04 juin 2022

Caucase et Asie centrale : les contrecoups de l’Ukraine

Les conséquences de la guerre en Ukraine ne se limitent pas à l’Europe : c’est tout l’ancien espace soviétique qui est concerné par ses contrecoups, dont le Caucase.

La guerre de l’automne 2020 dans le Karabagh s’est soldée par un cessez-le-feu qui a figé les combats sans trouver de réelles solutions pour la paix. Si l’Azerbaïdjan a récupéré un certain nombre de territoires, c’est l’intervention de la Russie qui a permis de séparer les belligérants et d’imposer un armistice, les négociations s’étant déroulées à Moscou entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La Russie dispose toujours d’un contingent sur la ligne de front, en charge du maintien de la paix et de l’application des accords. Cette situation ne satisfait aucune des parties, ni Erevan ni Bakou n’ayant intérêt à une prolongation de la présence des troupes russes. Les deux camps sont conscients que la guerre en Ukraine change la donne.

La Russie pourrait avoir besoin de ses troupes basées au Caucase et risque donc de les rapatrier sur le front du Donbass afin de poursuivre l’offensive contre Kiev. Si tel était le cas, c’est l’arc-boutant de la sécurité au Karabagh qui risquerait de tomber. L’Arménie craint que le départ des troupes russes provoque une nouvelle attaque de l’Azerbaïdjan, afin de s’emparer du reste du Karabagh, l’Azerbaïdjan pour sa part ne voulant plus dépendre des Russes, désireux d’avoir une souveraineté pleine et entière sur les terres prises à l’issue de la guerre.

Très affaiblie par la défaite, même si elle ne participa pas à la guerre de façon directe, l’Arménie est décidée, contrainte et devant la force des choses, de tourner la page. Le gouvernement d’Erevan a reconnu la prise du Karabagh par l’Azerbaïdjan, désirant ne plus être affaibli par un conflit qui dure depuis 1994. Avec 3 millions d’habitants, l’Arménie pèse peu face à l’Azerbaïdjan (10 M) et surtout face à la Turquie (85 M). Elle est consciente qu’elle ne sera que perdante face à une reprise du conflit.

Asie centrale : la fin des temps soviétiques

Pour sa part, l’Azerbaïdjan désire témoigner de son indépendance, tant à l’égard de Moscou qu’à l’égard d’Ankara. Il y a donc urgence pour Bakou de ne plus dépendre de la Russie, surtout au moment où Moscou est mis au banc des nations d’Europe. Coincé entre la mer Caspienne, la Turquie et l’Iran, l’Azerbaïdjan est très dépendant de ses voisins pour exporter son pétrole et assurer la bonne tenue de son commerce. La paix au Karabagh est donc aussi une urgence, surtout au moment où les États-Unis recommencent à négocier avec l’Iran et où la Turquie joue une diplomatie fine et intelligente, revenant sur le devant de la scène.

De son côté la Géorgie a fait le choix de la Russie, ce qui divise le Caucase en deux et ravive les fractures historiques et politiques de cette région de montagnes et de peuples mêlés. Or le Caucase demeure une région essentielle pour l’Europe tant elle est un carrefour des routes du pétrole et du gaz. À l’heure où les Européens ont fait le choix de se passer du gaz et du pétrole russe (le pourront-ils vraiment ?), ils ne pourront pas se passer du Caucase.

La France a une longue histoire tant avec l’Arménie qu’avec l’Azerbaïdjan, même si ces deux pays sont ennemis. La proclamation de la première république indépendante d’Azerbaïdjan se fit en 1918 à Paris et l’acte fut rédigé en français. La francophilie est encore très présente sur les bords de la Caspienne, ce qui est un atout au moment où cette région redevient centrale. Le risque pour la France et les Européens est de laisser passer une nouvelle fois le coche, permettant à la Turquie de jouer ses cartes et de faire du Caucase son arrière-cour. Or les velléités d’Erdogan sont toujours très présentes, tant en Afrique qu’en Méditerranée. Nous sommes certes focalisés sur l’Ukraine, mais cela ne doit pas nous conduire à oublier les autres marges de l’Europe, qui demeure essentielles sous bien des aspects.

La fin des ex-républiques soviétiques

Depuis 1991, l’Asie centrale est systématiquement présentée comme l’espace des « ex-république soviétique ». 30 ans plus tard, la donne a pourtant changé, mais l’on continue de voir ces pays comme des enfants qu’ils ne sont plus puisqu’ils ont trente ans de plus. Le temps passe, y compris dans les steppes d’Ouzbékistan et du Kazakhstan. Une nouvelle élite a pris le pouvoir, en témoigne le passage de témoin au Kazakhstan entre le président Nazarbaïev et Kassym-Jomart Tokaiev. La jeunesse de ces pays n’a pas connu l’époque soviétique et parler d’avant 1991 relève de l’histoire bien plus que de la mémoire. La Chine est désormais un acteur central et important, ce qu’elle n’était pas il y a encore quinze ans. La Turquie, toujours elle, rêve d’un grand espace turcophone qui pour l’instant demeure au stade du rêve. Là aussi il y a, pour la France et pour l’Europe, une nécessité à agir, à activer les leviers diplomatiques et économiques, à renforcer les liens de ces pays indépendants qui sont en train de bâtir leur propre histoire. À défaut, ce sont les Chinois qui prendront les premières places.

La Russie plutôt que le Mali

Enfin demeure le vaste espace de Sibérie. La Russie est en train de consommer sa jeunesse dans cette guerre fratricide (près de 20 000 morts) ce qui est d’autant plus dramatique pour un pays qui n’arrive pas à enrayer un déclin démographique de longue date. Le Donbass est certes une région industrielle, mais la plupart des usines sont anciennes et vieillies. La guerre a apporté son lot de désolation et de destruction, ce qui nécessitera non seulement du temps, mais aussi beaucoup d’argent pour remettre ces régions à pied. Or la Sibérie est un espace sous-employé et sous-développé, qui subit la présence des convoitises chinoises. Il y eut mieux valu, pour Moscou, mettre à profit sa jeunesse et les millions de la reconstruction à valoriser l’espace sibérien. Alors que l’on évoque beaucoup, à raison, la rupture européenne de la Russie et son pivot vers la Chine, cela ne se manifeste pas dans la mise en valeur de l’espace russe, Moscou se concentrant sur l’espace européen et non pas sur l’espace asiatique. Il y aurait beaucoup à faire avec Vladivostok ainsi que dans les relations avec le Japon, un voisin russe.

Loin de conduire à un développement de l’espace laissé russe, la sécession et l’indépendance des anciens pays soviétiques n’a pas amené la Russie à reconsidérer son territoire et son aménagement. Moscou est resté dans une nostalgie plus ou moins active de l’Empire, au détriment de son propre espace intérieur. Il y aurait pourtant beaucoup à faire pour améliorer la vie quotidienne des Russes et pour mettre en valeur un territoire prometteur et pourtant sous-employé. Mieux à faire en tout cas qu’à se lancer dans un néo-colonialisme au Mali ou dans une guerre dont on ne voit pas la fin en Ukraine.

Jean-Baptiste Noé

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