Les événements de cette semaine au Kazakhstan ne sont pas surprenants.
Moins d’une semaine avant un sommet majeur entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie sur l’architecture de sécurité de l’Europe de l’Est, nous assistons à une nouvelle révolution de couleur ratée dans l’endroit le plus stratégique de la frontière sud de la Russie.
Il y a eu des pillages, des violences horribles et d’anciens bâtiments gouvernementaux, symboles ultimes du pouvoir, ont été incendiés.
Ce qui a pu surprendre, c’est la rapidité avec laquelle la Russie et le président kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, ont invoqué l’OTSC pour intervenir et mettre fin à cette absurdité. Mais, si cela ne s’était pas passé ainsi, les conséquences pour la Russie et le reste de l’Asie auraient été catastrophiques.
Le Kazakhstan est tout simplement trop grand et trop important pour que la Russie envisage de le laisser retomber entre les mains de quelqu’un comme Noursoultan Nazarbaïev, un véritable mégalomane post-soviétique, un russophobe et un crétin intéressé dont le double jeu avec l’Occident n’a rien à envier à celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Cet article de Fyodor Lukyanov, que je recommande vivement, soulève de nombreux points intéressants sur ce que cette intervention signifie pour l’avenir. Mais ce qui est le plus important aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un message fort adressé à Washington, Londres et Bruxelles.
Sortez de l’Asie centrale et ne revenez pas. La Russie contrôle désormais le Heartland.
La situation est compliquée.
Si Nazarbaïev a démissionné du pouvoir en 2019, il n’avait pas vraiment quitté la scène. Alexander Mercouris a noté l’autre jour que Nazarbaïev contrôlait toujours le Conseil de sécurité au Kazakhstan. Il y avait donc cet étrange arrangement en matière de partage du pouvoir en place qui a apparemment commencé à s’effondrer.
C’est la clé pour comprendre ce qui s’est passé jusqu’à présent.
Ce matin, Reuters rapporte que le chef des services de renseignement du Kazakhstan, Karim Massimov, a été arrêté et accusé de trahison.
Qui est Massimov et pourquoi est-il important dans le contexte général ? Cette information du NY Post vaut bien plus que mille mots :
Hunter et Joe Biden avec Kenes Rakishev (à gauche) et l’ancien premier ministre du Kazakhstan, Karim Massimov (à droite)
Donc, juste au cas où quelqu’un serait perplexe devant l’idée qu’il pourrait y avoir des motivations extérieures pour éloigner le Kazakhstan de la Russie, j’ai pensé qu’il était bon de mettre certaines choses au clair.
Mais retour vers le futur. Le conseil de sécurité du Kazakhstan contrôle l’armée. Par conséquent, Nazarbaïev contrôlait l’armée. Lorsque les protestations ont commencé le mardi 4 janvier, les militaires n’ont pas bougé, n’ayant reçu aucun ordre.
Coïncidence ? Bien sûr que non.
Maintenant, qu’est-ce que j’ai dit une centaine de fois sur ce blog ?
Les espions commencent les guerres civiles, mais les militaires les terminent.
Si les militaires étaient mis à l’écart sans ordres, ce serait le meilleur moyen d’aider l’opération d’espionnage sur le terrain à créer des ravages et potentiellement à déclencher une crise politique plus large que les militaires ne seraient pas en mesure de gérer efficacement, plongeant potentiellement le pays dans une sorte d’État défaillant/de guerre civile.
Cependant, cette situation n’est pas viable si toutes les institutions gouvernementales ne sont pas simultanément paralysées.
Jeudi matin, Tokaïev a annoncé qu’il contrôlait le Conseil de sécurité et il a immédiatement déployé l’armée. Après l’avoir emporté, il a pu invoquer l’OTSC pour intervenir et stabiliser la situation.
En faisant cela et en prenant rapidement le contrôle de l’armée kazakhe, Tokaïev a rapidement bloqué l’élan du soulèvement et a forcé Nazarbaïev, semble-t-il, à quitter le pays.
Nazarbaïev a été une épine dans le pied de la Russie pendant des décennies, comme Loukachenko en Biélorussie, courtisant l’Occident pour se jouer de la Russie. Ce soulèvement, à mon avis, ne serait pas allé aussi loin sans lui, puisqu’il contrôlait l’armée.
Attribuer tout cela à un doublement des prix du GPL (gaz de pétrole liquéfié) est une fausse piste typique du MI6/CIA. Dans le dernier article de Pepe Escobar sur Zerohedge, on trouve une partie de la réalité sur le terrain puisque les fondations du soulèvement étaient déjà posées.
Mais, comme toujours, Pepe ne peut s’empêcher d’ajouter une bonne dose d’euro-gauchisme stupide à ses attaques contre le capitalisme.
La raison en est – quoi d’autre – le néolibéralisme débridé et les proverbiales manigances du marché libre. Depuis 2019, le gaz liquéfié fait l’objet d’un commerce électronique au Kazakhstan. Ainsi, le maintien de plafonds de prix – une coutume vieille de plusieurs décennies – est rapidement devenu impossible, les producteurs étant constamment confrontés à la vente de leur produit en dessous du coût de revient alors que la consommation montait en flèche.
Sérieusement, le prix est passé de 8 roubles/litre (ou 0,40 $/gallon) à 20 roubles/litre (1,00 $/gallon) et c’était censé être l’allumette qui mettrait le feu à tout le Kazakhstan ?
S’il vous plaît, laissez tomber.
Oui, le contrôle des prix est stupide. Oui, ils crée des attentes insoutenables dans l’esprit des consommateurs. Mais, au dire de tous, le gouvernement kazakh a prévenu les gens que cela allait arriver, donc les gens savaient ce qui allait se passer.
De l’agitation ? Bien sûr. De la colère ? Absolument. Mais une révolution à part entière, teintée de rhétorique marxiste, avec des exigences typiquement folles ? Encore une fois, s’il vous plaît, épargnez-moi cette analyse digne d’un CE2. Des événements de cette ampleur signifient que nous devons tous passer outre nos propres préjugés idéologiques, y compris les miens.
La question que personne ne semble vouloir poser est la suivante :
Pourquoi passer d’une subvention totale à une subvention nulle du jour au lendemain, en même temps que le dernier sommet entre la Russie et l’Occident ?.
Je me doute que ce n’est pas pour corriger une terrible violation des principes du marché libre.
Le but le plus probable était d’augmenter le rendement (par litre) de la révolution de couleur en choquant la population.
Cela suggère fortement que Nazarbaïev et des forces extérieures étaient derrière les changements de subventions pour le carburant, car toute personne impliquée dans une gouvernance responsable les aurait réduites, disons de 10% par mois jusqu’à ce qu’un prix de marché soit établi pour permettre aux gens de s’adapter progressivement.
Ce seul fait vous indique que le terrain de jeu est bien plus vaste.
Donc, ceci étant dit, voici mon interprétation des événements et la manière dont ils seront utilisés par toutes les personnes impliquées.
Premièrement, je ne pense pas une minute que Poutine et son équipe n’étaient pas au courant de l’opération en cours. Il serait insensé de penser que Poutine ne souhaite pas aujourd’hui se débarrasser d’un autre ancien homme fort soviétique qu’il n’a pas été en mesure d’éliminer ou de soumettre. Certains ont laissé entendre que c’est son influence qui a forcé Nazarbaïev à quitter le palais présidentiel en premier lieu en 2019.
Je ne me souviens pas que quiconque au Kremlin ait versé une larme sur le changement de pouvoir à Astana.
Il me semble évident que Nazarbaïev a essayé de brouiller les pistes – de quitter le pouvoir nominalement, mais de contrôler tous les principaux leviers du pouvoir. Ce qui fait de lui une sorte de dormeur à activer pour celui qui le paie le plus. Cela laissait son remplaçant, Tokaïev, payer les pots cassés au moment opportun.
Pensez à ce que Tokaïev a fait en premier cette semaine après le début des combats. Il a donné aux manifestants ce qu’ils voulaient, en dissolvant le gouvernement et en rétablissant les subventions pour le GPL. Cela isole les derniers arrivants et ceux qui n’avaient pas été engagés des agitateurs et des opérateurs dirigés par des étrangers.
Le fait que les combats aient continué par la suite en dit long.
Les Européens et les Américains ne sont pas des négociateurs honnêtes. Loukachenko a reçu le message en 2020 : il n’a pas d’avenir sans la Russie. Il a également appris qu’il n’est pas aussi puissant ou habile à ce jeu qu’il le pensait.
Nazarbaïev, apparemment, n’a toujours pas compris.
Donc, je peux voir Poutine jouer à ce jeu : attendre que le MI6/CIA passe à l’action et se jeter sur le noyau de la rébellion – une armée sur la touche – aussi vite que possible. De cette façon, les motivations et les loyautés de chacun sont révélées au grand jour et la situation est rapidement maîtrisée.
C’est l’instant victorieux de la Russie.
Ensuite, malheureusement, ils seront desservis par la façon dont l’Occident va présenter la situation la semaine prochaine. C’était une autre opération conçue pour perdre sur le terrain mais gagner politiquement. Parce que maintenant, les déclarations vertueuses sans fin ont commencé et soutiennent que la Russie est vraiment toujours aux commandes dans toute l’ancienne URSS. Toutes ces nouvelles organisations – l’UEEA, l’OTSC, l’OCS, etc. – ne sont que de minces couvertures pour une vaste dictature dirigée par Poutine.
C’est pourquoi les États-Unis, l’UE et l’OTAN ne peuvent pas lui permettre de dicter ses conditions concernant l’Ukraine ou quoi que ce soit d’autre (y compris l’endroit où il place ses troupes à l’intérieur de ses propres frontières). C’est également la raison pour laquelle l’OTAN est aujourd’hui, plus que jamais, nécessaire pour le contenir.
Vous voyez le truc venir à un kilomètre maintenant. Cette histoire est uniquement néoconservatrice, et elle sert les intérêts de ces fiefs qui font face à une crise existentielle, comme je l’ai évoqué dans mon dernier article, si les pourparlers de Genève se déroulent comme ils le devraient.
La vitesse à laquelle cette révolte a été réprimée vous dit deux choses :
- Elle a été mal et hâtivement planifiée, même si Nazarbaïev était effectivement un agent dormant.
- Elle n’a jamais eu pour but de provoquer un changement de régime au Kazakhstan, mais d’être la dernière pilule destinée à empoisonner les relations entre la Russie et l’Occident, selon les désirs du Davos.
Le Kazakhstan était probablement la dernière grande opération de ce vestige néocon au sein des bureaucraties américaine et/ou britannique pour maintenir le rêve de Trotski en vie et empêcher la coalition du Davos de se diviser davantage. Je vous avais dit que ce sont deux animaux acculés, confrontés à des menaces existentielles similaires bien que distinctes. Ils ne se rendront pas sans combattre.
On dirait qu’ils ont tenté leur chance ici, mais qu’ils ont échoué. Plus sanglant que la Baie des Cochons au Venezuela il y a quelques années sous Pompeo et Trump, mais un échec quand même.
Les Russes ont maintenant contré avec succès les quatre dernières révolutions de couleur tentées dans ses régions frontalières. Le Kazakhstan a été la plus importante. Poutine a appris sa leçon avec Ianoukovytch et l’Ukraine en 2013/14. Ne pas laisser la situation s’envenimer et l’étouffer dans l’œuf rapidement.
Mais en même temps, sans l’échec en Ukraine, des gens comme Tokaïev et Loukachenko ne reçoivent jamais complètement le message sur les intentions de l’Occident à leur égard. Ils doivent faire l’expérience personnelle de la trahison pour y croire.
Il y a là une leçon pour les nigauds de la Covid-19, s’ils écoutent.
Ainsi, il faut parfois perdre une bataille pour gagner la grande guerre.
Que vous vouliez ou non voir cela en termes de stratégie russe est votre prérogative. Je pense que Poutine voyait la Syrie de cette manière, c’est-à-dire comme un endroit où l’Occident s’était déployé excessivement et où il a été contre-attaqué sans ménagement, exposant ainsi son hypocrisie et sa responsabilité dans la situation.
Lorsque le Parlement britannique a refusé la demande du Premier ministre David Cameron de se joindre à Obama en Syrie, je pense que Poutine a vu les prémices d’une opportunité d’agir sur une scène plus large.
La même chose s’est jouée ici avec le Kazakhstan et l’OTSC. C’était l’occasion de contrer intelligemment une opération préparée à la hâte tout en annonçant au monde que la Russie n’est pas seule sur le terrain et qu’elle n’est pas non plus si faible qu’elle ne puisse pas venir en aide à un allié important à tous les niveaux – politique, économique, culturel et stratégique.
Le Kazakhstan répond parfaitement à ces critères.
La Russie peut désormais s’appuyer sur ces organisations pour mettre fin à l’ère des révolutions de couleur dans son ventre mou et renforcer l’ensemble du continent asiatique.
C’est un grand moment quand on y pense sous cet angle. Cela représente le dernier clou dans le cercueil de la stratégie du Heartland de Mackinder pour l’OTAN. Cela signifie qu’il n’y a plus aucun moyen de pression et que le temps des négociations honnêtes peut commencer.
Cela aura d’énormes implications pour les négociations de la semaine prochaine à Genève sur l’Ukraine. Aucun contrôle narratif ne pourra venir à bout de la réalité sur le terrain. C’est ce qui va finalement briser les Néocons et le Davos. C’est ce qui peut commencer à ramener de la rationalité dans ce monde devenu fou.
C’est un feu dans l’esprit des puissants et des fous qu’il fallait absolument éteindre.
Tom Luongo
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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