16 mai 2022

Henri Guaino au Figaro : "Nous marchons vers la guerre comme des somnambules"


L’ancien conseiller du président Sarkozy a donné un long texte au Figaro, dont nous avons repris les points importants. Les voix lucides sont rares sur la situation, dans le grand tam-tam américano-sioniste actuel. Pour Henri Guaino, nous sommes plus à l’aube d’un « 1914 » que que d’un « 1939 ».

En 1914, aucun dirigeant européen n’était dément, aucun ne voulait une guerre mondiale qui ferait vingt millions de morts mais, tous ensemble, ils l’ont déclenchée. Et au moment du traité de Versailles aucun ne voulait une autre guerre mondiale qui ferait soixante millions de morts mais, tous ensemble, ils ont quand même armé la machine infernale qui allait y conduire.

Selon lui, les dangereux mécanismes en action de chaque côté de la frontière ukraino-russe peuvent éviter la déflagration générale si la volonté diplomatique de trouver une issue et l’envie de chaque côté d’une désescalade existent. Or, ce n’est pas le cas. Guaino souligne la responsabilité de l’OTAN dans l’engrenage.

En étendant l’Otan à tous les anciens pays de l’Est jusqu’aux pays baltes, en transformant l’Alliance atlantique en alliance anti-Russe, en repoussant les frontières de l’Union européenne jusqu’à celles de la Russie, les États-Unis et l’Union européenne ont réveillé chez les Russes le sentiment d’encerclement qui a été à l’origine de tant de guerres européennes. Le soutien occidental à la révolution de Maïdan, en 2014, contre un gouvernement ukrainien prorusse a été la preuve pour les Russes que leurs craintes étaient fondées. L’annexion de la Crimée par la Russie et son soutien aux séparatistes du Donbass ont à leur tour donné à l’Occident le sentiment que la menace russe était réelle et qu’il fallait armer l’Ukraine, ce qui persuada la Russie un peu plus que l’Occident la menaçait. L’accord de partenariat stratégique conclu entre les États-Unis et l’Ukraine le 10 novembre 2021, scellant une alliance des deux pays dirigée explicitement contre la Russie et promettant l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, a achevé de convaincre la Russie qu’elle devait attaquer avant que l’adversaire supposé soit en mesure de le faire. C’est l’engrenage de 1914 dans toute son effrayante pureté.

Il insiste sur l’engrenage qui emporte des parties concernées, et qui a sa propre logique. Chacune des parties a ses raisons de prolonger le conflit, plus des justifications morales de le mener. Guaino accuse les États-Unis et leurs alliés, nous dirons leurs vassaux, de bloquer toute solution diplomatique.

Si la guerre froide n’a pas débouché sur la troisième guerre mondiale, c’est d’abord parce qu’aucun de ses protagonistes n’a jamais cherché à acculer l’autre. Dans les crises les plus graves, chacun a toujours fait en sorte que l’autre ait une porte de sortie. Aujourd’hui, au contraire, les États-Unis, et leurs alliés, veulent acculer la Russie.

Si toute la presse mondialiste tire à boulets rouges sur Poutine et sa prétendue folie, alors que sa réaction à l’encerclement de la Russie était prévisible, ce sont bien les dirigeants américains qui sont pris de folie. Un jusqu’au-boutisme dont l’Europe subira peut-être encore une fois les conséquences. Et les subit déjà, économiquement parlant.

Quand on agite devant elle la perspective de l’adhésion à l’Otan de la Finlande, de la Suède, de la Moldavie et de la Géorgie en plus de celle de l’Ukraine, quand le secrétaire américain à la Défense déclare que les États-Unis « souhaitent voir la Russie affaiblie au point qu’elle ne puisse plus faire le genre de choses qu’elle a faites en envahissant l’Ukraine », quand le président des États-Unis se laisse aller à traiter le président russe de boucher, à déclarer que « pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » et demande au Congrès 20 milliards de dollars en plus des 3 milliards et demi déjà dépensés par les États-Unis pour fournir en masse des chars, des avions, des missiles, des canons, des drones aux Ukrainiens, on comprend que la stratégie qui vise à acculer la Russie n’a plus de limite.

Alors que les dirigeants de l’Empire et leurs vassaux (Macron, Trudeau, Leyen) évoquent ce Nouvel Ordre mondial qui serait le garant de la paix sur Terre, ils sont en réalité en train de semer le chaos, créant un nouveau désordre mondial. La raison ? L’évolution multipolaire des relations inter-États ne profite plus aux États-Unis qui, selon leur propre expression, préfèrent renverser la table.

Mais elle sous-estime la résilience du peuple russe, comme les Russes ont sous estimé la résilience des Ukrainiens. Acculer la Russie, c’est la pousser à surenchérir dans la violence. Jusqu’où ? La guerre totale, chimique, nucléaire ? Jusqu’à provoquer une nouvelle guerre froide entre l’Occident et tous ceux qui, dans le monde, se souvenant du Kosovo, de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye, pensent que si la Russie est acculée, ils le seront aussi parce qu’il n’y aura plus de limite à la tentation hégémonique des États-Unis : l’Inde qui ne condamne pas la Russie et qui pense au Cachemire, la Chine qui dénonce violemment « les politiques coercitives » de l’Occident parce qu’elle sait que si la Russie s’effondre elle se retrouvera en première ligne, le Brésil qui, par la voix de Lula, dit « une guerre n’a jamais un seul responsable », et tous les autres en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique qui refusent de sanctionner la Russie. Tout faire pour acculer la Russie, ce n’est pas sauver l’ordre mondial, c’est le dynamiter. Quand la Russie aura été chassée de toutes les instances internationales et que celles-ci se seront désintégrées comme la SDN au début des années 1930, que restera-t-il de l’ordre mondial ?

Le nouveau monde (qui n’est plus américain !) ne veut plus de l’hégémonie de Washington, qui utilise désormais le chantage aux sanctions contre tous les pays qui ne fileraient pas droit. De plus, nous ne sommes plus en 1945, ni même en 1975, après la guerre du Viêt Nam. L’Inde, la Chine, la Turquie, l’Iran (évidemment), le Brésil, ne se soumettent plus aux oukases militaro-monétaires américains. Guaino, qui est un gaulliste convaincu, rappelle les mots du Général en 1966 à propos d’une déflagration nucléaire, qui trouvent un écho avec la situation actuelle :

« La Russie soviétique s’est dotée d’un armement nucléaire capable de frapper directement les États-Unis, ce qui a naturellement rendu pour le moins indéterminées les décisions des Américains, quant à l’emploi éventuel de leur bombe. »

Le chef du Pentagone (26 avril 2022) :
« Personne ne souhaite une guerre nucléaire »

La tribune d’Henri Guaino sur Sud Radio

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