Etat

Par rejet de l’hyper-citoyenneté qui est, selon moi, la première étape de la confiscation du pouvoir par une élite aussi dangereuse que la caste actuelle, je crois donc que le RIC est indissociable d’une profonde réforme de l’Etat. 

Le temps est venu de recentrer l’Etat sur ses missions régaliennes : la monnaie, l’impôt, la justice, l’ordre, la guerre. Pour le reste, toute intervention de l’Etat doit être interprétée comme le début du totalitarisme et combattue comme telle. 

Cette réduction de l’Etat à sa mission d’intérêt général es tla meilleure garantie donnée aux citoyens pour que le RIC ne donne pas naissance à un régime soviétique où des commissaires politiques prennent le pouvoir au nom du peuple. Et, dans certains projets que je vous fleurir sur le RIC, je crains que cette tentation soviétique ne soit très avancée. 

Transitivité des mandats

De mon point de vue, le RIC n’est au fond qu’un élément secondaire de la révolution institutionnelle dont nous avons besoin. Certes, le RIC est indispensable, mais il n’est qu’un début, une première étape, sur le long cheminement qui doit mener à l’émergence d’une démocratie d’un  nouveau genre. 

De mon point de vue, le plus important est de remettre en cause le principe du mandat représentatif, pour le remplacer par le mandat transitoire. Sur chaque sujet, sur chaque dossier, la décision publique doit associer les experts dont la société civile regorge, non pour leur abandonner le pouvoir, mais pour enrichir la vision politique avec leurs compétences techniques. 

La solution pour mettre en place ce système consiste, secteur par secteur, à délivrer un droit de délibération spécifique et transitoire, au besoin au moyen d’élections “techniques”, à ceux qui connaissent particulièrement tel ou tel dossier. 

Bien entendu, leurs options doivent être soumises à la validation populaire, mais il me semble que les lois seraient plus intelligentes et mieux écrites si elles étaient préparées avec des sachants validés par l’opinion. 

Scrutin préférentiel

Enfin, dans cette énumération succincte (et imparfaite, je le répète) des points fondamentaux de ce qu’est ou serait une démocratie liquide, il me paraît indispensable de réformer le mode de désignation des élus, et tout particulièrement du Président, si nous devons en garder un. 

Le scrutin majoritaire présente les limites bien connues qui nous épuisent : il nous oblige plus souvent à voter pour le candidat que nous détestons le moins que pour le candidat que nous préférons. La technique du scrutin préférentiel, utilisée par la primaire de gauche, et accessoirement utilisée dans certains pays, me semble devoir être longuement méditée et ruminée, pour être adaptée dans des conditions qui satisferaient le plus grand nombre. 

Si l’on garde à l’esprit qu’il ne s’agira plus d’élire un hyper-président intervenant sur tout, mais seulement le chef d’un exécutif compétent sur les seules fonctions régaliennes, cette réforme du mode de scrutin pourrait avoir un sens. 

L’implosion avant la construction

Ces quelques lignes, j’insiste, sont évidemment succinctes, et je demande au lecteur de ne pas les juger sur leurs lacunes, mais sur leur inspiration. Elles méritent forcément de longs débats contradictoires. 

Mais elles ont une utilité : rappeler qu’une crise institutionnelle n’est pas une fin funeste pour un Etat démocratique, mais au contraire, dans le cas qui nous occupe, le commencement d’une nouvelle destinée heureuse. Laissons-nous embarquer par l’Histoire !

Adapter nos institutions à leur époque est de toute façon inévitable. 

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