Alcibiade est le grand génie de cette guerre, débutée en 431 alors qu’il a 19 ans, terminée en 404 par la défaite d’Athènes. Neveu de Périclès, stratège, général, politique et philosophe, il a été de toutes les parties. Athénien, c’est lui qui conçoit l’expédition de Sicile (415). Ostracisé par sa cité, il passe du côté de Sparte. Puis, pour échapper à l’assassinat commandité par le roi des Lacédémoniens, il se met au service des satrapes perses. Enfin, il revient à Athènes en triomphe, une fois aboli le régime démocratique qui voulait sa perte et renversés les clans et les familles qui voulaient lui nuire. S’il ne parvient pas à éviter la défaite finale de sa cité, il remporte néanmoins de belles batailles. Retournant chez les Perses, il est assassiné en 404, peu de temps après la fin de la guerre, sans que l’on sache qui a commandité ce meurtre. Alcibiade est cet homme complexe, génial et dangereux, se battant tout autant pour lui-même que pour les cités qu’il sert, qui a choqué et qui a été admiré. Ami de Socrate et de Platon, contemporain de Thucydide, de Xénophon et d’Aristote, son expédition chez les Perses prépare les grandes victoires d’Alexandre. Sa vie peut être lue comme un roman divertissant, qui nous conduit dans ce monde grec si différent du nôtre, où la conception même de l’homme n’est pas la même. Mais sa vie fournit aussi des éléments intemporels de réflexion sur l’homme et les cités, qui font de La Guerre du Péloponnèse un livre toujours actuel.
L’expédition de Sicile
À l’origine, la guerre voit s’affronter Athènes et Sparte et leurs alliés. Ne pouvant prendre l’acropole d’assaut, Sparte opte pour la stratégie de la razzia en détruisant la plaine de l’Attique, privant ainsi Athènes de l’accès aux céréales, donc à l’alimentation. Puisqu’Athènes dispose de la suprématie navale, Alcibiade propose à sa cité de mener une expédition en Sicile, alors grenier à blé, afin de prendre le contrôle de cette ressource et d’en priver Sparte. Nicias, autre général athénien et vainqueur des Spartiates, s’oppose à cette expédition, qui est finalement votée par l’Assemblée. Alcibiade et Nicias, bien que rivaux, commandent tous les deux cette expédition. Alors qu’il est en route vers la Sicile, Alcibiade apprend qu’Athènes l’a condamné à mort. Il quitte donc l’armée et se met au service de Sparte. Alcibiade encourage les Spartiates à intervenir en Sicile pour bloquer Athènes. Alors qu’une partie de la flotte est détruite lors d’une tempête, l’armée terrestre connait plusieurs défaites face aux Lacédémoniens. Nicias est lui-même tué lors d’une bataille contre Sparte (413). Revanche d’Alcibiade contre celui qui a provoqué son ostracisme. Mais le roi de Sparte à son tour veut le faire mettre à mort. Alcibiade part chez les Perses et négocie une alliance avec Sparte pour combattre Athènes. Une fois le gouvernement démocratique renversé, il peut rentrer dans sa ville et tenter d’inverser le cours de l’histoire (407). Il est reçu de façon triomphale, les décrets qui pesaient contre lui sont levés, l’exil appartient au passé. Malgré tout, ses ordres stratégiques ne sont pas écoutés et Athènes est vaincu à Aigos Potamos (404). C’est la fin de la guerre et la fin d’Athènes. De nouveau en danger, il fuit chez les Perses et finit assassiné quelques semaines plus tard. Sa mort tragique accentue la légende d’Alcibiade.
Des leçons pour aujourd’hui
De la geste d’Alcibiade, plusieurs leçons stratégiques et géopolitiques sont à retenir pour notre monde.
Dans toutes les guerres, les ressources sont essentielles. Une armée ne se bat pas uniquement avec des épées, mais aussi avec du pain et aujourd’hui de l’essence et des communications. La logistique est chose fondamentale et explique bien des défaites. Par le système des alliances, par le besoin d’accès à l’alimentation, la guerre s’étend et concerne des territoires qui n’ont pas de rapport direct avec le conflit. Exactement comme aujourd’hui où la guerre en Ukraine est une guerre mondiale puisque le monde entier est concerné, de façon directe ou indirecte, par l’accès à l’alimentation et à l’énergie. Aucune guerre ne peut être localisée et plus la guerre dure et plus le risque de son extension grandit.
Alcibiade montre aussi que la guerre est faite par des hommes et non par des masses. Certes ce sont les pays ou les cités qui sont en guerre, mais à leur tête il y a des hommes, plus ou moins bons, plus ou moins compétents. Alcibiade et Nicias chez les Athéniens en sont de bons exemples. Le jour où ils ne sont plus là, c’est la survie de la cité qui est compromise. Thucydide nomme les gens et cite leurs discours, montrant ainsi que c’est eux qui font l’histoire.
On y voit aussi des alliances de revers et des alliances entre des adversaires (Sparte et la Perse) contre un autre adversaire jugé plus important (Athènes). On y découvre l’hubris, la démesure, qui fait que les vainqueurs ne parviennent pas à s’arrêter une fois leur victoire acquise et sont tentés par l’impérialisme et l’extension de leur territoire. Athènes fut prise par le tourbillon de cet hubris, comme Sparte qui ensuite attaqua Thèbes, et perdit.
La Guerre du Péloponnèse dessine une grammaire de la puissance et une grammaire de la guerre, clef de lecture encore pour aujourd’hui. Thucydide dépeint les hommes tels qu’ils sont ; il ne cherche pas à juger, mais à comprendre. Bien qu’Athénien et bien qu’ostracisé, Thucydide ne penche ni pour Athènes ni pour Sparte. Son texte est d’une remarquable impartialité, ce qui ne signifie pas qu’il soit neutre. Là réside la nature des classiques : inspirer et former les chefs d’aujourd’hui par ce qu’ils disent de l’intemporalité de l’homme et de la guerre.
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