« C’était un homme extrêmement compliqué chez qui s’affrontaient toujours le bien et le mal, » dit la réalisatrice Agnieszka Holland à propos de Jan Mikolášek (1889-1973), héros de son film intitulé Šarlatán (Le Charlatan). Le film a mis en lumière la personnalité complexe de ce guérisseur célèbre aux allures de magicien et aussi sur ses Mémoires parues en 2019 aux éditions Mladá fronta.
Jan Mikolášek, un homme tiraillé entre le bien et le mal
Jan Mikolášek a écrit ses Mémoires dès les années 1950 mais le livre n’a pu paraître dans sa version intégrale et sous le titre Paměti přírodního léčitele – Mémoires d’un guérisseur naturel qu’en 2019. L’ouvrage apporte un témoignage direct sur la vie de son auteur mais suscite aussi beaucoup de questions car il est évident que Jan Mikolášek ne nous raconte pas tous les événements importants de son existence et qu’il soumet ses Mémoires à une espèce d’autocensure. Le lecteur a donc envie de voir derrière les apparences et d’entrer dans l’intimité de cet homme qui évoque sa vie et garde en même temps son secret. C’est ce qui intriguait sans doute aussi les cinéastes dont la réalisatrice Agnieszka Holland qui en fait le héros de son film :
C’était un homme extrêmement compliqué chez qui s’affrontaient toujours le bien et le mal, ce qui est bon et noble avec une tendance terrible vers le mal, une passion ténébreuse. En même temps, et cela m’intéresse particulièrement aujourd’hui, il était une espèce de conformiste narcissique. Au fond il croyait que ce qu’il faisait était tellement important que cela lui permettait de faire des compromis de tout genre. »
La jeunesse d’un jardinier
Fils d’un jardinier, le petit Jan Mikolášek aime bien jardiner avec son père mais il adore flâner dans les prés en cueillant des fleurs et des plantes médicinales. Dès le plus jeune âge il prépare des tisanes pour ses proches et s’intéresse aux propriétés des plantes. Et lors d’une rencontre avec une vieille guérisseuse, il se découvre aussi le don de guérisseur et de diagnostiqueur. Il est cependant promu à la carrière de jardinier et son savoir-faire et sa probité lui permettent d’entrer successivement au service de plusieurs grands seigneurs tchèques et autrichiens. Il devient jardinier des parcs de grandes demeures et la vie lui sourit mais sa carrière prometteuse est brutalement interrompue par la Grande guerre.
Dans l’enfer de la Grande guerre
Le jeune jardinier qui déteste la violence et les armes devient chair à canon et part au front russe où l’attendent des souffrances indicibles. Comme il n’a pas envie de se faire tuer pour l’empereur François-Joseph, il décide de se blesser intentionnellement et de profiter de ses connaissances d’herboristerie pour feindre une maladie incurable. Ainsi il réussit à quitter le front et à passer le temps qui reste jusqu’à la fin de la guerre dans divers hôpitaux de l’empire autrichien. La paix revenue, il abandonne petit à petit le métier de jardinier parce que sa réputation de guérisseur quasi miraculeux lui amène de nombreux clients. Agnieszka Holland ne croit pas beaucoup aux succès thérapeutiques des guérisseurs mais elle constate que le cas de Jan Mikolášek était exceptionnel :
« Ce qui est intéressant c’est que dans le cas de Mikolášek ce n’était pas une supercherie. Il était extrêmement intelligent et même génial, un diagnostiqueur intuitif et rationnel à la fois qui savait aider les gens d’une façon incroyable par sa connaissance des plantes médicinales. (…) Il guérissait les riches et les pauvres, il ne faisait pas de différence. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale il aidait aussi bien des nazis que des résistants… »
La célébrité d’un guérisseur
Difficile à croire aux capacités quasi magiques de ce guérisseur génial malgré sa renommée. Selon d’innombrables témoignages de ses contemporains il lui suffit d'observer l'urine du malade dans une éprouvette pour faire son diagnostic avec une précision ahurissante. Ses consultations sont gratuites, mais en même temps il prescrit à ses clients des tisanes de sa production qu’ils doivent acheter. Des foules de malades attendent chaque jour devant sa villa luxueuse et il est capable de les expédier tous en un temps record. Sa réputation et sa fortune augmentent et il devient même bienfaiteur et mécène de la région. On se raconte des anecdotes sur des guérisons miraculeuses mais aussi sur les particularités de son caractère, sur ses lubies, sa désinvolture et la grossièreté avec laquelle il traite parfois ses clients. Les malades désespérés et condamnés par la médecine conventionnelle, voient en lui une lueur d’espoir. Agnieszka Holland constate :
« Il aurait guéri, à en croire ses paroles, cinq millions et demi de malades. Je suis un peu sceptique en ce qui concerne ce chiffre énorme, mais qui sait, il est peut-être vrai. La République n’était pas si grande que ça et presque tout un chacun se faisait traiter par Mikolášek ou connaissait quelqu’un qui se faisait traiter. Naturellement, c’est déjà du passé, mais il y en a qui se le rappellent encore aujourd’hui ou se souviennent que quelqu’un leur a raconté tout cela. »
Les nazis et les communistes
Parmi les clients de Jan Mikolášek, il y a des gens simples mais aussi beaucoup de riches et de personnalités importantes. Il affirme traiter tout le monde de la même façon mais il est évident que les faveurs des grands de ce monde le flattent et lui profitent. Ainsi pendant la Deuxième Guerre mondiale, il y a parmi ses clients entre autres Martin Bormann, chef du bureau d’Adolf Hitler, ou la sœur du ministre chargé du protectorat Bohême-Moravie, Karl Hermann Frank.
Ces fréquentations lui compliqueront beaucoup la vie après la libération en 1945. Ecroué et accusé de collaboration et d’homosexualité, il partage pendant quelque temps le sort des vaincus de la guerre. Mais ses anciens clients importants ne le laissent pas tomber. Il est libéré au bout de quelques mois et sa carrière de guérisseur miraculeux reprend de plus belle. Evidemment, il doit composer avec le régime communiste qui prend le pouvoir dans le pays. Agnieszka Holland voulait saisir dans son film les antagonismes intérieurs de cet homme secret :
« Nous le présentons comme un personnage dramatique et même tragique. La lutte entre le diable et l’ange ou entre Dieu et le diable se déroule en lui-même, dans son âme. Nous voyons comme il est difficile quand un homme est exceptionnel, quand il a un don exceptionnel. Dans certaines circonstances ce don peut devenir sa damnation et la fierté peut transformer un homme généreux en quelqu’un qui fait du mal. »
Protégé du président de la République
En 1945, Antonín Zápotocký, un des hommes forts du parti communiste, revient du camp de Mauthausen grièvement malade - une de ses jambes est gangrenée. Menacé d’amputation, le leader communiste se fait soigner par Jan Mikolášek qui parvient à le guérir. C’est grâce à la protection de cet homme puissant qui devient en 1953 président de la République que Jan Mikolášek pourra poursuivre sous le régime communiste sa brillante carrière de guérisseur malgré l’hostilité de certains milieux politiques et médicaux. Adoré par ses malades, il est aussi envié pour ses richesses et jalousé par beaucoup de médecins.
Une vie comme un miroir du XXe siècle
La mort du président Antonín Zápotocký en 1957 est donc pour lui un véritable désastre. La presse communiste lance une campagne de dénigrement contre lui et il se voit accuser de charlatanisme, de corruption et de fraude fiscale. Condamné, il passe presque quatre ans en prison et ses biens sont confisqués.
C’est un homme vieux, brisé, malade et pauvre qui revient de la prison en 1964 et qui est livré à la charité de ses anciens amis. Il vivra encore neuf ans et ses tentatives timides de revenir au métier de guérisseur seront toutes avortées. Le journaliste Josef Klíma qui s’intéresse beaucoup à la vie de Jan Mikolášek, replace son sort dans le contexte historique de son temps :
« C’était un homme exceptionnel et extrêmement populaire qui a subi les conséquences de tous les affres du XXe siècle, d’abord les nazis, puis les communistes, et qui a fini par être emprisonné. Et finalement, il a passé la dernière étape de sa vie dans la maison d’un médecin pragois qui le respectait beaucoup, ce qui signale déjà quelque chose. Ce médecin lui a offert le refuge chez lui. Sa vie est donc comme un miroir du XXe siècle. »
Un livre qui suscite beaucoup de questions
Ce dernier chapitre de la vie de Jan Mikolášek ne figure pas dans ses Mémoires. On sent que ce livre n’a pas été écrit pour donner une image objective d’une vie mais plutôt pour défendre son auteur. En refermant le livre le lecteur est assailli par de nombreuses questions. Peut-on croire à tout ce que dit l’auteur sur ses capacités, ses méthodes et ses succès thérapeutiques ? Était-il vraiment capable de prédire avec précision le jour et l’heure de la mort des malades ? Dans quelle mesure les guérisons quasi miraculeuses des malades étaient-elles dues seulement à leur espoir de guérir suscité par la réputation et le charisme de leur guérisseur ? Les Mémoires de Jan Mikolášek sont donc également une matière à réfléchir sur les possibilités et les limites du métier de guérisseur et aussi sur le rapport entre la médecine conventionnelle et la médecine alternative.
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