C’est principalement l’État qui s’occupe de la redistribution entre les régions. Or toutes ne payent pas ou ne reçoivent pas la même part. Certaines donnent plus qu’elles reçoivent, d’autres reçoivent davantage qu’elles ne donnent. Il y a donc des contributeurs nets et des bénéficiaires nets. Nous disposons d’au moins deux études récentes pour tenter d’appréhender la redistribution régionale et la répartition territoriale de la richesse nationale.
Qui gagne, qui perd ?
La première étude a été réalisée par Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG. Intitulée « Flux de solidarité interpersonnelle entre les régions de France qui résultent essentiellement de l’impôt et de la sécurité sociale. », (février 2021) elle s’appuie sur des données fournies par Eurostat. Les données dont on dispose datent de 2017 et sont présentées pour l’ancien découpage régional (21 régions), ce qui est nettement mieux pour avoir une approche plus fine du territoire.
D’après les recherches effectuées par Éric Dor, il y a 3 régions contributrices nettes (c’est-à-dire qui payent davantage que ce qu’elles reçoivent) : l’Île-de-France, l’Alsace, Rhône-Alpes.
Les habitants de l’Île-de-France sont contributeurs nets à raison de 6 345€ en moyenne, par habitant et par an. En Alsace c’est 594€ et en Rhône-Alpes, 443€.
Du côté des régions qui reçoivent le plus, ce sont les outre-mer qui arrivent en tête, et notamment Mayotte.
Les habitants de Mayotte perçoivent en moyenne 4 395€ par personne et par an.
En métropole, c’est le Limousin qui perçoit le plus : 3 599€ par personne et par an.
Voici le tableau défini par Éric Dor :
Outre-mer :
Mayotte : 4 395€
Guyane : 4 305€
La Réunion : 4 282€
Guadeloupe : 3 603€
Martinique : 2 976€
En métropole :
Limousin : 3 599€
Auvergne : 2 876€
Basse-Normandie : 2 852€
Poitou-Charentes : 2 823€
Languedoc-Roussillon : 2 789€
Bourgogne : 2 460€
Franche-Comté : 1 884€
Champagne-Ardenne : 1 870€
Bretagne : 1774€
Lorraine : 1 599€
Centre-Val de Loire : 1 543€
Nord-Pas-de-Calais : 1 472€
Pays de la Loire : 1 366€
Haute-Normandie : 1 358€
Aquitaine : 1 224€
Corse : 1139€
Midi-Pyrénées : 863€
PACA : 653€
Ce tableau révèle quelques données surprenantes : le classement assez mauvais de la Bretagne par exemple, qui dispose pourtant de nombreux pôles entrepreneuriaux ; le positionnement plutôt bon de la Corse (ou moins mauvais…) qui arrive dans les derniers bénéficiaires de la redistribution, alors que l’on croit souvent l’inverse ; la distorsion des deux Normandie, avec un important écart entre la Basse et la Haute.
On constate que les régions majoritairement rurales reçoivent davantage que les régions urbaines, bien que les ruraux aient toujours l’impression de « payer pour les villes ». Le NPC s’en tire plutôt bien, alors que la région conserve une image de dépression économique : on le voit ici mieux placé que la Bourgogne, la Basse-Normandie, la Bretagne ou le Languedoc.
Une autre étude, de François Ecalle, se fondant sur des chiffres de l’INSEE, arrive aux mêmes conclusions : François Ecalle, « La redistribution entre les régions », Fipeco, 2 décembre 2021[1]. Il s’appuie sur des données de l’INSEE publiées en juillet 2021. Cette fois-ci, les régions indiquées sont les nouveaux ensembles.
D’après François Ecalle, les transferts nets sont d’environ 3 600€ en moyenne et par habitant en 2018. Ils sont financés par les impôts indirects, les entreprises et l’endettement public. La répartition se fait comme suit :
Outre-mer
Guadeloupe : 9 100€ par habitant
La Martinique : 8 100€
La Réunion : 7 800€
Moyenne des régions d’outre-mer : 7 300€
Moyenne de la métropole : 3 600€
Métropole :
Nouvelle-Aquitaine : 5 400€
Corse : 5 200€
Bourgogne Franche-Comté : 5 200€
Occitanie : 5 200€
Occitanie : 5 100€
Normandie : 5 100€
Hauts-de-France : 4 700€
Bretagne : 4 700€
PACA : 4 500€
Centre-Val de Loire : 4 300€
Grand Est : 4 100€
Pays de la Loire : 4 000€
Auvergne-Rhône-Alpes : 3 400€
L’Île-de-France est la seule région qui donne plus que ce quelle reçoit : -900€ par habitant.
Cette étude donne les mêmes grandeurs d’ordres que la précédente, avec ceci que l’Alsace et Rhône-Alpes sont désormais inclus dans les régions bénéficiaires, du fait de leur intégration à des ensembles plus grands. On voit ici que pour la recherche statistique, il est nécessaire de conserver le découpage en 22 régions, qui permet une compréhension plus fine et donc plus pertinente des territoires.
Île-de-France, championne d’Europe
Sans surprise, Paris et son ensemble plus vaste l’Île-de-France est la région qui tire l’ensemble du pays vers le haut. La province ne paye pas pour Paris, comme on l’entend trop souvent dire, mais, par le jeu de la redistribution, c’est Paris qui paye pour la province.
L’IDF regroupe 12.2 millions d’habitants. C’est la région la plus jeune de France métropolitaine (100 jeunes de moins de 20 ans pour 58 personnes âgées de 65 ans ou plus) et également l’une de celle qui a le taux de fécondité le plus élevé.
C’est aussi la région où le niveau de vie médian est le plus élevé. En 2018, toujours selon l’INSEE, il s’établit à 23 860€ par an contre 21 650€ en France.
L’IDF se place devant Auvergne Rhône-Alpes (22 480€) et la Bretagne (21 750€). Les Hauts-de-France (20 110€), la Corse (20 670€) et l’Occitanie (20 740€) ferment le tableau.
En IDF, les disparités par départements sont marquées :
Paris (28 270€), Hauts-de-Seine (28 040€) et Yvelines (26 810€) arrivent en tête du classement du salaire média par habitant et par an. La Seine-Saint-Denis (17 740€) clôture le bal.
L’étude du PIB confirme cette richesse. L’IDF est la région au PIB le plus élevé (726 milliards d’euros), soit deux fois plus qu’Auvergne Rhône-Alpes (273 Mds€).
Sans surprise, c’est aussi dans cette région que l’on trouve le plus de diplômés et l’un des marchés de l’emploi le plus dynamique.
Tous ces chiffres sont issus des études de l’INSEE :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4481962
Ces données confirment le fait qu’il n’y a pas de redistribution sans richesse créée. Ou comme le disait Margaret Thatcher, « le socialisme dure tant que dure l’argent des autres ».
Redistribuer, à quelles fins ?
Dans ce cas de géopolitique territoriale, la redistribution peut être utile quand elle finance des infrastructures de transport ou de développement économique. La rénovation du port du Havre ou de Marseille, une autoroute qui relie Lyon à Bordeaux, la construction d’un canal ou la modernisation du réseau ferré et autoroutier sont autant de choses qui bénéficient à tout le pays et pas uniquement aux régions où les infrastructures sont créées.
Il en va de même pour les outre-mer, dont on peut comprendre qu’il faille opérer certains transferts pour maintenir la présence française dans le monde et payer ainsi sa puissance.
Mais comme tous les débats sont dévoyés par l’idéologie marxiste, tout est regardé sous l’angle des « inégalités » et de « l’oppression ». Il faut ainsi nécessairement que certains territoires oppriment les autres, que certains soient « privilégiés » et que d’autres subissent « l’injustice ». C’est mal connaitre le fonctionnement d’un pays, notamment les interactions complexes et souvent invisibles des territoires et des régions entre eux.
On l’a vu ainsi lors des manifestations en Guadeloupe où certains écrivaient que les Antilles françaises étaient oubliées. Compte tenu du niveau de redistribution, ce n’est manifestement pas le cas.
Là aussi, en matière territoriale, plutôt que tout penser sous
l’angle de la redistribution, il serait plus judicieux de réfléchir à la
façon de créer de la richesse dans les terroirs et les départements.
Les inégalités ne sont pas scandaleuses par nature, ni injustes. Elles
peuvent même être tout à fait profitable au pays : il est évident que
l’on n’attend pas le même degré de richesse d’une mégapole mondiale
comme Paris et d’un territoire rural comme le Rouergue. Plutôt que
d’opposer sans cesse les villes aux campagnes, les métropoles et les
périphéries, il serait plus judicieux d’admettre qu’un pays a besoin
d’une diversité territoriale pour bien vivre.
[1] https://fipeco.fr/commentaire/La%20redistribution%20entre%20les%20r%C3%A9gions
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