A l’occasion du “massacre de Boucha”, dont la responsabilité a été d’office attribué à qui l’on sait, sans nécessité d’enquête et d’appréciation, a été évoquée la possibilité d’un engagement direct entre l’OTAN (les USA) et la Russie, que Ukrisis a brutalement rendu possible et, pour certains même, souhaitable.
Il semble bien que nous n’y soyons pas encore, mais la poussée de psychologie folle qui se manifeste permet de constater que, pour ces esprits ainsi enfiévrés, la possibilité d’un conflit nucléaire n’est en rien une barrière infranchissable ni une folie impensable. Cette possibilité fut pourtant cette barrière infranchissable et cette folie impensable qui, tout au long de la Guerre Froide, écartèrent le risque suprême de l’anéantissement réciproque. Notre époque n’a plus cette sagesse. Elle est emportée par un affectivisme dément et manifeste une “rage impotente” qui trouverait enfin son omnipotence si sa pression terrible nous menait à une telle extrémité. Il reste possible, sinon assez probable, de résister à cette pression mais il n'est nullement indifférent de savoir qu’elle existe bel et bien.Ce que nous nommons “monstre nucléaire” pourrait s’énoncer “retour du nucléaire”. C’est que nous connaissons actuellement avec Ukrisis, avec une suite de coup de boutoir communicationnel qui remettent au premier plan des commentaires suscités par cette terrible question : “Pourquoi pas jusqu’au nucléaire ?”. Cela se fait avec une aggravation constante du questionnement, le dernier épisode pouvant être résumé, chez les plus extrêmes avec pourtant certains présumés très sérieux, – donnant cette remarque étrange : “Oui, pourquoi pas le nucléaire, mais cela ne sera pas ‘la même chose’ que précédemment...”.
Ce dernier point est manifeste puisqu’il est l’enfant monstrueux du monstrueux massacre de Boucha, dont on ne sait s’il ne s’agit pas après tout, tant les choses ont été très vite faite et maladroitement, d’une monstrueuse manipulation. Partir en guerre pour une “manipulation”, on a déjà vu et c’est même très courant ; mais pour la guerre nucléaire ?
Voici le début d’un texte de Caitlin Johnstone, repris par ‘ConsortiumNews’ le 4 avril. Elle reprend l’interview du professeur John Spencer, du Modern War Institute, sur MSNBC, le réseau TV le plus à gauche aux USA.
« Lors d’une apparition dans l’émission ‘Velshi’ de MSNBC, John Spencer, du Modern War Institute, a explicitement préconisé un conflit militaire direct entre les États-Unis et la Russie en raison d'allégations de crimes de guerre dans la ville ukrainienne de Boucha.
» “Je suis prêt à m’engager en ce moment, – contrairement à ce que j’étais avant ce jour, – pour mettre les gens en contact direct avec la Russie, pour arrêter la Russie”, a déclaré Spencer. “Appelez cela du maintien de la paix. Appelez ça comme vous voulez. Nous devons faire plus que fournir des armes. Et par ‘nous’, je veux dire les États-Unis. Oui, nous le ferons en coalition avec beaucoup d’autres, mais nous sommes l’exemple. Alors mettons des troupes au sol, envoyons nos systèmes d’armes directement à la Russie”.
» Remarquez la gymnastique verbale bizarre utilisée par Spencer pour obscurcir le fait qu'il prône une guerre chaude avec une superpuissance nucléaire : “mettre les gens en contact direct avec la Russie”, “envoyer des armes directement à la Russie”. Qui parle comme ça ? Il appelle l'armée américaine à tirer sur l’armée russe, il le dit juste très bizarrement.
» Pour être clair, ce n'est pas seulement un groupe de réflexion financé par l'industrie de l’armement qui dit cela ; le Modern War Institute fait partie du département d’instruction militaire de l’Académie militaire des États-Unis, géré directement par le Pentagone .
» Interrogé par l'animateur de l'émission, Ali Velshi, sur ce qu'il pensait des avertissements selon lesquels une confrontation militaire directe avec la Russie pourrait conduire à une guerre nucléaire, Spencer a déclaré : “C’est un risque énorme, je le comprends. Mais aujourd'hui, c’est différent”. »
Nous partions qu’en principe tout honnête homme bien informé sait de quoi l’on parle lorsque l’on parle de “guerre nucléaire”, guerre d’anéantissement de l’espèce, sans vainqueur ni vaincu, face qui induit dans l’extrême de sa logique à une complète et commune description... Mais nous n’avons peut-être pas raison avec ce “en principe”.
Il y a dans l’intervention de Spencer, qui n’est qu’un exemple parmi d’autres ces derniers jours, l’affirmation qu’il faut aller à une éventuelle guerre nucléaire selon un argument effectivement très bizarre, sinon complètement incongru et déraisonnable, sinon tout simplement lunatique :
« C’est un risque énorme [...] Mais aujourd'hui, c’est différent »
... Car en quoi une guerre nucléaire aujourd’hui est-elle différente d’une guerre nucléaire hier puisqu’une guerre nucléaire est par essence un phénomène de guerre absolue, puisqu’avec la possibilité de l’anéantissement ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’une guerre nucléaire après Boucha est une guerre nucléaire plus morale ? (Sans savoir de quoi Boucha est le nom, mais bon..) Que les morts d’une guerre nucléaire après Boucha sont beaucoup plus moraux que ceux d’une guerre nucléaire d’avant... ?
Certes et en plus, il y a le fait qu’il s’agit d’un universitaire d’une académie du Pentagone, et qu’il émet une opinion, de la possibilité/sinon de la nécessité de la guerre nucléaire selon un argument moral appuyé sur un événement extrêmement suspect, et de toutes les façons sans commune mesure dans ses effets et dans sa nature à tout ce qui précède dans le raisonnement. L’affectivisme, – car c’est bien de lui dont il s’agit, – tient, dans ce cas, de la démence pure... Et tant pis pour la morale, surtout lorsqu’on fait partie du gang américaniste-militariste qui n’a cessé de s’illustrer, de My-Lai à Panama City, à Belgrade, à Bagdad, à Faloujah, etc., sans parler de ses innombrables provocations et manipulation du phénomène ‘false flag’, en général pour pouvoir déclencher une guerre “morale” (plutôt que “guerre juste”, concept dont il faut se garder si l’on n’a pas Thomas d’Aquin comme conseiller spécial du Pentagone, rétribué par Lockheed-Martin...)
Cela nous conduit à l’observation du phénomène de “relativisation” et “d’abêtissement” du phénomène absolu qu’est la guerre nucléaire. Cette subversion du concept passant du relatif à l’absolu est la marque de fabrique de l’affectivisme comme démarche subversive de l’esprit postmoderne. Des esprits les plus soi-disant sérieux en sont affectés comme les autres, – nous voulons dire : plus, bien plus que les autres...
Le nucléaire et la mémoire courte
Un point important des diverses situations d’affrontement militaire
que nous avons connues depuis la fracture de 1989-1991 a été la
quasi-disparition du facteur de la possibilité de la guerre nucléaire
qui fut le fondement conceptuel de la Guerre Froide. Ce facteur
terrifiant écrasa les relations stratégiques pendant la période et eut
la vertu paradoxale d’engager les deux principaux rivaux, les deux
superpuissances, à une prudence extrême, voire à une coordination réelle
pour ne pas risquer d’atteindre ce niveau de quasi-anéantissement
réciproque. Ceux qui vécurent avec cette condition absolue (et nous en fûmes, sans aucun doute) en ont gardé la trace, et ils eurent beaucoup de mal :
1) à imaginer qu’on puisse n’en plus tenir compte d’une façon absolument impérative réglant tout le reste ; et
2) à envisager l’idée qu’on puisse se lancer, somme toute le cœur léger
et la communication moralinesque en bandouillère dans des conditions
puis des conflits où un affrontement USA-Russie deviendrait une
possibilité extrêmement concevable, voire pire encore.
Mais bon, nous ne fûmes bien sûr pas les seuls dans ce cas. On donnera ici, d’un texte du 17 mars 2022 de Tom Engelhardt (« Cold War II or World War III? »), une description de ce phénomène de perception à propos de l’Ukraine (qui s’est encore aggravé avec la poussée d’irrationalité du massacre’ de Boucha). Il faut signaler qu’Engelhardt, sur son site fameux ‘Tomgram.com’, est un commentateur très nettement de gauche, qui fut un opposant résolu à Trump et qui, bien sûr, s’élève avec vigueur contre l’action militaire russe en Ukraine. (On le voit, par exemple, à la description qu’il fait du sort des centrales nucléaires ukrainiennes, épousant complètement la narrative occidentale, depuis largement mise en question comme il l’est en général des narrative américanistes-occidentalistes.) Mais ses réflexions reprises ici ne sont nullement idéologiques, elles sont psychologiques et concernent la perception radicale et écrasante (la deuxième destruction de l’humanité qu’il évoque est la catastrophe climatique, qui ne fait aucun doute pour lui, mais qui n’est plus la priorité) :
« ...Ce qui me ramène à Vladimir Poutine. Ce qui est étrange avec cette autre forme de suicide planétaire qu’est l’armement atomique, c'est que, depuis au moins la fin de la guerre froide, elle n’est généralement pas sur la table (pour ainsi dire) ou dans les nouvelles. Certes, pendant les années Trump, le président a implicitement menacé de faire pleuvoir l'enfer nucléaire sur la Corée du Nord, – il a parlé de "feu et de fureur”, – et, à un moment donné, il a évoqué la possibilité de mettre fin à la guerre d'Afghanistan par une telle frappe, mais la plupart du temps, de 1990 à hier soir, les armes nucléaires (l'Iran, qui n'en possédait pas, mis à part) ne faisaient tout simplement pas partie de la conversation. [...]
» Alors que toute cette activité est en cours depuis longtemps et suscite remarquablement peu d'attention, les armes nucléaires, – et les possibilités apocalyptiques – ont à nouveau fait les gros titres grâce à Vladimir Poutine. Après tout, alors que ses troupes se dirigeaient vers l'Ukraine, il a soudainement et très publiquement émis une directive mettant ses forces nucléaires en “alerte élevée” et a offert ce joyau au monde :
» “Quiconque tente de nous entraver, et plus encore, de créer des menaces contre notre pays, contre notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate. Et elle vous conduira à des conséquences telles que vous n'en avez jamais rencontrées dans votre histoire.”
» Pour rendre son propos encore plus clair, il a rapidement supervisé le lancement test de quatre missiles balistiques à capacité nucléaire. Étant donné que les États-Unis disposent toujours d'un grand nombre d'armes nucléaires tactiques basées en Europe, considérez que nous sommes à nouveau, comme lors de la première guerre froide, sur le qui-vive et dans une impasse nucléaire. Pendant ce temps, en Ukraine, les Russes menacent de répéter la catastrophe de Tchernobyl en s'emparant des centrales nucléaires qu'ils ont installées et entretenues en temps de guerre dans un feu d'horreur. L'une d'entre elles a déjà été capturée dans des circonstances effrayantes.
» Avec le recul, le plus étrange est peut-être que la plupart des Américains, et peut-être même la plupart des habitants de la planète, ont pratiquement oublié la menace nucléaire. Rétrospectivement, on peut se demander comment cela a pu être possible, surtout si l'on a mon âge et que l’on se souvient de l’apprentissage de protection à l'école, lors d’exercices répétés d’attaques nucléaires, alors que les médias de l’époque se demandaient si les gens devaient partager leurs abris nucléaires personnels avec leurs amis et voisins. Et n’oubliez pas que c'était à l'époque où, en réalité, les armes nucléaires russes ne pouvaient pas encore atteindre notre pays (alors que les États-Unis avaient déjà la capacité de dévaster le monde communiste).
» Voici donc une étrange ironie : pendant les années où nous étions le plus attentifs, ils n’auraient rien pu nous faire. Une fois qu’ils ont vraiment eu la capacité de faire, nous avons essentiellement commencé à oublier ces armes. Ainsi, aujourd'hui, la destruction potentielle de l'humanité est de nouveau sur la table ; – et cette fois-ci, de manière assez brillante, de deux manières différentes. »
La “rage impotente”
Nous pensons sans originalité que cette question de l’emploi du nucléaire a, du côté du bloc-BAO, essentiellement à voir avec la psychologie, et une psychologie exacerbée, complètement indifférente à toute raison et à toute mesure. Il s’agit du produit de ce que Larry Johnson nomme la “rage impotente”, dans ce passage d’un texte où il explique les réactions de ceux qui espéraient que le “massacre de Boutca” conduirait à une entrée en guerre de l’OTAN. (Et Johnson, lui, ne doute pas une seconde que le “massacre” fut un ‘false flag’ organisé.)
« Connaissez-vous l'expression “rage impotente” ? C'est ce que vivent actuellement les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN. Je soupçonne que les informateurs qui ont aidé les Ukrainiens à organiser le massacre de Boutca comptaient sur un raz-de-marée de rage pour pousser l'OTAN à agir. Mais cela ne s'est pas produit. Au lieu de cela, l'Europe a opté pour de nouvelles paroles de colère et des sanctions économiques qui vont à l'encontre du but recherché. »
Cette “rage impotente”, ou “rage impuissante” si l’on veut, marque dans l’esprit de ceux qui veulent à tout prix impliquer directement l’OTAN, cette démarche psychologique qui, d’une façon presque absolue, ignore complètement la question du nucléaire. C’est bien en revenir à la remarque du “c’est différent” (« C’est un risque énorme [...] Mais aujourd'hui, c’est différent »), qui signifie finalement, si l’on veut bien être un peu rude dans la traduction : la “question” de la guerre nucléaire n’existe plus, seule existe la nécessité de réagir à mesure de l’horreur absolue de cet acte de massacre tel qu’on le perçoit, tel qu’il est décrit, voire tel qu’il est fabriqué et simulacré justement pour activer cette “rage impotente” ; une sorte de cercle vicieux si l’on veut, dont le seul verrou à faire sauter pour en sortir, celui de la logique extrême puisqu’il s’agit d’arriver à une confrontation Russie-USA (via OTAN), ouvrirait la voie inévitablement vers ce qui devrait être au terme une confrontation nucléaire.
On ne s’interroge même plus, notamment comme le font avec brio un Scott Ritter et un Joe Lauria, comment défaire l’imbroglio de Boucha, en prenant en compte les divers éléments qui font fortement douter de la culpabilité russe, puisque, comme l’écrit Lauria :
« ...lorsqu’il s’agit de guerre, les nations occidentales se dispensent du besoin d'enquêtes et de preuves et prononcent une culpabilité fondée sur des motifs politiques : la Russie est coupable. Affaire classée. »
Ce qui importe désormais, c’est de rendre omnipotente cette “rage impotente”, et donc d’utiliser tous les outils disponibles pour cela. L’outil suprême est-il le nucléaire ? Eh bien, l’on envisagera sans vraiment d’interrogation, ni même peut-être d’hésitation, de l’employer, c’est-à-dire d’arriver à une situation de confrontation nucléaire. La “rage impotente” qui anime l’affectivisme moraliste affirmant l’empire de la morale et la punition de tous ceux qui sont dans le camp du mal, cette rage domine tout le reste. C’est elle qu’il faut satisfaire, ce qui correspond parfaitement à l’idéologie dominante où la nature doit se plier à nos exigences, où les conditions d’anéantissement de l’arme nucléaire doivent se conformer à l’oukase de la morale, – c’est-à-dire en ne tuant que les “méchants”, mais par centaines de millions si l’on veut, et l’on voudrait bien parbleu !
Ainsi entend-on mater le monstre nucléaire, ainsi le “monstre nucléaire” tend à n’être plus ce qu’il fut, ce processus d’anéantissement réciproque. Nous caricaturons à peine, car il nous semble bien que c’est cette voie, cette façon de penser, que suivent de plus en plus lestement et la vertu au cœur, les cohortes de nos zélotes bellicistes. C’est cette psychologies qui conduit à considérer de moins en moins le nucléaire comme quelque chose qui est à part, une Matière furieuse qui contient la Fin des Temps, cet “éclair plus clair que mille soleils” et le « Maintenant nous sommes tous des fils de pute » dit par Bainbridge à Oppenheimer... Tiens, lisez ceci :
« Assistant à l’explosion de Trinity, la première bombe atomique, le 17 juillet 1945, James M. Farrel nota pour son compte-rendu officiel : “Les effets lumineux défièrent toute description. Tout le paysage fut illuminé par une lumière écrasante d'une intensité plusieurs fois supérieure à celle du soleil de midi. Elle était dorée, mauve, violette, grise et bleue. Elle éclaira chaque pic, crevasse et crête de la chaîne de montagne voisine avec une clarté et une beauté qui ne peut être décrite mais doit être observée pour être imaginée... ” Bainbridge dit à Oppenheimer : “Maintenant nous sommes tous des fils de pute.” Oppenheimer dit qu’il avait pensé à ce verset du Bhagavad-Gita : “Si dans le ciel se levait tout à coup la Lumière de mille soleils, elle serait comparable à la splendeur de ce Dieu magnanime...” Plus tard, en 1965, pour la constitution des Atomic Archives, il précisa longuement en modifiant d’une manière significative la citation, passant de l’illusion de l’éclair à la pénombre de la méditation au bord des abysses du Mordor :
» “Nous savions que le monde ne serait plus le même. Certains ont ri, certains ont pleuré. La plupart étaient silencieux. Je me suis souvenu d'une ligne du texte hindou, le Bhagavad Gita ; Vishnou essaye de persuader le Prince de faire son devoir et, pour l‘impressionner, prend son apparence aux multiples bras et lui dit : ‘Maintenant je suis la Mort, le destructeur des mondes’. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d’une façon ou d'une autre”. »
On suppose que tout cela ne fait plus le poids devant les numéros inspirés de Zelenski, qualifiés d’héroïque par les grandes stars d’Hollywood (qui préparent des films, certes). Il n’est bien entendu nullement assuré que la “rage impotente” l’emporte et déclenche le feu des “mille-soleils”. Mais elle essaiera jusqu’au bout, à chaque occasion. Il faut savoir tout de même que l’ignorance et l’irresponsabilité des zombies ont conduit les récipiendaires de ces traits de caractère de la modernité-agonisante au terme de leur voyage et que les susdits zombies profiteront de la moindre occasion pour tenter d’allumer ce feu du ciel.
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