Après deux heures passées en compagnie du génial Romain Duris qui incarne un Gustave Eiffel mélancolique, décidé et un peu bourru au sommet de sa carrière, et de la ténébreuse Emma Mackey qui campe une Adrienne Bourgès fantasmée, touchante et éclatante de beauté, j’ai souhaité revenir sur cet aspect méconnu de la vie de Gustave Eiffel : son rapport avec les femmes et sa vie amoureuse. Car si ce nouveau film diffusé depuis le 13 octobre dans les salles de cinéma est (à mon sens) une réussite cinématographique grâce à ses images à couper le souffle, ses plans à la fois poétiques et grandioses et le jeu exquis de ses deux acteurs principaux, les libertés prises avec la réalité sont bien grossières et le scénario manque de profondeur.
Nous retrouvons donc Romain Duris qui campe un Gustave Eiffel en pleine gloire, terminant tout juste sa collaboration à la construction de la monumentale statue de la Liberté. Après ce succès mondial, il manque cependant d’inspiration pour l’Exposition Universelle de 1889 qui se prépare et pour laquelle la ville de Paris l’a sollicité. Veuf de son épouse Marguerite, il croise alors pour la première fois depuis vingt ans son amour de jeunesse Adrienne Bourgès. Cette passion ressuscitée redonne alors tout son génie au grand ingénieur, qui imagine une tour gigantesque en acier. Une tour en forme de A, comme un symbole immortel de son amour pour la belle Adrienne… Une vision à la fois romantique et un peu mièvre de la construction de ce monstre d’acier qui fait couler beaucoup d’encre en son temps, entre opposants farouches et admirateurs fervents.
Vingt ans loin l’un de l’autre… Vingt ans de mystère car l’histoire ne dit pas si les deux amoureux se sont revus. La scénariste Caroline Bongrand s’est engouffrée dans la brèche. Dès lors, tout est possible ! D’ailleurs, tant qu’à faire, pourquoi ne serait-ce pas un A pour Alice ? Eiffel et les femmes
Alice : les premiers émois
La naissance de Gustave Eiffel, survenue en 1832 à Dijon, n’est pas synonyme d’allégresse pour ses parents. Héritière d’une famille de négociants en bois, sa mère Mélanie Eiffel née Moneuse a les affaires dans le sang. Elle gère d’une main de fer (oui, c’était facile…) l’entreprise familiale qui repose sur l’essor du charbon et de l’industrie, ne prenant guère le temps de s’occuper de son fils. Tandis que le père du nouveau-né, Alexandre Eiffel, ancien hussard de l’armée napoléonienne, seconde son épouse dans ses tâches quotidiennes colossales, Gustave est élevé par sa grand-mère maternelle. Il ne garde pas un très bon souvenir de ces mois passés dans un appartement de Dijon, avec pour seule compagnie celle d’une vieille dame infirme, austère et peu aimante, cette « Maman Moneuse » qui n’hésite pas à user du fouet pour le corriger.
Alors Gustave attend avec impatience les étés à Gilly-lès-Citeaux, auprès de sa tante maternelle Viard. Il y rejoint sa cousine Alice, orpheline de Bertrand Moneuse, le frère de Mélanie Eiffel, décédé alors que la fillette n’avait que neuf ans. Sa mère Tullie Moneuse l’envoie chaque année en vacances chez la tante Viard pour lui changer les idées. Les deux cousins n’ont qu’une hâte : se retrouver pour partir ensemble à l’aventure dans ce cadre naturel idyllique de Bourgogne.
Ils pêchent, se promènent pieds nus dans la rivière, et les derniers jours, avant de rentrer, ils participent aux vendanges du Clos-Vougeot.
La véritable vie de Gustave Eiffel
Durant toute son adolescence, Gustave ne vit que pour Alice. Prêt à tout pour faire plaisir à cette jeune fille de cinq ans son aînée, il lui cueille les fruits mûrs du jardin, la complimente sur ses jolies boucles blondes… et l’emmène escalader les murets et les toits des environs. Car Alice est une aventurière, comme lui ! À l’été 1842, c’est le drame. En insistant pour grimper sur le toit avec Gustave, elle glisse et tombe. Un instant, on la croit morte. Mais la jeune fille finit par ouvrir les yeux. La hanche brisée, elle doit rester plusieurs semaines alitée. Eiffel et les femmes
Un accident qui, à neuf ans, fait sortir brutalement Gustave de l’enfance, persuadé qu’il aurait pu la rattraper, l’empêcher de monter… Bref, que c’est de sa faute. Même si les vacances communes à Gilly-lès-Citeaux prennent fin avec cette chute, il redouble d’adoration envers sa chère cousine, rêvant du jour où la différence d’âge ne comptera plus et où il pourra demander sa main à sa mère Tullie. La croisant à tous les évènements familiaux, il prend sans cesse de ses nouvelles et la cherche du regard dès qu’il la sait dans les parages.
Alice entretient-elle l’amour que lui porte Gustave, rêvant elle aussi secrètement de s’unir à son cousin ou s’amuse-t-elle de cet adolescent énamouré qu’elle considère encore comme un enfant et dont elle fait ce qu’elle veut ? Difficile de le savoir. Toujours est-il qu’à l’été 1848, Alice épouse le professeur Émile Amiel.
Profondément marqué par ce chagrin d’amour, l’adolescent de quinze ans se consacre alors plus sérieusement à ses études. Lycéen dissipé, il décroche son baccalauréat puis monte à Paris pour préparer l’École Polytechnique, d’abord certainement attiré vers la capitale par la présence d’Alice qui s’y installe un temps avec son époux. Tandis qu’Alice retourne à Dijon avec sa nouvelle petite famille, Gustave échoue à Polytechnique et entre à l’École centrale des arts et manufactures de Paris. Fraîchement diplômé en 1855, il suit les conseils avisés de sa mère et s’oriente vers le secteur de la métallurgie. C’est le début du succès. Il oublie alors sa cousine Alice, entretenant de nombreuses relations féminines jusqu’à tomber amoureux d’Adrienne Bourgès. Eiffel et les femmes
Adrienne Bourgès : l’amour contrarié
Favorisé par Charles Nepveu, entrepreneur parisien spécialisé dans la construction métallique, Gustave multiplie les chantiers ferroviaires avant de se rapprocher des Pauwels, industriels belges qui lui permettent de diriger son premier projet d’envergure en 1858 : une passerelle ferroviaire métallique à Bordeaux, longue de 510 mètres.
C’est là qu’il rencontre Adrienne Bourgès, fille cadette d’un grand négociant bordelais, propriétaire des ateliers loués par la compagnie Pauwels pour le chantier du pont. Il a vingt-huit ans, elle en a dix-huit. À la fois jeune et mature, intelligente et vertueuse, elle semble avoir toutes les qualités requises pour devenir l’épouse dont rêve le jeune Gustave Eiffel :
C’est évidemment une fille intelligente, de goûts simples, d’humeur douce et affectueuse, et susceptible d’une grande tendresse mais non de passion, et surtout profondément honnête ; une épouse sûre enfin et une femme de bon conseil à l’occasion. Comme nature extérieure, c’est une très belle fille qui deviendra surtout et qui restera longtemps une très belle femme, d’une robuste santé et capable de remplir au mieux les fonctions maternelles.
Au mois d’octobre 1860, le mariage semble décidé et Gustave vient voir tous les jours ses futurs beaux-parents. Le père décide de reculer un peu la date du mariage, ce qui contrarie le fiancé mais ne l’émeut pas outre mesure. Un peu de patience n’est pas cher payé pour accéder à l’objet de son désir :
J’aime mieux attendre trois mois une belle fille que j’aime et qui m’aime que d’en épouser de suite une autre qui me serait indifférente.
Tandis que le trousseau d’Adrienne prend forme, laissant apparaître les initiales A.E. (pour Adrienne Eiffel) brodées sur ses robes et ses chemises, Gustave reçoit le 13 novembre 1860 une missive de Monsieur Bourgès qui fait voler en éclat tous ses rêves. Le mariage ne se fera pas. Le jeune homme tombe des nues et cherche aussitôt une explication à ce revirement aussi soudain qu’incompréhensible.
Le résultat de son investigation désespérée est bien embrouillé. Le père lui confie que c’est Madame qui ne veut pas du mariage. Son épouse aussitôt se récrie. Mais qui alors ? Serait-ce le mari de la fille aînée Bourgès, M. Troye, qui regarde d’un mauvais oeil l’arrivée d’un concurrent ? Gustave comprend qu’il ne saura jamais la vérité. Au mieux, on s’est servi de lui. Le chantier terminé, les Bourgès n’ont plus besoin de lui et n’ont aucun intérêt à voir leur fille se lier à une famille de parvenus. Car la mère de Gustave s’est enrichie bien vite. Trop vite. Une fortune sans doute trop récente pour être respectable. L’estime que Gustave Eiffel portait jusque-là à Monsieur Bourgès dégringole :
Sa conduite est un mélange de faiblesse et de fausseté et m’inspire pour mon compte le plus profond mépris ; c’est peut-être un honnête négociant, mais comme homme c’est une canaille digne de la réprobation des honnêtes gens. Pour toute la maison je n’ai que du mépris ; ce sont de très petites gens, très orgueilleux de leur fortune, grands faiseurs de cancans et disant certainement constamment du mal des autres.
Il est certain que l’orgueil de Gustave vient d’être durement ébranlé. Submergé par la colère qui prend le pas sur la tristesse, il interprète le silence d’Adrienne comme de la lâcheté :
J’y tenais personnellement beaucoup et je crois qu’elle tient à moi ; mais elle n’a pas eu le courage d’affronter la situation et ne mérite pas que je me batte les flancs pour l’obtenir.
Gustave se plonge dans les affaires pour noyer son chagrin. Il a beau éprouver du mépris pour la famille Bourgès et de la déception au regard du comportement d’Adrienne, la nostalgie le tient. Au début de l’année 1861, il avoue à sa mère qu’il est allé dérober une photographie de la jeune fille chez son photographe : « Elle est ressemblante et je tiens à la garder comme souvenir… » Eiffel et les femmes
La tour Eiffel : la revenante ?
Passion contrariée, orgueil blessé, monument historique dont la forme se prête à l’élucubration… Et si Gustave Eiffel n’avait jamais vraiment oublié Adrienne Bourgès ? C’est en tout cas autour de cet amour de jeunesse retrouvé des années plus tard que brode le film Eiffel. La faisant réapparaître en 1886, alors que Gustave n’a à priori jamais revu Adrienne après son départ de Bordeaux, il suggère que c’est pour les beaux yeux de cette jeune fille jamais épousée que l’ingénieur se désintéresse du métro parisien qui le passionne alors pour se consacrer à l’édification d’une tour spectaculaire en forme de A. L’un des plus célèbres monuments au monde construit par amour ! N’est-ce pas le plus romantique des scénarios ?
Le plus romantique mais aussi le plus improbable. Dans les faits, ce n’est pas Gustave qui décide de la forme de la tour. Ce sont ses deux plus proches collaborateurs qui ont l’idée d’une tour en métal de 300 mètres de haut. Dans un premier temps, l’ingénieur n’est pas convaincu. Eiffel et les femmes
Mais plutôt que d’écarter le projet, il demande à Koechlin et Nouguier de revoir leur copie. Trois mois plus tard, les deux hommes reviennent avec le même projet, mais totalement redessiné par l’architecte Stephen Sauvestre. La tour n’a plus rien d’une pile de pont ou d’un vulgaire pylône. La base a été élargie. Des arches monumentales relient les quatre montants et le premier étage. Cette fois, la tour ne manque pas d’allure. Et comment mieux célébrer le progrès technique qu’en construisant un édifice entièrement métallique ?
Un amour de tour Eiffel
Après avoir dédaigné le projet, Gustave finit par se laisser séduire et se prend au jeu, malgré les oppositions violentes qui fleurissent dans tout Paris. Grâce au soutien du ministre du Commerce et de l’Industrie ainsi qu’à son charisme et à son sens relationnel exceptionnel, Gustave finit par emporter l’adhésion de la Ville de Paris et le « clou céleste » (Charles Garnier), grâce à la persévérance de Gustave et ses talents d’ingénieur novateur, est bel et bien inauguré pour l’Exposition Universelle de 1889 !
Revenons à ses affaires de cœur. En réalité, Eiffel se remet assez vite de sa rupture douloureuse avec Adrienne Bourgès. Au milieu de l’année 1861, il s’enflamme pour une jeune musicienne qui lui fait tourner la tête par ses manières distinguées et son grand esprit. Mais le mariage ne se fait pas non plus. Courant d’une déception à l’autre, Gustave commence à perdre patience. Eiffel et les femmes
Marguerite : le choix de la raison
En janvier 1862, Gustave Eiffel fait un constat affligeant :« J’en suis au moins à mon sixième mariage raté.» Sa crainte de finir sa vie« en vieux célibataire» chassant avec ridicule la donzelle lui fait revoir ses ambitions à la baisse. Le 22 janvier 1862, il écrit à son père :
Il me faudrait une bonne ménagère qui ne me fasse pas trop enrager, qui me trompe le moins possible et qui me fasse de beaux enfants bien portants qui seraient à moi. Avec une femme qui présenterait ces conditions-là, je passerais sur tout le reste, fortune, figure, esprit, etc…
Les parents Eiffel se mettent aussitôt en chasse. Mélanie Eiffel déniche la prétendante idéale en la personne de Marie Gaudelet, dix-sept ans, petite-fille de son associé Édouard Régneau. Choix qui semble parfaitement convenir à Gustave. Marie lui apparaît comme une jeune fille docile« avec un fond quelconque», si jeune qu’il aura facilement l’ascendant sur elle. En somme, une femme qui ne lui causera pas de tracasseries et se contentera d’être une épouse aimante et une mère prolifique, un peu comme la reine Marie Leszczynska et ses nombreux enfants ! Eiffel et les femmes
Et c’est exactement ce rôle que va tenir Marie pendant sa courte vie. Elle épouse Gustave à Dijon le 8 juillet 1862, troquant son nom pour celui de Marguerite car il existe déjà une Marie Eiffel dans la famille rapprochée : la soeur cadette de Gustave. La jeune mariée de dix-huit ans donne à son époux un premier enfant dès le 19 août 1863 : une jolie petite fille que l’on prénomme Claire. Le 16 octobre 1864, les parents célèbrent la naissance de Laure. En avril 1866, c’est Édouard qui voit le jour, suivi de Valentine en 1870 et enfin d’Albert en 1873. Eiffel et les femmes
Pour installer sa maisonnée, Gustave choisit Levalois-Perret alors en pleine expansion, tandis que pour profiter de la campagne pendant l’été, il loue une maison à Marnes-la-Coquette. Lui-même y rejoint sa femme et leurs enfants lorsque les affaires lui donnent un peu de répit.
Une vie de famille épanouie semble alors se profiler. Mais au début de l’année 1877, Marguerite contracte une bronchite qui s’éternise. En mai, elle garde toujours la chambre, veillée par sa mère Fanny Gaudelet. Tandis que Gustave s’inquiète de la crise politique qui oppose Mac-Mahon à Gambetta, son épouse perd ses dernières forces. Semblant soudain se rendre compte de la gravité de son état, il écrit à ses parents le 5 août :
Marguerite est atteinte d’une maladie de poitrine qui ne laisse aucun espoir. […] Depuis un mois le mal a fait de terribles progrès. Marguerite n’est plus que l’ombre d’elle-même, elle est d’une extrême maigreur, presque sans voix et la moitié du temps en proie à une fièvre terrible que rien ne peut calmer.
Marguerite Eiffel s’éteint dans la nuit du 7 au 8 septembre 1877, après une hémorragie interne foudroyante. Gustave s’était réellement attaché à ce petit brin de femme qui lui avait offert sa vie de famille rêvée. Il est durement ébranlé par sa disparition :
Je suis frappé de stupeur et je ne peux me faire à l’idée de cet horrible malheur. Quel avenir pour mes pauvres enfants et pour moi.
Cette profonde affection, sinon amoureuse, du moins amicale, envers la femme de ses enfants, est suggérée à plusieurs reprises dans le film Eiffel. Une évocation bienvenue. Eiffel et les femmes
Claire : la fille adorée de Gustave Eiffel
Après de nombreuses déceptions amoureuses, un mariage de convenance et la perte prématurée de cette mère de famille dévouée, Gustave Eiffel se repose sur les deux piliers de son existence : son travail et ses enfants. Il noue en particulier des liens très forts avec sa fille aînée Claire Eiffel. Et l’on peut dire sans exagération que ce fut elle, la véritable femme de sa vie.
Dès ses premiers mois, l’aînée des rejetons Eiffel semble vouer à son père une adoration qu’il lui rend au centuple.« Cet enfant est le tyran de la maison […] on lui laisse faire tout ce qu’elle veut. » Très tôt donc, c’est une relation fusionnelle qui naît entre le père et sa fille, attachement encore renforcé par la mort brutale de Marguerite.
Gustave, qui s’est toujours beaucoup impliqué dans sa vie de famille, compte sur Claire pour prendre la relève de sa mère. C’est à elle qu’incombe désormais le devoir de le seconder. À quatorze ans, la jeune fille devient la nouvelle maîtresse de maison.
Pour l’heure, Gustave confie les plus jeunes à leur tante Marie tandis que lui-même entreprend un voyage au Portugal, où il souhaite assister en personne à l’inauguration de l’un de ses ponts. Il emmène Claire avec lui :« Je compte beaucoup sur elle pour m’adoucir la tristesse des longues heures de voyage.» Passant par Madrid pour prendre le train qui doit les conduire à Porto, Gustave et Claire s’installent à l’hôtel de la place San Lazaro le 8 octobre 1877. Dès leur arrivée, ils vont se promener sur les bords du Douro pour admirer l’oeuvre de l’ingénieur. Claire est tout de suite fascinée par la création de son père. Elle écrit à sa tante Marie :
Comme il est beau ! Jamais la main de l’homme n’aura fait quelque chose de plus majestueux, de plus important !
À la fois en plein deuil de sa mère et désireuse d’égayer son père, Claire se démène pour prendre sur elle :
J’aime énormément papa et désire ne lui donner aucun ennui, au contraire n’agir que de façon à le contenter et à le rendre heureux.
Ne souhaitant en retour que le bonheur de sa fille (tant qu’elle reste auprès de lui), Gustave songe à la marier dès l’année 1884. En quête du gendre idéal, il lui présente Adolphe Salles, polytechnicien et ingénieur brillant, légèrement taciturne. Et Eiffel connaît bien sa fille de vingt-deux ans car le jeune homme lui plaît aussitôt. Les jeunes gens se marient en février 1885, acceptant la seule condition du père Eiffel : demeurer auprès de lui. Marché conclu avec bonheur, car Adolphe apprécie autant que Claire de graviter dans l’entourage de Gustave. Il demande même à travailler aux côtés de son beau-père qui accepte avec joie. Le couple s’installe donc au domicile de Monsieur Eiffel, dans son luxueux hôtel parisien de la rue Rabelais. Eiffel et les femmes
Après l’inauguration de la tour Eiffel en 1889, Gustave est au sommet de sa carrière. Couvert d’honneurs et de décorations, il est sollicité dans le monde entier pour des projets plus grandioses les uns que les autres. S’il traite ses employés avec un grand respect, l’argent lui monte un peu à la tête et il achète sans compter : meubles anciens, tableaux, villas en Suisse et sur la Côte d’Azur… sans oublier des perles, coquetterie dont raffole sa fille. Elle l’aide aussi à organiser les fastueuses réceptions avec intermèdes musicaux et représentations théâtrales dont il aime régaler ses amis, notamment pour ses anniversaires successifs. Eiffel et les femmes
Claire Salles est véritablement devenue indispensable. Elle est la raison de vivre de Gustave Eiffel. La complicité qui les lie est d’autant plus éclatante que les relations du pater familias avec ses autres enfants sont beaucoup plus compliquées. Sans doute sont-ils un peu jaloux de sa relation privilégiée avec Claire.
Présente dans son intimité au quotidien, la jeune femme est aussi un soutien éclairé pour ses affaires. Il s’appuie de plus en plus sur ses initiatives à mesure que les années passent. Pas un projet qu’il ne lui soumette avant validation définitive pour recueillir ses avis et ses conseils ! Elle s’active autant que son père dans les bureaux de 100 mètres carrés aménagés au troisième étage de la tour Eiffel, où ils prennent l’habitude de recevoir le beau monde et de mener leurs expériences. Influence féminine aujourd’hui saluée par la présence d’un mannequin la représentant aux côtés de son père dans une partie des anciens bureaux encore visibles et ouverts au public.
Cette gracieuse jeune femme, aussi solide qu’élégante et délicate, à la fois intelligente, piquante et raisonnable, est pour Gustave le symbole même de la Femme avec un grand F. Il le lui dit d’ailleurs à l’occasion de la Sainte-Claire (seconde festivité importante après son propre anniversaire), célébrée le lendemain 12 août 1911 :
J’ai déjà bien souvent loué tes hautes qualités de fille, d’épouse, de mère et d’amie. Tu es pour nous le véritable modèle de la femme, parce qu’aux qualités de coeur tu joins un esprit judicieux, dont la bienfaisante influence se répand sur nous tous.
« Tu t’es faite la compagne la plus intime de ma vie et tu t’es associée à tous mes grands travaux pour la préparation et la marche générale desquels tes conseils si avisés et si judicieux m’ont été souvent de la plus précieuse utilité», s’exclame encore Gustave à l’orée de ses quatre-vingt-dix ans, rendant un vibrant hommage à sa Claire chérie. Eiffel et les femmes
Frappé par une congestion cérébrale dont il se remet péniblement en juin 1923, Gustave Eiffel s’éteint le 27 décembre de cette même année. Déjà durement endeuillée, Claire doit faire face aussitôt à la mort de son époux Adolphe. Comme un signe étrange du destin, les deux hommes de sa vie s’éteignent à deux jours d’intervalle… Largement avantagée dans le testament de son père (elle hérite notamment de l’hôtel de la rue Rabelais) Claire Salles née Eiffel apparaît comme l’ombre méconnue du grand homme, sans cesse à ses côtés pendant plus de quarante ans d’une intense activité. Une chance inouïe ! (Adèle Hugo n’aura pas droit à la même considération de la part de son père…)
Je regrette que le film Eiffel, qui montre cependant la proximité entre le père et sa fille, ne se soit pas davantage concentré sur cette belle histoire filiale plutôt que d’inventer une romance finalement sans grand intérêt !
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