27 avril 2022

Le peuple en 2022

En 1965, Tixier-Vignancour réalisait 5% des voix. Cinquante-sept ans plus tard, Éric Zemmour en a engrangé 7. L’électorat est très certainement sociologiquement le même et ce sont les petits-enfants et arrière-petits-enfants des électeurs anti-gaullistes et Algérie française qui, se comptant autour du président de Reconquête, réalisaient encore une fois il y a quinze jours qu’ils étaient toujours très minoritaires.

Pendant ce temps, le directeur de campagne de Tixier, un certain Jean-Marie Le Pen aura eu, à la force du poignet et avec l’aide circonstancielle de François Mitterrand, jeté les bases d’un grand parti populiste, dont sa fille a hérité, et qu’elle a fait monter jusqu’à près de 24% au premier tour, et 41,5 au second. Quelles incompréhensions auront séparé ces deux électorats que le même amour de la France devrait guider, et que nous appelions la droite ?

Du côté des bourgeois, c’est-à-dire des zemmouriens, on n’a évidemment pas lu Marx, à peine Guilluy et Fourquet qui ne sont que des observateurs et en rien des théoriciens, et partant on n’aura rien compris à la sociologie ni admis qu’existait un vote de classe. Le plus difficile dans l’exercice est évidemment de délimiter les classes, qui ne sont plus les mêmes qu’au XIXe siècle et entendre qu’une vieille dame retraitée de la Côte d’Azur ne votera pas comme Jordan du 62 à cause des retraites, qui lui-même ne votera pas comme Mohammed du 9-3 alors qu’ils sont aussi pauvres et du même âge, Mohammed qui peut-être votera comme Sandrine du XIe arrondissement de Paris, bien que lui soit pour l’asservissement de la femme sous le voile et elle pour qu’on achève le patriarcat (blanc) sans sommation, que lui pratique l’abattage rituel et qu’elle soit antispéciste. Tout cela est bien compliqué, mais ne manque cependant pas de logique. Si l’on veut bien regarder le peuple, et mieux, daigner lui parler.

Le secret, au fond du fond, c’est qu’en démocratie existe très peu de vote d’idée – nous n’osons même pas prononcer le doux mot d’idéal. Le triste, très triste, secret, c’est qu’il n’y a pas de politique de l’offre : que personne, contrairement à ce que croyaient les chatons de la Zemmourie, n’arrive en proposant et – pire – en imposant des sujets, comme ils disent ; personne qui puisse expliquer au peuple, ce misérable tas de petits intérêts, ce qu’il doive penser ni, plus, pour quelle cause il doive voter.

Ça fait quarante ans que des gens bien intentionnés alertent sur les risques que fait peser notre mode de vie sur la planète et tous les biotopes qui nous entourent. Tout le monde est abstraitement d’accord, mais personne n’a jamais porté les Verts au pouvoir. Ça fait cinquante ans que certains, tels le Front National (en 1972, à sa fondation, le slogan était déjà : « Avant qu’il ne soit trop tard »), tirent la sonnette d’alarme sur l’immigration. Tout le monde en a marre, mais personne n’a jamais donné une majorité à ce camp. La seule et terrible vérité de la démocratie du suffrage universel direct, c’est que le citoyen de base, ou bien a oublié qu’il l’était et ne vote pas, ou bien vote pour qui lui semble sympathique et aimable, ou bien plus souvent donne son suffrage à qui lui semble le mieux à même de le protéger. Ce qui est parfaitement admissible : mais le protéger indique généralement dans sa tête uniquement se vouer à celui qui protègera ses intérêts matériels et immédiats. Et pourquoi pas : c’est aussi le rôle du politique.

Seulement, si l’on revient à des pensées aristotéliciennes, le politique a aussi et tout de même une visée plus lointaine, qui transperce sans l’abolir cette défense du bas temporel : il s’agit de perpétuer l’amitié qui lie les animaux sociaux entre eux. Il s’agit de bâtir une cité qui soit une famille de familles. Ça paraît bien peu, et c’est pourtant la fondation de tout. Sans cela, rien qui demeure, rien qui s’élève. Et cela nécessite que les multiples étages s’entendent, se supportent, s’aiment parfois, sans s’entredéchirer. Cela suppose une bonne foi qui passe outre la volonté de domination de son prochain. Cela suppose un amour du bien commun. Que ce qui décide l’homme de se vouer au bien commun relève de l’amour égoïste de son intérêt personnel bien compris ou au contraire de son dévouement généreux à la cause générale est très important à discriminer du point de vue de la morale ; reste que la vie sociale peut, parfois, et sous certaines conditions, s’accommoder de sentiments veules, à condition que l’organisation générale soit assez puissante pour les surélever et les changer en dons appropriables par tous. Le mafieux qui se pense très malin ne sera jamais qu’un parasite recréant une société parallèle née et vivant sous le royaume de la force, qui finira par crever sous les balles de sa violence, et qui si jamais il prenait le pouvoir réellement devrait se résigner à gouverner comme tout le monde, prisonnier de cette première contingence qu’est l’existence de cet autre qu’on appelle le peuple. Aussi ne sort-on jamais de cette négociation perpétuelle avec le fait qu’on est plusieurs.

Cela, les zemmouriens ne l’ont jamais saisi, convaincus ab ovo qu’ils étaient de détenir une vérité sur la France, laquelle devait bien finir par plier devant ce qu’ils appelaient le réel et qui n’était finalement que des discours de salon. En finir avec l’immigration, oui ; déraciner les mœurs africano-musulmanes importées et insupportables, bien entendu. Mais au nom de quoi et avec quel peuple ?

Marine Le Pen, seule dans son coin, possédait, elle, ce peuple dans sa manche. Qu’elle n’eût pas grand chose à dire n’enlevait rien au fait qu’elle le connaissait, savait lui parler, le rassurer, et lui promettait par sa seule personne un relèvement et une vengeance (bas sentiment) que nul autre, et certainement pas un polémiste plateau télé, ne pouvait brandir. Mais Marine restait un adjudant-chef qui sait soigner ses hommes, et on lui a demandé de devenir généralissime dominant le champ de bataille. La défaite était certaine. Et on en a repris pour cinq ans.

Cependant, rien n’est perdu. Certes s’est levée une extrême gauche fort angoissante, créolisation de bobos enivrés de révolution gauchiste woke et d’islamisme, radical ou pas c’est pareil, qui n’entend rien céder des territoires qu’elle a déjà occupée ; certes, un Macron pour mille ans, croit-il, vernit un extrême centre sur quoi danser la gigue pendant que le monde s’écroule ; certes, la droite, les droites, ont failli en tout, et d’abord en intelligence. Mais reste que ce peuple qui fut 41 existe et qu’il a prouvé dans ce rassemblement, de circonstance bien sûr, qu’il existait toujours et ne voulait pas mourir. C’est une puissante force pour qui saurait s’en emparer, et le chérir, et l’écouter réellement, et ne pas moquer son désir de ce que les ignobles statisticiens nomment son pouvoir d’achat qui n’est seulement qu’une volonté de poursuite de sa common decency. Certainement, il faut élever le peuple et lui raconter ce qu’il y a là-haut sur ces cimes où il a craint d’aller par peur de manquer de respirer ; certainement, il faut lui faire voir le vrai soleil qui vaut mieux que son litron de gasoil. Mais pour cela, il faut lui réapprendre qu’il est un homme, un homme complet, et qu’un homme ça ne fait pas seulement que s’empêcher comme disait l’autre, mais qu’un homme, ça passe l’homme, comme disait encore mieux un autre, et qu’il s’agirait après avoir mangé d’apprendre à lire, à penser, à aimer, à prier.

Auteur: idlibertes

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