Alors que les sanctions avec la Russie sont pourtant claires, on apprend, effaré, que des entreprises continuent pourtant d’entretenir des relations commerciales avec le peuple russe. L’effroi est palpable dans certaines rédactions et chez certains commentateurs officiels, et cet effroi se mue rapidement en colère à mesure qu’apparaissent de nouveaux cas de sociétés qui refusent de plier bagage de Russie.
Colère qui s’exprime à présent jusque dans les succursales, bien françaises, de ces entreprises aussi installées là-bas.C’est ainsi qu’on apprend par exemple que des salariés de magasins Auchan, Leroy-Merlin ou d’autres se font insulter ou menacer par des clients qui leur reprochent, vertement, d’oser poursuivre leurs activités en Russie malgré le conflit actuel avec l’Ukraine.
La presse s’est en effet largement fait l’écho de la présence de grandes chaînes françaises sur le territoire russe, et n’a pas caché la décision – difficile au dire des dirigeants – de rester sur place : outre le coût économique énorme d’un retrait de certaines chaînes, le coût humain sur place est très violent et on peine à voir l’intérêt à moyen ou long terme des uns et des autres à un retrait brutal.
Il en va de même pour des entreprises comme Renault qui, face à la pression pas trop subtile des activistes habituels de la moraline de court terme, a finalement décidé de partir de Russie : le gain en terme d’image sera probablement nul, la perte en terme de parts de marchés, de possibilités d’extensions futures et de marchés dans cette partie du monde profonde ; la concurrence appréciera sans doute un tel cadeau.
Le bilan est en réalité désastreux : on reprochera toujours aux entreprises d’en avoir fait trop peu, trop tard, et les coûts induits par les décisions prises seront énormes et aux conséquences durables. Il n’est même pas interdit d’imaginer qu’une bonne campagne de pression permette ainsi à certains concurrents (pourquoi pas russes ?) de se débarrasser ainsi d’un étranger jusque là efficace sur son sol. Malin.
A contrario, les entreprises qui font le dos rond, s’abstiennent de prendre la moindre position politique et continuent de faire honnêtement leur commerce de façon légale auprès des consommateurs qui le désirent finiront toujours par bénéficier de leurs efforts de long terme, y compris de leur constance à contre-courant dans la tempête. D’une part, les gens (et notamment les militants de la moraline en bandoulière) oublieront ce qui n’est qu’une péripétie montée en épingle par des activistes et d’autre part, on accordera toujours plus de crédit aux sociétés qui s’installent sur la durée et ne cèdent pas au moindre chantage venu, quel qu’en soit les motivations, dont on rappelle que même lorsqu’elles sont bonnes, permettent de paver l’enfer.
En attendant, les petits censeurs, les distributeurs de mauvais points et de barils de moraline s’en donnent à cœur-joie : établissant des listes (tout rapport avec d’autres listes, dans d’autres temps, n’a absolument rien de fortuit puisque ce sont les mêmes mécanismes détestables), ils tentent maintenant de bien montrer du doigts les déviants, ceux qui osent encore rester neutre. Il va sans dire que le succès de ces listes ne serait pas possible sans la gourmandise calculée de la presse actuelle qui trouvera toujours une excellente occasion de définir pour tous ce qu’on doit penser et à quel moment.
En réalité on assiste à l’utilisation d’une méthode simple (mais redoutablement efficace) d’intimidation par la pression sociale et la culpabilisation.
La culpabilisation, évidente, consistera à reprocher aux Français de se vautrer dans des actions (ici, commercer avec des Russes) qu’on estimera, du haut de sa tour d’ivoire morale inatteignable, parfaitement illégitimes voire teintées de motivations contraires à ce qui est Bel & Bon. Dans le même temps, on passera l’éponge de l’hypocrise sur les mêmes actions entreprises par d’autres : on n’aura pas de mots assez durs pour condamner ces Européens, Français en tête, qui osent continuer à acheter du gaz à la Russie, mais on ne dira rien de ces kilomètres cubes du même gaz achetés ou acheminés par l’Ukraine au même moment.
La pression sociale sera employée dans des actions de pure nuisance à l’image de marque ; l’appel au boycott, qui pourrait s’entendre, ne suffit pas : il faut absolument que soit châtiée l’entreprise vaguement suspecte d’affreuses connivence ou, bien pire et plus souvent encore, d’une neutralité trop claire. On s’arrangera donc pour salir l’image, la renommée, par juxtaposition de sophismes intellectuellement honteux (du style « vous commercez avec les Russes, donc vous soutenez le régime de Poutine, donc l’invasion de l’Ukraine ») mais exercés avec d’autant plus de décontraction qu’ils sont le fait du Camp du Bien autoproclamé.
Dans un tourbillon de mauvaise foi, on emploie ici un collectivisme évident mais qui n’a jamais cessé de fonctionner : les Russes sont tous traités collectivement et tous considérés comme un peuple unique et intégralement solidaire avec leur chef ; il ne peut transpirer le moindre doute que chaque citoyen de Russie est, forcément, d’accord avec les décisions prises par Poutine et les modes d’actions qu’il a choisis, et qu’en conséquence, tous doivent en souffrir également.
Le collectivisme va plus loin puisqu’il s’applique aussi aux entreprises françaises dans ce contexte : toutes doivent avoir un avis (la neutralité n’a pas droit de cité), toutes doivent être opposées, toutes doivent se retirer de Russie séance tenante. Peu importe que ces actions uniformes et fermées à tout débat auront, très clairement, des effets néfastes non seulement pour les Russes mais aussi pour les Français.
Il s’agit, encore une fois, d’en appeler à l’émotion qui impose de faire quelque chose d’aussi brutal que possible, même si c’est négatif pour soi-même et contre-productif pour la situation globale. Et le pire dans cette situation est qu’en acceptant ainsi de politiser les entreprises, en les forçant à prendre des positions, même contre leurs intérêts, on ne rend pas le monde plus juste, plus moral et meilleur, on ne fait qu’y ajouter reproches, haine et ségrégation.
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