La récente série d’événements en Asie et en Europe semble être l’élément déterminant de la prochaine phase du Moyen-Orient.
Vendredi dernier, Antony Blinken (à son initiative) a appelé son homologue chinois, le ministre des affaires étrangères Wang Yi. L’appel s’est transformé en une furieuse dispute, le Global Times affirmant par la suite que Wang a tout simplement surpassé Blinken au cours de cet échange extrêmement technique.
De quoi s’agissait-il ? Il semble que Blinken voulait avertir Wang de probables sanctions contre la Russie ; neutraliser toute réaction négative de la Chine à ces sanctions américaines et européennes ; s’assurer le soutien de la Chine pour persuader la Russie de considérer les réponses occidentales aux problèmes en matière de sécurité de la Russie comme la base d’un dialogue.
Si telle était l’intention, le résultat a été désastreux – et la dispute a été amère. Le ministre des Affaires étrangères Wang a effectivement déclaré que le président Xi avait, lors de son sommet virtuel avec Biden, exposé les exigences de la Chine en ce qui concerne toute relation entre la Chine et les États-Unis. Et que Biden avait semblé être d’accord. Par la suite, il est devenu évident pour Pékin que l’administration américaine ne respectait pas cet accord. Wang a critiqué Blinken pour le sabotage furtif des Jeux olympiques d’hiver par les États-Unis et a déclaré qu’ils jouaient avec le feu à propos de Taïwan.
En fait, Wang a affirmé que les actions (plus que les mots) des États-Unis avaient réduit à néant les chances que le sommet précédent serve de base au dialogue et de fondement aux relations bilatérales. (Dans un sens, le ministre des affaires étrangères Wang se fait l’écho du refus de Moscou d’accepter les réponses écrites des États-Unis à ses propositions de traités comme base de négociations futures).
Et si Blinken avait espéré que la Chine resterait à l’écart du différend entre la Russie et les États-Unis concernant l’Ukraine (en 2014, la Chine n’avait pas soutenu l’annexion de la Crimée par la Russie), cela ne s’est pas produit.
Le ministre des affaires étrangères Wang a déclaré que le problème était l’absence de respect par Kiev des accords de Minsk – et que Poutine avait raison sur ce point. Mais, fait plus alarmant pour Washington, Wang a souligné qu’au cœur de la crise se trouvait la constitution par les États-Unis de « blocs » militaires pour étouffer la Russie. Il a souligné – faisant à nouveau écho à Moscou – que la « sécurité » accrue d’un État ne peut être obtenue au détriment de celle d’un autre.
Le Global Times donne cet avertissement : « Compte tenu de la relation « dos à dos » entre la Chine et la Russie, les États-Unis ne peuvent rien faire [pour diviser] les deux grandes puissances ». La Russie et la Chine ne sont « pas des alliés, mais mieux que des alliés… Que les Américains réfléchissent bien à la connotation de cette expression. S’ils provoquent la Chine ou la Russie, aucun de ces deux pays ne restera indifférent. Washington doit s’attendre à cela à l’avenir ».
Cet échange – ainsi que la déclaration sans détour du ministre des affaires étrangères Lavrov, selon laquelle la doctrine occidentale formulée dans ses réponses à Moscou (qui prive effectivement la Russie de son autonomie en matière de sécurité) exclut tout dialogue avec les États-Unis ou l’OTAN – revêt une importance majeure pour le Moyen-Orient.
Washington aime compartimenter ses relations géopolitiques, croyant qu’il peut être doux dans « un » compartiment, mais très agressif dans un « autre ». Il est clair que cela ne tient plus pour l’axe Russie-Chine, comme le montrent très clairement les remarques du ministre des affaires étrangères Wang.
Toutefois, l’Iran fait réellement partie de cet Axe. Est-il vraiment possible aujourd’hui d’espérer un accord JCPOA iranien avec les États-Unis ? La Russie et la Chine peuvent-elles dire – de manière aussi explicite – que le déni américain de toute souveraineté en matière de sécurité à l’égard de la Russie ou de la Chine marque la fin du dialogue avec les États-Unis, tout en s’attendant à ce que l’Iran parvienne à un accord précisément dans des conditions aussi restrictives avec les États-Unis ?
Le fait que les États-Unis renoncent au principe selon lequel « le renforcement de la sécurité d’un État (c’est-à-dire de l’OTAN) ne peut se faire au détriment de la sécurité d’un autre État » revêt une importance particulière pour l’Iran, car le JCPOA a été conçu précisément pour contenir l’Iran, afin de renforcer la sécurité d’Israël sous l’égide des États-Unis. Ce que les États-Unis disent à la Russie, c’est que la barricade de vos frontières (c’est-à-dire celles de la Russie) et l’endiguement économique par l’OTAN sont un « droit » occidental exceptionnel pour lequel il n’existe aucun recours. « Idem » pour l’Iran.
Et l’Iran se fierait-il aux affirmations du JCPOA américain au moment même où les États-Unis et Israël s’immiscent directement dans la guerre au Yémen, afin de garder la mainmise sur le détroit de Bab al-Mandeb (qui pourrait sinon tomber entre les mains des Houthis) de manière à « pressurer » l’Iran, et à « contenir » et priver la Chine de sa Route de la soie maritime en temps de crise ? Quel est donc le prix de la sécurité autonome pour l’Iran ?
Ainsi, le port d’Aden, le détroit de Bab Al-Mandeb et l’île de Socotra constituent un élément essentiel de l’élaboration de la guerre froide entre la Chine et les États-Unis. L’allié arabe (en l’occurrence les EAU) capable de contrôler ce détroit essentiel donnera aux États-Unis un moyen de pression qui leur permettra de mettre en péril la Route de la soie maritime de la Chine – et est donc considéré dans certains cercles de Washington comme la justification du soutien américain au conflit actuel au Yémen.
Brett McGurk, l’envoyé américain au Moyen-Orient, a suggéré dans une récente interview qu’un accord JCPOA (bien que loin d’être certain) pourrait encore se concrétiser, et a invoqué pour cela la notion de cloisonnement. Il a suggéré que la Russie et l’Iran soutenaient désormais pleinement les efforts des États-Unis pour parvenir à un accord (au même titre que l’UE31).
À la lumière de la charge de Wang Yi contre Blinken et de la position intransigeante de Lavrov sur les revendications exceptionnelles des États-Unis, cela semble fantaisiste. Dans la région où on se demande si l’Iran va ou non succomber et tomber dans la « sphère » américaine, la déclaration de Lavrov pourrait bien avoir défini l’avenir du Moyen-Orient.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
Notes
- France, Allemagne, Royaume-Uni
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