15 janvier 2022

Kazakhstan : retour au calme ?

 

Alors qu’il s’apprêtait à commémorer le 30e anniversaire de son indépendance, le Kazakhstan a connu une dizaine de jours de violentes émeutes durant lesquels le pays a manqué de vaciller. Tout est parti de l’augmentation des prix du gaz liquéfié, utilisé comme carburant par les automobilistes. Des manifestations se sont déclenchées demandant la baisse du prix du gaz. Manifestation classique face à l’augmentation du prix d’un produit de base.

 

Ce qui est moins classique en revanche, c’est la tournure prise par les événements. Les manifestations sont devenues de plus en plus violentes, des bâtiments officiels ont été pris d’assaut et incendiés, l’aéroport de Nour-Sultan, la capitale, a été occupé. Outre les dégâts matériels, le bilan humain est très lourd : près de 150 morts selon les chiffres officiels, dont une vingtaine de policiers, dont 3 ont été décapités. Le pays a connu plusieurs jours de chaos, obligeant le gouvernement à couper internet et à faire appel à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) afin que les pays membres lui prête main forte pour le maintien de l’ordre.

 

Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a limogé son gouvernement et baissé les prix du gaz, sans que cela ne calme les émeutes. Il a aussi pris la place de l’ancien président Nursultan Nazarbayev comme directeur du Conseil de sécurité. Celui-ci, père de l’indépendance et dirigeant du pays de 1991 à 2019, avait conservé une partie du pouvoir en demeurant dans l’ombre de son successeur et en conservant de nombreux affidés dans les administrations et les cercles du pouvoir. Le président a également limogé Karim Massimov, chef du Comité national de sécurité, c’est-à-dire les services secrets, qu’il a ensuite accusés de haute trahison.

 

Le processus révolutionnaire

 

L’extrême violence des manifestations a surpris bien au-delà des frontières du Kazakhstan. Le passage de manifestations d’opposition à la hausse du prix du gaz à un embrasement du pays avec attaque de bâtiments et destructions de biens privés et publics témoigne d’une organisation et d’une velléité forte des manifestants. Ce n’est pas la même chose de demander que le prix du gaz baisse et d’incendier la mairie d’Almaty, de tuer des policiers et de prendre d’assaut un aéroport international. Ce que nous avons vu ici c’est le passage d’une manifestation d’opposition à un processus révolutionnaire. Or le processus révolutionnaire nécessite des troupes, qui cassent et qui font monter la violence, et des officiers, qui pensent le processus et qui l’aiguillent. Les troupes peuvent se recruter chez les manifestants, notamment les jeunes et les extrémistes. Mais les officiers doivent être coordonnés, se connaitre et s’organiser. Le processus révolutionnaire n’est jamais spontané. Il peut y avoir des débordements du peuple manifestants, il peut se trouver des imprévus et des moments d’accélération, mais il faut qu’il y ait une tête pensante qui organise et structure le processus révolutionnaire.

 

Vu l’état des violences et des dégâts, qui ont touché l’ensemble du pays, avec une prégnance plus forte pour le sud, il semble bien que le Kazakhstan a affronté un processus révolutionnaire qui a cherché à déstabiliser et renverser le régime.

 

C’est la thèse défendue par le président, qui a parlé de « groupes terroristes » qui auraient organisé et planifié les attaques et entrainé les combattants. Information reprise par le ministre des Affaires étrangères dans un communiqué du 10 janvier :

 

« Comme l’ont démontré les événements d’Almaty et de plusieurs autres régions du pays, le Kazakhstan a été confronté à une agression armée de groupes terroristes bien coordonnés, entraînés à l’étranger. Selon l’information préliminaire, parmi ces assaillants figuraient des individus ayant une expérience de zones de combat militaire, du côté des groupes islamistes radicaux. À l’heure actuelle, les forces de l’ordre et les forces armées du Kazakhstan font face à des terroristes, et non à des “manifestants pacifiques”. »

 

Aucune précision complémentaire n’a pour l’instant été donnée sur le nom de ces groupes ni sur leurs origines.

 

L’orbite de la Russie

 

Sans l’intervention des troupes de l’OTSC, majoritairement composées de Russes, mais aussi d’Arméniens et de Biélorusses, le pays serait tombé. La Russie a envoyé près de 2 500 soldats afin de sécuriser les points sensibles et de maintenir l’ordre. Alors que le Kazakhstan s’apprêtait à commémorer le 30e anniversaire de son indépendance, il doit sa survie au cours de cette crise à l’aide russe, qui démontre que Moscou continue d’avoir une grande influence dans l’ancien espace soviétique, le fameux « étranger proche ». Le Kazakhstan comprend près de 40% de Russes ethniques, essentiellement concentrés le long de la frontière avec la Russie. Grand comme quatre fois la France, mais peuplé de seulement 19 millions d’habitants, le Kazakhstan est un très vaste pays dont le défi est celui du contrôle du territoire. Si le processus révolutionnaire réussit et si le gouvernement était renversé, une partition du pays est à craindre, à l’exemple de l’Ukraine, avec une division entre un nord russe et un sud non russe. Ce serait ajouter un facteur d’instabilité supplémentaire à une Asie centrale qui est déjà sous ébullition et sous tension de la Chine, de la Turquie et de la Russie.

 

La présence de troupes arméniennes, chose qui n’a pas été assez signalée, replace également ce pays dans le concert international après sa défaite dans le Karabagh et la réintègre dans le giron russe, là aussi comme force d’appoint de l’OTSC. Comme si 30 ans après la fin de l’URSS se recréait l’ancien espace soviétique et se maintenait l’influence de Moscou.

 

Une tentative de coup d’État ?

 

Les dernières informations qui nous parviennent et qui filtrent dans les lieux numériques d’expression laissent penser que le président kazakh a affronté une tentative de coup d’État visant à le renverser pour maintenir le pouvoir des proches de l’ancien président. Il semblerait ainsi que les forces armées gardant l’aéroport soient parties plusieurs minutes avant l’arrivée des manifestants. De même, le chef déchu du Comité national de sécurité aurait planifié et organisé ce coup d’État, d’où son limogeage et l’accusation portée contre lui de haute trahison. Ces faits restent à vérifier et à préciser même s’ils permettent d’expliquer la violence des attaques et l’ampleur du phénomène. Ce serait donc ainsi une partie de l’État profond qui se serait soulevée contre son dirigeant afin de conserver les rênes du pouvoir. En retirant à Nursultan Nazarbayev la direction du Conseil de sécurité, Kassym-Jomart Tokayev a peut-être réalisé la bonne opération d’avoir réussi à évincer celui qui fut son protecteur et dont il fut Premier ministre.

 

À une échelle plus large, le Kazakhstan voit s’affronter les appétits territoriaux de la Russie, de la Turquie et de la Chine. Comme il avait défendu la Biélorussie, Vladimir Poutine a défendu son allié kazakh. Les Turcs ont tenté de pousser leur avantage en s’immisçant dans la crise, comme ils avaient réussi à avancer leurs pions en Afghanistan, mais ils se sont ici heurtés à la présence de Moscou. La Chine enfin a toujours vu dans le Kazakhstan un pays stratégique. C’est par lui que passent une grande partie de ses routes de la soie et son projet d’extension en Asie centrale. Tenir le Kazakhstan est une façon de prendre le contrôle de l’Eurasie et d’avancer son avantage par rapport à la Turquie et à la Russie. Une stratégie qui a là aussi échoué : la Russie est demeurée maitre de son espace stratégique.

 


 Jean-Baptiste Noé

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