01 avril 2022

Découvrez la nouvelle monnaie de réserve mondiale basée sur les ressources

Une nouvelle réalité est en train de se former : le monde unipolaire est en train de devenir irrévocablement une chose du passé, un monde multipolaire est en train de prendre forme.

Il fallait voir ça. Dmitri Medvedev, ancien président russe, atlantiste impénitent, actuel vice-président du Conseil de sécurité russe, a décidé de se lâcher totalement dans un déchaînement à la hauteur de la prestation de sieur Khinzal [Khinzal=une des nouvelles armes russes - NdT], qui a provoqué un choc et effroi palpable à travers tout l’OTAN.

M. Medvedev a déclaré que les sanctions occidentales "infernales" non seulement n’ont pas réussi à paralyser la Russie, mais qu’au contraire, elles " retournent à l’Ouest comme un boomerang ". La confiance dans les monnaies de réserve "s’estompe comme la brume du matin", et abandonner le dollar américain et l’euro n’est plus irréaliste : "L’ère des monnaies régionales arrive".

Après tout, a-t-il ajouté, "qu’ils le veuillent ou non, ils devront négocier un nouvel ordre financier (...) Et la voix décisive sera alors celle des pays qui ont une économie forte et avancée, des finances publiques saines et un système monétaire fiable."

Medvedev a relayé son analyse succincte avant même le jour J - comme pour la date limite fixée ce jeudi par le président Poutine, après laquelle les paiements du gaz russe par les "nations inamicales" ne seront acceptés qu’en roubles.

Le G7, comme on pouvait s’y attendre, avait pris une position (collective) : nous ne paierons pas. "Nous" signifie les 4 qui ne sont pas de grands importateurs de gaz russe. "Nous", en outre, c’est l’Empire du Mensonge qui dicte les règles. Quant aux 3 qui seront en grande difficulté, non seulement ils sont de grands importateurs mais ils se trouvent être des vaincus de la Seconde Guerre mondiale - l’Allemagne, l’Italie et le Japon, toujours territoires occupés de facto. L’histoire a l’habitude de jouer des tours pervers.

Le déni n’a pas duré longtemps. L’Allemagne a été la première à rompre, avant même que les industriels de la Ruhr à la Bavière ne se révoltent en masse. Scholz, le chétif chancelier, a appelé Poutine, qui a dû expliquer l’évidence : les paiements sont convertis en roubles parce que l’UE a gelé les réserves de change de la Russie, en violation flagrante du droit international.

Avec une patience taoïste, Poutine a également exprimé l’espoir que cela ne représente pas une détérioration des conditions contractuelles pour les importateurs européens. Les experts russes et allemands devraient s’asseoir ensemble et discuter des nouvelles conditions.

Moscou travaille sur une série de documents définissant le nouvel accord. Essentiellement, cela signifie : pas de roubles, pas de gaz. Les contrats deviennent nuls et non avenus dès lors que vous violez la confiance. Les États-Unis et l’Union européenne ont rompu des accords légaux en imposant des sanctions unilatérales et, de surcroît, ont confisqué les réserves de change d’un pays - nucléaire - du G20.

Les sanctions unilatérales ont rendu les dollars et les euros sans valeur pour la Russie. L’hystérie ne suffit pas : le problème sera résolu, mais aux conditions de la Russie. Un point c’est tout. Le ministère des affaires étrangères avait déjà prévenu que le refus de payer le gaz en roubles entraînerait une grave crise mondiale de non-paiements et de faillites en série au niveau mondial, une réaction en chaîne infernale de transactions bloquées, de gel des actifs collatéraux et de fermetures de lignes de crédit.

La suite des événements est partiellement prévisible. Les entreprises de l’UE recevront le nouvel ensemble de règles. Elles auront le temps d’examiner les documents et de prendre une décision. Celles qui diront "non" seront automatiquement exclues des livraisons directes de gaz russe, avec toutes les conséquences politico-économiques que cela implique.

Il y aura bien sûr des compromis. Par exemple, un certain nombre de nations de l’UE accepteront d’utiliser des roubles et d’augmenter leurs acquisitions de gaz afin de pouvoir revendre le surplus à leurs voisins et réaliser un bénéfice. Et certains pourraient également décider d’acheter du gaz sur le tas sur les bourses de l’énergie.

La Russie n’impose donc un ultimatum à personne. Tout cela prendra du temps - un processus graduel. Avec quelques actions latérales également. La Douma envisage d’étendre le paiement en roubles à d’autres produits essentiels - comme le pétrole, les métaux, le bois, le blé. Cela dépendra de la voracité collective des chihuahuas de l’UE. Tout le monde sait que leur hystérie non-stop peut se traduire par une rupture colossale des chaînes d’approvisionnement à travers l’Occident.

Bye bye les oligarques

Alors que les classes dirigeantes atlantistes sont devenues complètement folles mais restent concentrées sur la lutte jusqu’au dernier Européen pour extraire toute richesse palpable qui subsiste de l’UE, la Russie joue la carte du sang froid. Moscou a été plutôt indulgente en fait, brandissant le spectre d’une absence de gaz au printemps plutôt qu’en hiver.

La Banque centrale russe a nationalisé les recettes en devises de tous les grands exportateurs. Il n’y a pas eu de défaut de paiement. Le rouble continue de monter - et il est maintenant revenu à peu près au même niveau qu’avant l’Opération Z. La Russie reste autosuffisante sur le plan alimentaire. L’hystérie américaine concernant la Russie "isolée" est risible. Tous les acteurs qui comptent en Eurasie - sans parler des quatre autres BRICS et de la quasi-totalité des pays du Sud - n’ont pas diabolisé et/ou sanctionné la Russie.

En prime, le dernier oligarque capable d’exercer une influence à Moscou, Anatoly Chubais, a disparu. Une autre superbe ruse historique : L’hystérie des sanctions occidentales a démembré de facto l’oligarchie russe - le projet favori de Poutine depuis 2000. Ce que cela implique, c’est le renforcement de l’État russe et la consolidation de la société russe.

Nous ne disposons pas encore de tous les faits, mais on peut affirmer qu’après des années d’évaluation minutieuse, Poutine a choisi d’aller jusqu’au bout et de briser le dos de l’Occident, en utilisant ce tiercé (attaque éclair imminente du Donbass, laboratoires américains de fabrication d’armes biologiques, Ukraine travaillant sur des armes nucléaires) comme casus belli.

Le gel des réserves de change devait être prévu, d’autant plus que la Banque centrale russe avait augmenté ses réserves de bons du Trésor américain depuis novembre dernier. Il y a ensuite la possibilité sérieuse que Moscou puisse accéder à des réserves étrangères offshore "secrètes" - une matrice complexe construite avec l’aide d’initiés chinois.

Le passage soudain du dollar et de l’euro au rouble est un acte de judo géoéconomique pur et dur, de niveau olympique. Poutine a incité l’Occident collectif à libérer son hystérie démente pour sanctionner l’attaque - et l’a retournée contre l’adversaire en un seul geste rapide.

Et nous voilà tous en train d’essayer d’absorber tant de développements simultanés qui changent la donne suite à l’armement des actifs en dollars : le roupie-ruble avec l’Inde, le petroyuan saoudien, les cartes Mir-UnionPay co-badgées émises par les banques russes, l’alternative SWIFT Russie-Iran, le projet EAEU-Chine d’un système monétaire/financier indépendant.

Sans parler du coup de maître de la Banque centrale russe, qui a fixé le prix d’un gramme d’or à 5 000 roubles - qui avoisinent déjà 60 dollars et ne cessent de grimper.

Si l’on ajoute à cela le programme "Pas de roubles, pas de gaz", nous avons là une énergie de facto liée à l’or. Les chihuahuas de l’UE et la colonie japonaise devront acheter beaucoup de roubles en or ou acheter beaucoup d’or pour avoir leur gaz. Et il y a mieux. La Russie pourrait ré-arrimer le rouble à l’or dans un futur proche. On pourrait passer à 2 000 roubles, 1 000 roubles, voire 500 roubles pour un gramme d’or.

Le temps de la souverainté

Depuis les sommets des BRICS dans les années 2000, auxquels ont participé Poutine, Hu Jintao et Lula, le Saint Graal des discussions sur un monde multipolaire a toujours été de savoir comment contourner l’hégémonie du dollar. Cette solution se trouve maintenant sous les yeux de l’ensemble du Sud, sous la forme d’une apparition bénigne arborant un sourire de chat du Cheshire : le Rouble-or, ou Rouble adossé au pétrole, au gaz, aux minéraux, aux exportations de matières premières.

La Banque centrale russe, contrairement à la Fed, ne pratique pas l’assouplissement quantitatif (1) et n’exporte pas d’inflation toxique vers le reste de la planète. Non seulement la marine russe sécurise toutes les lignes maritimes russes, mais les sous-marins russes à propulsion nucléaire sont capables de surgir partout sur la planète à l’improviste.

La Russie est loin, très loin en avance, mettant déjà en œuvre le concept de "puissance navale continentale". Décembre 2015, sur le théâtre syrien, a changé la donne stratégique. La 4e division de sous-marins basée en mer Noire est la vedette du spectacle.

Les flottes navales russes peuvent désormais employer des missiles Kalibr dans un espace comprenant l’Europe de l’Est, l’Asie occidentale et l’Asie centrale. La mer Caspienne et la mer Noire, reliées par le canal Don-Volga, offrent un espace de manœuvre comparable à celui de la Méditerranée orientale et du golfe Persique réunis. 6 000 km de long. Et il n’est même pas nécessaire d’accéder aux eaux chaudes.

Cela couvre environ 30 nations : la sphère d’influence traditionnelle de la Russie, les frontières historiques de l’empire russe et les sphères de rivalité politique/énergétique actuelles.

Pas étonnant que Washington soit furieux.

La Russie garantit le transport maritime à travers l’Asie, l’Arctique et l’Europe, en tandem avec le réseau ferroviaire "Belt and Road Initiative" à l’échelle de l’Eurasie.

Et enfin, mais pas des moindres, on ne badine pas avec un ours nucléaire.

Voilà en substance ce qu’est la politique de puissance pure et dure. Medvedev ne s’est pas vanté lorsqu’il a déclaré que l’ère d’une monnaie de réserve unique était révolue. L’avènement d’une monnaie de réserve mondiale basée sur les ressources signifie, en résumé, que 13 % de la planète ne domineront plus les 87 % restants.

C’est le NATOstan contre l’Eurasia à nouveau. Guerre froide 2.0, 3.0, 4.0 et même 5.0. Cela n’a pas d’importance. Toutes les anciennes nations du Mouvement des non-alignés (MNA) savent de quel côté soufflent les vents géopolitiques et géoéconomiques : le moment est venu d’affirmer leur véritable souveraineté alors que l’"ordre international fondé sur des règles" mord la poussière.

Bienvenue à la naissance du nouveau système mondial. Le ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov, en Chine, après avoir rencontré plusieurs homologues de toute l’Eurasie, n’aurait pas pu mieux le décrire :

"Une nouvelle réalité est en train de se former : le monde unipolaire est en train de devenir irrévocablement une chose du passé, un monde multipolaire est en train de prendre forme. C’est un processus objectif. Il est irréversible. Dans cette réalité, plus d’une puissance "gouvernera" - il sera nécessaire de négocier entre tous les États clés qui ont aujourd’hui une influence décisive sur l’économie et la politique mondiales. En même temps, conscients de leur situation particulière, ces pays veilleront à respecter les principes de base de la Charte des Nations unies, y compris le principe fondamental - l’égalité souveraine des États. Personne sur cette Terre ne doit être considéré comme un acteur mineur. Tout le monde doit être égal et souverain."

Pepe Escobar

(1) NdT : L’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE) en anglais, est un outil de politique monétaire non conventionnelle. Utilisé pour lutter contre le risque de déflation et de récession, il consiste, pour une banque centrale, à intervenir de façon massive, généralisée et prolongée sur les marchés financiers en achetant des actifs (notamment des titres de dette publique) aux banques commerciales et à d’autres acteurs. Ces achats massifs entraînent une baisse des taux d’intérêt. (source Banque de France)

Traduction "effectuée le 1er avril mais article publié le 31 mars, donc..." par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles


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