Trente ans après l'ouverture du Mur de Berlin et la chute de l'URSS, l'Europe est en train de se casser. Apparemment, les pays européens de l'OTAN sont unis pour livrer des armes à l'Ukraine. Mais derrière l'unité de façade, le front est en train de se fissurer. Il n'y a pas d'accord sur l'acceptation des modalités d'achat du gaz russe - en roubles. Plus largement, cela pose la question de la possibilité d'une réelle internationalisation du conflit. Les pays européens vont sans doute être de plus en plus absorbés par les retombées inflationnistes des sanctions appliquées à la Russie. Quant aux livraisons d'armes, elle se heurtent aux limites des stocks disponibles. Et de plus en plus à l'absurdité d'une situation où les armes sont détruites par les frappes balistiques russes à peine sont-elles arrivées en Ukraine.
La Bataille d’Ukraine
Lu sur Southfront.org:
“Les forces armées russes ont continué à cibler les infrastructures militaires et les centres de transport en Ukraine. Bien que l’armée ukrainienne ait, à son tour, intensifié ses frappes sur les installations situées directement sur le territoire russe, les forces armées russes n’ont pas attaqué les ” centres de décision “. Auparavant, les forces armées russes avaient déclaré qu’elles prendraient de telles mesures si l’armée ukrainienne poursuivait ses frappes sur des installations situées dans des villes russes (…) Le matin du 27 avril, un drone Bairaktar de l’armée ukrainienne a été abattu au-dessus de la région de Kursk, en Russie. Au-dessus de la ville russe de Voronezh, le système de défense aérienne a également été activé à plusieurs reprises.
À Belgorod, un dépôt de munitions des forces armées russes a également été frappé, apparemment à l’aide d’un drone Bairaktar.“.
Commentaire: à vrai dire, l’envoi de drones et les quelques bombardement d’artillerie sur le territoire russe ont d’abord pour but de détourner les forces de la Russie du théâtre principal du combat. Les auteurs de ce compte-rendu cèdent à un parallèle exagéré entre les frappes balistiques russes et ces provocations ukrainiennes (vraisemblablement pilotées par l’OTAN – nous en reparlons plus bas). Et il faudrait mettre mieux en relief les gains russes:
“Le ministère russe de la Défense a indiqué qu’une zone fortifiée des forces armées ukrainiennes dans la région de Nikolaïev a été détruite.
Les positions des unités ukrainiennes disposaient d’un vaste réseau de tranchées et de postes de tir équipés.
Le ministère russe de la Défense a déclaré que les militaires ukrainiens ont été invités à déposer leurs armes. En outre, ceux qui n’ont pas déposé volontairement leurs armes ont été détruits par des tirs d’artillerie.
Lors de leur retraite, les soldats ukrainiens ont laissé sur leurs positions des armes légères, des munitions et plus de 30 militaires morts“.
C’est en fait la situation à laquelle l’armée russe se heurte désormais: des troupes ukrainiennes retranchées, difficiles à déloger rapidement, même si la supériorité tactique et opérationnelle de l’armée russe emporte finalement la décision.
Continuons notre lecture – vous pouvez vous repérer sur la carte ci-dessus où l’on voit que l’armée russe avance lentement mais sûrement vers le coeur de la forteresse du Donbass – Slaviansk et Kramatorsk:
“Le 26 avril, l’artillerie de la DNR a frappé avec succès les positions de l’armée ukrainienne dans la direction de Donetsk.
Les unités de la République populaire de Donetsk ont saisi plusieurs positions fortifiées des forces armées ukrainiennes près d’Avdiivka, à l’extérieur de Donetsk. Des pertes significatives ont été signalées dans les forces armées ukrainiennes.
Le 26 avril, Zavodi, Zaretchnoïe et les faubourgs de Iampol sont passés sous contrôle russe dans la direction d’Izioum-Slavonic. L’information a été confirmée par l’état-major des forces armées ukrainiennes.
Les positions de l’armée ukrainienne dans la colonie de Zavody avaient empêché les forces armées russes d’avancer vers Velika Kamichevaha. Le chemin est maintenant libre. Le matin du 27 avril, l’avancée des unités de la Fédération de Russie et des troupes des Républiques de Donetsk et Lougansk dans la zone s’est poursuivie”.
Le 26 avril, les forces armées ukrainiennes ont tenté une contre-attaque à Rubizhne et Novotoshkivske. La tentative a échoué, les forces armées ukrainiennes ont battu en retraite avec des pertes en hommes et en matériel.
Le 26 avril, un groupe de militaires de la 79e brigade de combat détachée de l’armée ukrainienne s’est rendu près de Iampol. Ils ont remis des armes et des équipements militaires (…)“
Par ailleurs: “Dans la matinée du 27 avril, une deuxième frappe a été effectuée sur un pont ferroviaire à Zatoka, dans la région d’Odessa, en Ukraine, qui avait déjà subi des dommages lors de la première frappe hier (…) Le ministère russe de la Défense rapporte que des missiles Kalibr de haute précision et de longue portée lancés depuis la mer ont détruit des hangars contenant un important lot d’armes et de munitions étrangères fournies par les États-Unis et les pays européens aux troupes ukrainiennes dans l’usine d’aluminium de Zaporizhzhya.
Les forces de défense aérienne russes ont abattu 18 drones ukrainiens”
Le sujet qui préoccupe les observateurs, depuis trois jours est celui de la Transnistrie, où les Ukrainiens peuvent être tentés d’obtenir une première vraie “internationalisation du conflit“:
“Dans la nuit du 27 avril, un sabotage par un groupe de reconnaissance ukrainien a été empêché en Transnistrie, près du village de Colbasna, où se trouvent d’importantes installations de stockage de munitions et d’armes. Plusieurs grenades ont explosé près des dépôts militaires à la suite d’un contact avec des tirs”.
Par ailleurs, toujours selon Southfront.org:
“Selon diverses sources, 3 000 militants de l’organisation turque d’extrême droite Loups Gris ont été transférés en Ukraine. L’arrivée de 3 000 Loups gris à la frontière ukraino-polonaise a été signalée pour la première fois il y a une dizaine de jours, mais on sait seulement maintenant qu’ils ont déjà été déplacés dans les directions de Kharkov et d’Odessa-Nikolaïev (trois escadrons de 1 000 combattants chacun ont été déployés). Des convois de combattants turcs sont passés par Jmerenka, ainsi que des équipements lourds et de l’artillerie. Apparemment, ces unités devraient être utilisées pour des contre-attaques près de Kharkov et Nikolaïev ou pour une attaque contre la Transnistrie.
Les combattants étrangers et les soldats des unités régulières de l’OTAN remplacent de plus en plus les unités exsangues de l’armée ukrainienne sur les lignes de front.
Le conflit se déplace lentement mais sûrement vers la phase de guerre à grande échelle entre la Russie et l’OTAN“
Va-t-on vers une guerre ouverte entre la Russie et l'OTAN?
Recommandons la lecture de l’excellent papier sur le blog “the van”. Extraits :
“Le fait que l’Occident ait été si magnanime avec ses livraisons d’armes a fait rire les Russes, mais suscite une très vive inquiétude dans certains milieux occidentaux. Il a été largement rapporté que les livraisons ont laissé les étagères de l’OTAN vides, mais le PDG de Raytheon a récemment déclaré qu’en raison d’une pénurie de semi-conducteurs, il faudra peut-être des années avant que les stocks puissent être reconstitués. Cela peut faire rire les Russes, mais comme ce conflit ne se déroule que dans un seul pays et que les États membres de l’OTAN ne sont pas officiellement impliqués, comment diable les nombreuses nations de l’Alliance atlantique peuvent-elles espérer se battre pendant des mois si une seule nation peut épuiser ses stocks d’armes en quelques semaines ? (…)
Le fait que ceux qui ont donné des armes à Kiev ne seront jamais payés va de soi. D’autres pertes sont cependant subies, mais comme les projecteurs sont braqués sur la propagande ukrainienne plutôt que sur les problèmes invisibles, le public occidental est tenu dans l’ignorance à plusieurs égards. La mort de nombreux mercenaires à Iavorov est survenue quelques jours seulement après que certains dirigeants occidentaux aient tacitement donné le feu vert pour que leurs civils se rendent en Ukraine et se portent volontaires pour combattre. Ces soldats de fortune ont connu une très mauvaise fortune une fois sur place, mais des informations font maintenant surface selon lesquelles jusqu’à soixante instructeurs SAS et plus de cinq cents soldats ukrainiens pourraient avoir été tués dans des circonstances similaires dans une académie déguisée dans une usine d’aluminium près de Zaporojie. Cela n’a pas été confirmé, mais même si les soldats britanniques ne figurent pas parmi les victimes, le travail qu’ils effectuaient a fini pour rien“.
L’Ukraine d’après-Maïdan est devenue un “trou noir” à engloutir des dollars et des armes occidentales (La photographie ci-dessus montre les ruines du hangars de Zaporojie où étaient entreposées des armes livrées par l’OTAN). Il y a de réels dangers de dérapage du conflit. Et tenons compte, par contraste des chiffres donnés par un canal télégramme sérieux:
“Jusqu’à présent, l’armée russe a utilisé pour son opération militaire spéciale en Ukraine :
12 % de ses soldats (le total comprend les recrues en formation)
10 % de ses avions de combat
7 % de ses chars
5 % de ses missiles
4 % de son artillerie
Et continue de progresser quotidiennement.
On peut discuter de la décision d’opter pour ce type d’intervention limitée en termes de pertes, mais c’est toujours un succès, même si le rythme est plus lent que prévu.”
Il me semble que l’on va plutôt, très clairement, vers une cassure de l’Europe. Les Américains donnent l’impression de prolonger la guerre aussi longtemps qu’il sera nécessaire pour que les gouvernements de l’UE aillent au bout de l’idée folle de “se priver du gaz russe”. A la nouvelle que les Russes avaient fermé le robinet pour la Pologne et la Bulgarie, Madame von der Leyen a réagi en disant que les voisins des deux pays allaient leur livrer un peu de leur gaz. L’Union Européenne est entrée dans une sorte d’autodestruction mentale: pensons aussi au président bulgare expliquant à son peuple qu’il faut se priver d’un salaire pour l’envoyer aux Ukrainiens.
Dans cette logique, les Américains ont intérêt à ce que l’affrontement dure mais pas à un conflit ouvert avec la Russie alors qu’ils sont en train de soumettre définitivement l’UE à leurs intérêts.
Parallèlement, que font les Russes? Ils sont en train de basculer définitivement d’une logique de négociation avec l’Ukraine encore considérée comme une égale et acceptant sa démilitarisation et sa neutralisation à une logique de partition et de prise de contrôle, directe ou indirecte, du territoire qui se trouve à l’est d’une ligne Kharkov-Odessa. C’est ce qu’on repère dans le discours tenu ce jour par Vladimir Poutine au conseil des législateurs de la Fédération de Russie: “Toutes les tâches de l’opération militaire spéciale menée par la Fédération de Russie dans le Donbass et en Ukraine seront accomplies sans être entravées” a-t-il déclaré. Pour le président russe, le Donbass n’est plus partie intégrante de l’Ukraine; et l’opération spéciale ne concerne plus seulement le Donbass comme cela était indiqué originellement.
Le front uni de l'UE commence à se fissurer sur la question du paiement du gaz en roubles
Suite à la décision russe d’interrompre les livraisons de gaz à la Pologne et la Bulgarie qui ne veulent pas accepter le nouveau mode de paiement exigé par Moscou pour les pays qui sanctionnent la Russie: ouverture d’un compte en dollars ou en euros dans une banque russe (non sanctionnée), laquelle convertit les devises reçues en roubles, lesquelles seront versées à Gazprom.
Et pourtant, l’unité entre Etats-membres se fissure: “Les prix du gaz en Europe ont augmenté de 20 % mercredi. Les contrats à terme sur le prix de gros du gaz en Europe ont progressé de près d’un cinquième à 117 euros par mégawattheure dans les premiers échanges. Les prix sont presque sept fois plus élevés qu’il y a un an.
“Gazprom a complètement suspendu les livraisons de gaz à Bulgargaz (Bulgarie) et PGNiG (Pologne) en raison du non-paiement en roubles”, a déclaré Gazprom dans un communiqué mercredi.
Alors que nous savons déjà qu’au moins une poignée d’acheteurs d’énergie européens se sont pliés aux exigences russes, de multiples acheteurs européens ont refusé de payer en roubles (pour le moment), affirmant que cela contredisait les termes du contrat et que ce serait un moyen de contourner les sanctions de l’UE contre la banque centrale russe.
“Politiquement, cela fait monter les enchères pour la décision de la Commission européenne sur la question de savoir si le nouveau système de paiement violerait les sanctions et, par conséquent, maintiendra probablement la volatilité du marché élevée”, a déclaré Samantha Dart, analyste chez Goldman Sachs, dans une note aux clients. Elle a également ajouté que Goldman “pense qu’il est dans l’intérêt de l’UE et de la Russie de trouver une solution qui rende les paiements de gaz conformes aux exigences légales de l’UE, conformément aux récents commentaires de Bruxelles”.
Les événements d’aujourd’hui peuvent inciter l’UE, et en particulier l’Allemagne, à trouver un moyen de mettre au point un mécanisme de paiement en roubles, étant donné le lourd tribut économique qu’un arrêt des flux de gaz aurait dans la région, bien plus lourd que celui de la Pologne ou de la Bulgarie.
Il semble qu’en lieu et place d’une résolution politique, au moins certaines entreprises prennent les choses en main“.
En réalité, c’est l’Allemagne qui est au centre de la dispute. Madame von der Leyen défend une ligne hostile à la Russie. Le Chancelier Scholz voudrait que la politique mise en place soit plus pragmatique mais il a les mains liées car il est menacé d’une enquête sur la manière dont il aurait, fermé les yeux sur l’évasion fiscale de certaines entreprises à Hambourg dont il était maire; et par un deuxième scandale possible quant à son absence de contrôle, comme Ministre des Finances, de l’entreprise Wirecard, fleuron du paiement en ligne, qui avait falsifié ses bilans. (Et l’un des protagonistes du scandale serait réfugié à Moscou….). Olaf Scholz n’est donc pas en position de force pour modérer une opinion allemande en partie russophobe – tandis que de nombreuses entreprises recommandent le pragmatisme, pour ne pas casser l’économie allemande.
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