Le conseiller ukrainien à la sécurité nationale a envoyé une lettre à la Maison Blanche et à la CIA pour demander de l’argent afin de financer une insurrection dans les zones tenues par les Russes :
Le document, daté du 6 mars, demande aux États-Unis « d’allouer des fonds supplémentaires pour l’organisation du mouvement de résistance et pour former des volontaires des communautés territoriales dans toute l’Ukraine. »
La Maison Blanche et l’ambassade d’Ukraine nient avec véhémence l’existence de cette lettre. Je ne crois cependant pas qu’elle soit fausse. Elle n’était tout simplement pas destinée à être rendue publique. La CIA entraîne des milices de la « résistance » en Ukraine depuis 2015. Demander de l’argent frais pour en former davantage est tout à fait naturel.
Les États-Unis financeront une résistance en Ukraine par le biais de la CIA, tout comme ils l’ont fait en Syrie et tout comme ils l’ont fait de 1949 jusqu’au début des années 1950, lorsque l’insurrection antisoviétique financée par les États-Unis en Ukraine s’est terminée misérablement.
Mais former une résistance contre qui ?
Leur hypothèse semble être que la Russie veut occuper l’Ukraine.
On peut le constater dans une interview en anglais que la chaîne de télévision publique turque TRT a accordée à Vitaly Klitschko, le maire de Kiev. Klitschko accuse la Russie de vouloir recréer l’URSS. Il rejette toute négociation de paix et souhaite que l’Ukraine continue à se battre.
Après l’interview, l’historien Gilbert Doctorow a rappelé que c’est la Russie qui a été la première à quitter l’URSS, pour mettre fin au financement des provinces extérieures aux frais des provinces centrales, et que personne ne veut recréer cette situation.
Comme l’a dit Poutine :
Celui à qui l’Union soviétique ne manque pas n’a pas de cœur. Mais celui qui voudrait la rétablir n’a pas de cerveau.
La Russie a des objectifs limités en Ukraine et mettra fin à la guerre et quittera la majeure partie de l’Ukraine lorsque ces objectifs seront atteints, par des négociations ou par d’autres moyens. C’est l’Ukraine qui devra en supporter le coût.
Mais Zelenski, Klitschko et leurs suzerains américains ne veulent pas voir les choses sous cet angle. Les États-Unis veulent que la Russie s’embourbe en Ukraine et la combattre jusqu’au dernier Ukrainien, afin de l’endommager.
Le Washington Post écrit que les Ukrainiens ne semblent pas avoir envie de négocier quoi que ce soit :
Les perspectives d’un accord à court terme semblent sombres, disent les diplomates, mais les signaux contradictoires de Zelensky au sujet d’un proche accord n’ont fait qu’accroître l’anxiété au cours de ces négociations. …
« Je suis prêt au dialogue ; mais nous ne sommes pas prêts à capituler », a déclaré Zelensky à ABC News en début de semaine, tout en promettant de continuer à combattre la Russie aussi longtemps que nécessaire.
Zelensky a réitéré ce message en des termes encore plus forts mardi, lorsque les premiers ministres de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovénie se sont rendus à Kiev pour le rencontrer dans le cadre d’une visite de guerre risquée. « Il a montré très peu d’intérêt pour un règlement négocié et a déclaré que l’Ukraine devait continuer à se battre jusqu’à ce que Poutine modifie ses exigences », a déclaré un diplomate au fait des discussions, qui, comme d’autres, s’est exprimé sous couvert d’anonymat pour évoquer ces réunions sensibles.
Les États-Unis semblent satisfaits de cette position et le secrétaire d’État veut même élargir la guerre :
« De notre côté, nous ne voyons aucune indication que les Ukrainiens demandent la paix. Ils veulent se battre », a déclaré un haut fonctionnaire américain. …
Zelensky devra vendre tout accord de paix à son propre peuple – une tâche délicate s’il est obligé de concéder trop de choses. Il a été un président extrêmement populaire en temps de guerre, mais il était impopulaire en temps de paix. Et les souhaits de l’Ukraine de s’occidentaliser n’ont été que renforcées par l’assaut de la Russie. …
Tout accord potentiel nécessitera également l’adhésion de l’Occident, qui devra lever les sanctions contre Moscou en échange du retrait des forces russes.
Mais le secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré mercredi qu’un simple retrait des troupes pourrait ne pas répondre à la norme américaine d’allègement des sanctions. Les États-Unis « voudront s’assurer que tout ce qui est fait est, en fait, irréversible, que cela ne peut pas se reproduire, que la Russie ne refera pas exactement ce qu’elle fait actuellement dans un an, deux ans ou trois ans ».
La seule façon de parvenir à ce résultat final est le démantèlement total de la Russie. C’est peut-être ce que Blinken a en tête. Alors quels sont ses plans pour y parvenir ?
Lorsque la guerre pour désarmer l’Ukraine a commencé, à ma grande surprise, j’ai demandé ce que la Russie souhaitait atteindre géographiquement avec cette guerre :
Il est difficile de discerner quel est l’état final prévu pour cette opération. Où cela va-t-il s’arrêter ?
En regardant cette carte, je crois que l’état final le plus avantageux pour la Russie serait la création d’un nouveau pays indépendant, appelé Novorossiya, sur les terres situées à l’est du Dniepr et au sud le long de la côte, région qui abrite une population majoritairement russe et qui, en 1922, avaient été rattachées à l’Ukraine par Lénine. Cet État serait politiquement, culturellement et militairement aligné sur la Russie.
Cela éliminerait l’accès de l’Ukraine à la mer Noire et créerait un pont terrestre vers la Transnistrie, région séparée de la Moldavie, qui est sous la protection de la Russie.
Le reste de l’Ukraine serait un État confiné, essentiellement agricole, désarmé et trop pauvre pour devenir rapidement une nouvelle menace pour la Russie. Sur le plan politique, elle serait dominée par les fascistes de Galicie, ce qui deviendra alors un problème majeur pour l’Union européenne.
La Novorossiya a été mentionnée par Poutine le 17 avril 2014 lors d’une longue séance de questions-réponses à la télévision russe. La question portait sur la fédéralisation de l’Ukraine avant de nouvelles élections gouvernementales dans une Ukraine dont le régime venait juste de changer.
Poutine a répondu :
Concernant la question de savoir ce qui doit venir en premier : un référendum constitutionnel suivi d’élections, ou des élections d’abord pour stabiliser la situation et ensuite un référendum. La question essentielle est de savoir comment garantir les droits et intérêts légitimes des Russes ethniques et des russophones dans le sud-est de l’Ukraine. Je voudrais vous rappeler que ce que l’on appelait Novorossiya (Nouvelle Russie) à l’époque tsariste – Kharkov, Lugansk, Donetsk, Kherson, Nikolayev et Odessa – ne faisait pas partie de l’Ukraine à l’époque. Ces territoires ont été donnés à l’Ukraine dans les années 1920 par le gouvernement soviétique. Pourquoi ? Qui le sait ? Ils ont été gagnés par Potyomkin et Catherine la Grande grâce à une série de guerres bien connues. Le centre de ce territoire était Novorossiysk, la région s’appelle donc Novorossiya. La Russie a perdu ces territoires pour diverses raisons, mais la population russe y est restée.
À l’époque, Poutine ne menaçait pas de s’emparer de la Novorossiya, mais exigeait le respect des droits de sa population :
Aujourd’hui, ils vivent en Ukraine, et ils devraient être des citoyens à part entière de leur pays. C’est de cela qu’il s’agit. La question n’est pas de savoir si le référendum sur la décentralisation ou la fédéralisation est suivi d’élections ou si les élections ont lieu avant que l’architecture de l’État ne soit modifiée. La question essentielle est de fournir des garanties à ces personnes. Notre rôle est de faciliter une solution en Ukraine, de veiller à ce qu’il y ait des garanties. Les habitants du sud-est de l’Ukraine vous demanderont, nous demanderont, ainsi que les autorités actuelles de Kiev : « Bien, les élections auront lieu le 25 mai, mais voulez-vous que nous reconnaissions leur résultat ? Vous allez oublier vos promesses dès le lendemain et envoyer de nouveaux oligarques à Donetsk, Kharkov, Lougansk, etc. Qu’en est-il des garanties ? Nous avons besoin de réponses. » J’espère qu’une réponse sera trouvée.
Aucune réponse n’a été trouvée alors et Kiev a depuis fortement discriminé ce peuple russe.
La Novorossiya comprend en gros les zones rouges et jaunes de la carte ci-dessus. Elle comprend également les précieuses mines de fer et usines soviétiques de Kryvyi Rih, à l’ouest du Dniepr.
Deux experts professionnels de la Russie sont maintenant d’accord avec ma prédiction ci-dessus, mais ont choisi des frontières légèrement différentes de celles que j’avais initialement proposées :
Dans son dernier article, le spécialiste canadien de la Russie, Patrick Armstrong, écrit :
Je ne pense toujours pas que [la Russie souhaite s’approprier l’Ukraine] – je crois que Moscou veut une Ukraine neutre et dénazifiée qui serve de tampon entre elle et l’OTAN. Je commence également à croire que la Novorossiya, plus ou moins dans ses frontières historiques telles qu’elles ont été formées par Catherine lorsqu’elle a été récupérée des Ottomans, sera indépendante. La chance qu’elle reste une partie de l’Ukraine est probablement passée. Comme je l’ai écrit en 2014 « En bref, l’Occident a brisé l’Ukraine, il la possède maintenant. Ou, pour le dire plus précisément, il possède la partie dont Moscou ne veut pas. Et quelle est cette partie, c’est entièrement à Moscou de la choisir ». Moscou est maintenant en train de choisir.
Dans un nouvel article sur la partition à venir de l’Ukraine, Gilbert Doctorow est d’accord :
Je ne nie pas qu’une insurrection ukrainienne soit une prochaine phase plausible de la guerre, en particulier compte tenu de la position irrationnelle sur les « compromis » que nous constatons dans l’interview de Klitschko. Toutefois, il existe des moyens évidents pour le Kremlin de réagir de manière à limiter les risques pour lui-même. Pour commencer, il peut réaliser la menace que Poutine a lancée avant le début de la guerre : priver l’Ukraine de son statut d’État. Pas entièrement, mais la priver de l’État dans la configuration qui existe depuis 1991. Cela signifie partitionner l’Ukraine, isoler les territoires à l’ouest de Kiev et du fleuve Dniepr, former un État croupion enclavé dont la capitale serait logiquement Lviv, près de la frontière polonaise.
Pour utiliser le langage de la communauté bancaire, la Russie créerait ainsi une « mauvaise banque », contenant les actifs toxiques du radicalisme ukrainien, très peu d’actifs industriels ou autres actifs économiques majeurs, et placée à une distance qui ne serait plus menaçante pour la Russie. La « bonne banque » serait l’Ukraine centrale et les territoires situés à l’est du Dniepr, qui comptent une population considérablement plus nombreuse de russophones, qui devraient répondre à l’appel de la Russie pour défendre leurs propres intérêts dans la vie publique du pays et sortir de l’intimidation dont ils ont été victimes de la part des nationalistes au cours des huit dernières années. Cette Ukraine centrale récupérerait la côte de la mer Noire aujourd’hui occupée par les Russes et bénéficierait des actifs agricoles et autres actifs économiques majeurs qui ont toujours défini la prospérité ukrainienne.
Les zones qu’Armstrong, Doctorow et moi-même décrivons ont des populations pro-russes largement russophones. Hier, quelque 30 000 personnes ont quitté Marioupol assiégée et plusieurs d’entre elles ont été interviewées. Elles se sont toutes exprimées contre les nazis du bataillon d’Azov qui tiennent encore certaines parties de la ville. Ils ne verraient probablement pas d’inconvénient à devenir citoyens d’une Novorossiya nouvellement fondée, qui ne se soumettrait pas à un gouvernement, installé à Kiev ou ailleurs, haïssant les Russes.
Mais pour conserver ce territoire, la Russie doit d’abord le gagner. Alors comment la guerre va-t-elle se dérouler ?
La Russie va lentement réduire les défenses ukrainiennes, puis s’enfoncer davantage en Ukraine jusqu’à la nouvelle frontière qu’elle souhaite établir. (Je ne pense pas que cela inclura la prise de Kiev. Actuellement, la Russie se contente de la menacer pour bloquer les troupes ukrainiennes là-bas). Elle s’y maintiendra et aidera à organiser un référendum pour l’indépendance de l’Ukraine dans les zones qu’elle aura alors contrôlées. Une nouvelle armée locale sera formée pour défendre cet État. La Russie reconnaîtra le nouvel État et signera avec lui un accord de défense commune.
Les troupes russes pourront alors retourner en Russie.
Comme ces régions sont largement pro-russes, il y aura peu de chances qu’une insurrection efficace s’y développe.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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