L’avantage d’une belle et grande union de la gauche, c’est qu’elle permet d’envisager un nombre important de députés aux prochaines législatives dont la campagne se met péniblement en place. Mais l’inconvénient, c’est qu’il a bien fallu trouver des idées à mettre en commun. Et parfois, les mélanges piquent.
On ne peut pas nier un certain talent à Mélenchon qui est parvenu à rallier sous la même étiquette une tripotée de partis politiques bigarrés et aux intérêts parfois divergents : après la gauche plurielle du début des années 2000 qui entendait présenter une sorte de socialisme rose-pastel, plus petit dénominateur commun des différents partis agglutinés en son sein, l’actuel leader de la France Insoumise propose donc une espèce de gauche gloubiboulga, résultat de l’étrange coagulation de partis pro-nucléaires mais anti-nucléaires, pro-laïcs mais communautaristes et pro-européens mais anti-européens, aux priorités clairement différentes voire antagonistes mais à l’envie d’accéder au pouvoir suffisamment forte pour que ces dissensions et ces antagonismes sachent se taire complètement. L’arrivisme permet toutes les audaces.
Néanmoins, pour parvenir à faire tenir cette émulsion aussi instable que l’huile et le vinaigre, il faut secouer très fort et ne pas laisser le temps à la sauce de reposer, bref, faire des compromis. Et s’il n’était pas question de remettre en cause l’Union européenne il y a encore quelques semaines de cela, l’éventualité de renverser la table n’est plus écartée.
Bien évidemment, comme tout, ici, est affaire de compromis, on ne le dira pas ainsi : au lieu de « retourner la table », on lui fera simplement « subir une rotation technique temporaire et maîtrisée » ou, dit autrement, on se ménagera des zones de désobéissance tactique, prévues par absolument aucun traité mais baste on s’en fout, c’est de la politique, votez, votez, votez, il en restera bien quelque chose.
Cette posture d' »Europe à la carte » pour les Insoumichons est intéressante à plus d’un titre.
D’une part et bien qu’ils s’en défendent avec véhémence, c’est finalement assez peu différent de ce que proposait une Marine Le Pen (qui s’est d’ailleurs commodément évaporée depuis le 25 avril) lorsqu’elle évoquait de renégocier les traités européens notamment pour remettre le droit national au-dessus du droit européen, à l’inverse de ce qui est mis en place actuellement.
Il est assez clair que Marine Le Pen n’aura jamais l’occasion de renégocier les traités, et qu’une remise en question telle qu’elle proposait revient ni plus ni moins qu’à sortir plus ou moins franchement de l’Union telle qu’elle existe. Pour les propositions de Mélenchon, il en va de même : on voit assez mal comment il va pouvoir pousser sa désobéissance sans provoquer une crise politique européenne majeure qui aboutirait dans le meilleur des cas à des trains de sanctions et dans le pire à une sécession pure et simple.
D’autre part, au-delà de ces simples remarques sur la faisabilité réelle de ces propositions électorales (de toute façon, qui croit encore un politicien, de nos jours ?), force est de constater qu’en additionnant sur ce sujet européen les voix de la gauche gloubiboulga et celle de la droite nationaliste, on obtient une large majorité de votants qui ont clairement montré leur euroscepticisme.
En somme, il apparaît que les Français ne sont d’ores et déjà plus majoritairement convaincus par l’Union européenne : il semble clairement exister à présent l’envie sinon de quitter l’Europe, au moins d’en remettre en question les principes de fonctionnement fondamentaux.
À ce titre, la future (et putative) majorité parlementaire de Macron sera sur ce sujet bien peu solide : il va devoir prétendre, devant les instances européennes, à une posture pro-européenne qu’il ne pourra asseoir sur une quelconque légitimité du peuple, ce dernier étant manifestement de plus en plus méfiante vis-à-vis de l’Europe et de ses institutions.
Or, cette tendance n’est pas propre aux seuls Français.
Les peuples polonais et hongrois semblent s’inscrire dans cette même approche rebelle, et s’agacent franchement face aux règles que la Commission tente d’imposer de plus en plus unilatéralement. Pour illustrer ceci, il suffira de prendre le dernier exemple en date concernant le « pass Covid », qui a été dernièrement prolongé jusqu’à l’été 2023 alors même que toutes les restrictions sont maintenant levées dans la plupart des pays européens.
Sentant les peuples renâcler aux règles de plus en plus contraignantes que les institutions européennes édictent, ces dernières ne donnent cependant aucun gage d’assouplissement de leurs positions, au contraire : l’actuelle crise ukrainienne donne un véritable boulevard aux délires autoritaires de l’Union européenne qui continue de s’enfoncer dans l’idée folle de sanctionner la Russie alors même que ces sanctions se retournent contre l’Europe et laissent la Russie de marbre, amenant même le rouble au-dessus de son cours avant crise, et plaçant la monnaie européenne en difficulté face au dollar qui la grignote aussi.
Manifestement, la zone euro va droit vers de graves soucis, voire une explosion complète mais la réponse institutionnelle semble bloquée sur « toujours plus » de ce qui n’a pas marché.
Sans surprise, cette intransigeance idiote alimente en retour le ressentiment des peuples dans une espèce de cercle vicieux : la Hongrie rejette par exemple la proposition d’embargo sur le pétrole russe en réalité indispensable à l’économie européenne. On attendra la réponse européenne à ce refus qui se traduira probablement comme en avril par de nouvelles sanctions, accroissant les tensions internes, etc.
Superbe union européenne qui ne semble plus progresser maintenant qu’à coups de menaces et de coercitions, antithèse même du projet européen initial, qui aboutit à opposer de plus en plus violemment une Europe réaliste à une Europe idéologique, une Europe du Nord d’économie solide et d’excédents budgétaires à une Europe du Sud (dont la France fait partie) perclue de dettes abyssales et aux déficits croissants, d’une Europe des peuples qui aspirent à retrouver une vie normale sans restrictions idiotes contre une Europe de technocrates avides de pouvoir qui ne veulent rien lâcher.
Dans ce cadre et alors que les leaders politiques français de l’opposition accumulent les idées provocantes, on aura du mal à ne pas remémorer de l’exemple du Royaume-Uni, qui, sorti de cette union devenue étouffante, n’a pas du tout subi la catastrophe annoncée, au contraire…
Les prochains mois, les prochaines années ne seront pas seulement déterminants pour une France en pleine déconfiture mais aussi pour la zone euro puis, par extension, pour l’Union européenne qui pourrait bien ne jamais se remettre de l’entêtement ridicule de ses dirigeants.
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