20 mars 2022

Un « univers miroir » pourrait exister à l’opposé du nôtre

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Cet « anti-univers », tel que le nomment les scientifiques à l’origine de ce concept, serait l’exact opposé du nôtre : il serait donc constitué de particules de charges opposées et le temps s’y écoulerait à l’envers à partir du Big Bang. Cette théorie, présentée très sérieusement par une équipe internationale de physiciens théoriciens, pourrait par ailleurs expliquer pourquoi la matière noire, qui constitue 27% de notre univers, nous est invisible.

Cette théorie repose sur un ensemble de trois symétries fondamentales de la nature : la charge (l’inversion de la charge d’une particule dans une interaction donnée correspond à une charge égale et opposée) ; la parité (l’image miroir d’une interaction de particules donne le même résultat) ; et le temps (une interaction exécutée en arrière dans le temps a le même aspect). La plupart des interactions physiques obéissent à ces symétries ; il y a parfois des violations, mais les physiciens n’ont jamais observé de phénomène qui transgressait les trois symétries en même temps.

Toutes trois sont ainsi regroupées sous un concept de symétrie fondamentale, nommé « symétrie CPT ». Elle s’applique à toutes les interactions, donc aux forces et aux champs qu’exercent les particules de matière les unes sur les autres. Des scientifiques ont toutefois émis l’hypothèse que cette symétrie pourrait s’appliquer bien au-delà des interactions fondamentales et donc, sur l’enceinte qui contient toutes ces forces, autrement dit l’Univers dans son ensemble, vu ici en tant que contenant. Ce qui impliquerait l’existence d’un autre univers qui lui est parfaitement symétrique.

Une théorie qui écarte l’inflation cosmique

Selon Latham Boyle et ses collègues de l’Institut Périmètre de physique théorique de Waterloo, notre univers posséderait ainsi un jumeau, qui s’étendrait comme lui, mais dans le sens inverse à compter du Big Bang. Tous deux s’équilibreraient pour préserver la symétrie CPT. « L’univers avant le bang et l’univers après le bang peuvent être considérés comme une paire univers/anti-univers, émergeant directement dans l’ère chaude dominée par le rayonnement que nous observons dans notre passé », écrivent les chercheurs dans la revue Annals of Physics.

L’idée qu’il existe une sorte de monde à l’envers et parallèle, digne d’un scénario de film de science-fiction, peut sembler farfelue de prime abord — d’autant plus que le fait que cet hypothétique anti-univers se déroule « derrière » le Big Bang condamne toute possibilité d’y accéder un jour. Pourtant, plusieurs implications importantes découlent de cette théorie ; elle apporterait une explication crédible à certaines grandes questions cosmologiques qui ne sont toujours pas résolues avec certitude.

On suppose par exemple que l’univers observable a connu une phase d’expansion très rapide en un temps extrêmement bref (entre 10-36 et 10-33 secondes) après le Big Bang — un modèle cosmologique qui offre une solution à la fois au problème de l’horizon (le fait que l’Univers soit homogène et isotrope à très grande échelle bien que certaines régions soient très éloignées) et au problème de la platitude (le fait que la courbure de l’Univers ne soit pas détectable). Comme le rappelle Live Science, plusieurs preuves corroborent cette inflation cosmique, mais l’image théorique de cet événement reste à éclaircir. La théorie de l’anti-univers mérite donc d’être étudiée.

Il est aujourd’hui admis que l’inflation cosmique a tellement bouleversé l’espace-temps qu’elle a engendré des masses d’ondes gravitationnelles. Plusieurs expériences visent actuellement à repérer ces ondes primordiales et si ces recherches restent vaines, cela pourrait renforcer l’hypothèse de l’existence d’un univers miroir : un univers respectant la symétrie CPT pourrait en effet se dilater naturellement et se remplir de particules, sans avoir besoin d’une longue inflation cosmique.

Une explication possible à l’existence de matière noire

Par ailleurs, dans cet anti-univers, la matière noire serait principalement composée d’un nouveau type de neutrinos, des particules subatomiques à très haute énergie et à faible densité qui sont électriquement neutres. En effet, il existe trois types (trois saveurs) connus de neutrinos : le neutrino-électron (νe), le neutrino-muon (νμ) et le neutrino-tau (ντ), qui ont tous un sens de rotation (spin) dit « gauche » — les neutrinos dits « droits » ne sont pas observés, ils ne sont pas produits et n’interagissent pas.

Or, toutes les autres particules connues ont des variations gauche et droite. Il pourrait donc exister quelque part des neutrinos droits, que nous ne sommes pas capables de détecter. Un univers respectant la symétrie CPT impliquerait l’existence d’au moins un type de neutrino droit ; il serait invisible, mais influencerait le reste de l’Univers par la force gravitationnelle. Et c’est exactement ce qui caractérise aujourd’hui la matière noire : des particules indétectables, qui n’interagissent que par la gravité.

Si la symétrie CPT s’applique ainsi à l’ensemble de l’Univers, il devrait y avoir autant de neutrinos droits que de neutrinos gauches et leur abondance pourrait donc expliquer la matière noire. « Nous calculons son abondance en détail et montrons que, pour correspondre à la densité de matière noire observée, [la masse du neutrino droit] doit être de 4,8×108 GeV », précisent les chercheurs.

À partir de là, les chercheurs prédisent que les trois saveurs de neutrinos gauches connues devraient être des particules de Majorana (qui sont leurs propres antiparticules, au contraire des particules de Dirac telles que l’électron). Pour qu’une particule soit sa propre antiparticule, elle doit être électriquement neutre et posséder des moments dipolaires nuls, mais les physiciens ne savent pas si les neutrinos affichent ou non de telles propriétés. L’équipe avance également que selon leur théorie l’un des neutrinos devrait être sans masse. À ce jour, les physiciens n’ont déterminé qu’une masse maximale pour chacune des saveurs, mais on ne connaît pas leur masse exacte. Peut-être que l’une d’elles est effectivement de masse nulle, soutenant au passage l’idée d’un univers à symétrie CPT.

Nous ne pourrons probablement jamais visiter ou même mesurer quoi que ce soit dans cet anti-univers qui pourrait confirmer l’hypothèse. Mais les expériences à venir, menées au sein de notre propre univers, permettront peut-être un jour de lever le doute.

Source : L. Boyle et al., Annals of Physics

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