Je suis bibliothécaire-ludothécaire dans une petite commune depuis 18 mois, à la suite d’une reconversion professionnelle, en tant que stagiaire de la fonction publique. J’adore mon métier, je m’y suis investie à fond et ai découvert la diversité de ce métier-passion, le plaisir de raconter des histoires aux enfants et de voir leurs yeux émerveillés grâce à l’imaginaire, la satisfaction d’apporter un conseil personnalisé à tous les lecteurs, la fierté de faire découvrir de nouveaux auteurs.
Bref, jusque-là je m’épanouissais avec ce travail, malgré les complications dues au covid (port du masque, mise en quarantaine des livres, drive pendant le confinement…), tout se passait bien, et je n’avais que de bons retours par rapport à mon travail.
Petit résumé d’une situation intolérable qui s’éternise
Arrive alors la période estivale, entachée du discours présidentiel (ndlr : intervention du 12 juillet 2021) annonçant la mise en place du pass sanitaire à partir du 09/08 dans les bibliothèques. Je suis partie en congés fin juillet, pensant que cela n’impacterait pas ma petite bibliothèque, puisque l’on appliquait la jauge de moins de 50 personnes. Par ailleurs, j’avais clairement exprimé ce que je pensais à mon responsable, et lui avais indiqué mon refus de l’injection. Puis j’ai appris au cours des vacances que la jauge disparaissait (ndlr : décret du 5 août 2021), et donc que je devrais demander le pass à mes usagers lors de la reprise, ce qui était complètement contraire à mes valeurs personnelles et à la déontologie du métier* qui veut l’accessibilité aux bibliothèques sans condition à tous les citoyens. De plus, j’apprenais qu’à compter du 30/08, je serais moi-même dans l’obligation de présenter un pass sanitaire, ce qui était absolument hors de question !
Quantité de lois bafouées par le décret du 05/08/21
J’ai donc repris le travail le 24/08, et reçu un mail de mon responsable me disant qu’à partir de ce jour je devais contrôler les pass des usagers, et que si je refusais je serais convoquée à un entretien pour faute avec risque de blâme, me précisant par la même occasion qu’à partir du 30/08, si je n’étais pas vaccinée, je devrais présenter un test PCR tous les trois jours. A cela j’ai répondu que « je n’avais pas les compétences pour juger de l’état de santé d’une personne, et qu’en vertu du secret médical, seul un personnel soignant est habilité à vérifier des données de santé, que le refus éventuel d’usagers sur cette base est discriminatoire, dans un lieu accueillant du public, en vertu de l’article L225-2 du code pénal, et que je ne n’étais donc pas, au regard de la loi, en capacité d’effectuer ces contrôles ». J’évoquais également dans ma réponse la résolution 2361 du parlement européen votée le 27/01/21, précisant les articles 7.3.1 et 7.3.2 concernant l’obligation vaccinale (ndlr : le parlement européen prescrit une attitude respectueuse de la liberté vaccinale de chacun).
Je terminais cette réponse en disant que je me tiendrais à disposition pour un éventuel entretien, afin d’étudier ensemble les solutions qui permettraient de respecter à la fois les droits et devoirs de chacun, tout en restant dans le cadre de la loi, puisqu’il était bien stipulé dans le décret qu’avant toute mesure de suspension, il fallait étudier les possibilités de réorganisation interne ou de réaffectation sur un autre poste, non soumis au contact du public. J’étais encore à ce moment-là dans un état d’esprit très positif, et confiante quant à la suite des évènements, puisque j’étais persuadée qu’il était impossible, dans un pays de droit comme la France, qu’un décret puisse bafouer une telle quantité de lois fondamentales, qu’il fallait se défendre et que cela n’était qu’une question de temps avant que les grands malades au pouvoir ne descendent de leur piédestal, et se fassent rabrouer…
Possibilités de réorganisation interne pour préserver son emploi
A partir de là, c’est devenu franchement un sketch ! D’abord la DRH qui me répond avec des textes de loi tronqués, et me dit que le contrôle des passes fait aujourd’hui partie de « nos nouvelles missions », qu’il n’y a absolument rien de discriminatoire (c’est moi qui interprétais mal les textes de loi), ou de liberticide. Puis lorsque j’ai exposé, auprès de mes supérieurs, toutes les incohérences liées à l’application de ce décret, l’une d’elles m’a répondu « Oui, on est bien d’accord avec toi, tout est contradictoire, rien de logique, c’est ingérable. Mais enfin bon, il faut bien savoir que tu as choisi d’entrer dans la fonction publique, donc on ne te demande pas de réfléchir mais d’appliquer les ordres », là j’ai vraiment halluciné d’entendre de telles paroles, ça fait peur !
Ensuite, parce que j’ai continué à refuser de contrôler les pass, mon responsable s’est vu dans l’obligation de venir sur le site, durant trois jours, pour faire lui-même le contrôle de chaque usager, tandis que moi je continuais mon travail habituel. J’étais choquée de le voir refuser l’accès à des lecteurs habituels, qui n’étaient parfois même pas au courant de cette nouvelle obligation, sans exception ! Pendant ces trois jours, je recevais régulièrement des appels et des mails des supérieurs hiérarchiques ou du service RH pour me convaincre, auxquels j’ai répondu que de toute façon, le problème de la vérification des pass serait bientôt secondaire, car à la fin de la semaine ce serait moi-même qui devrais présenter un pass sanitaire, que je n’aurai pas. Là, ils se sont montrés disposés à trouver une solution pour réorganiser le service, afin que je puisse continuer à travailler. Après concertation avec l’ensemble du service, mon chef a donc proposé que des collègues d’autres bibliothèques viennent me remplacer durant les horaires d’ouverture au public, tandis que je réaliserais une partie de leurs tâches internes (administratif, navettes, réparations, rangement…). Je gérerais en parallèle un « drive » qui permettrait aux usagers n’ayant pas le pass d’emprunter quand même des livres, et je pouvais également continuer les accueils scolaires.
Refus des élus, suspension
Restait que les élus devaient valider cette proposition, mais j’étais plutôt confiante, car persuadée d’une part, qu’ils ne pourraient pas se permettre de perdre une salariée de l’équipe, vu la charge de travail et la satisfaction qu’ils exprimaient à mon égard, et d’autre part, que la morale et la raison l’emporteraient sur le délire en cours. Malheureusement, ce ne fut pas le cas… Après quelques jours, lorsqu’on m’a informée que les élus avaient refusé la solution proposée, et qu’ils exigeaient la présentation d’un pass à partir du mardi suivant, sous peine d’être suspendue, je me suis dit qu’ils bluffaient et n’iraient pas jusqu’au bout. Pour ma part de toute façon le refus était catégorique, que ce soit pour la vaccination ou les tests, qui étaient aussi intrusifs et anticonstitutionnels.
Après plusieurs avertissements par mails et par téléphone de ma hiérarchie (c’était minimum cinq appels par jour + mails), mon chef m’a appelée le samedi pour me dire qu’ils viendraient à cinq (élus, supérieurs, RH) lors de ma prise de poste le mardi suivant, pour me demander une énième fois de présenter un pass. Sérieux, à cinq pour moi toute seule !?? Il m’a conseillé de rester calme, car l’élu principal était très remonté contre moi, et que ça pourrait vite monter en tension, voire qu’il devienne agressif (ouais, carrément) ! Il m’a à nouveau rappelée le lundi (mon jour de repos) pour me préciser que j’avais la possibilité de poser des congés pour éviter la suspension… J’ai répondu que c’était hors de question déjà, et que ça ne ferait que repousser le problème, puisque je n’avais pas des congés à la pelle.
Donc le mardi matin 07/09 je me suis présentée à 9 heures, et surprise, le comité d’accueil n’était finalement composé que de mon chef et d’un membre du service DRH. Donc je me suis dit « Ils ont juste voulu me mettre la pression avec leurs menaces ». N’ayant toujours pas de pass à présenter, on m’a signifié une suspension (sans salaire) jusqu’à nouvel ordre, avec convocation en fin de semaine pour voir si j’aurais changé d’avis. Plusieurs personnes m’ont conseillé sur ce que je devrais faire (plainte en gendarmerie, tribunal administratif…), mais ils se contredisaient parfois et, dans l’absolu, je voulais réussir à garder mon poste dans des conditions correctes. Donc, comme je n’avais cependant aucune intention de céder, je cherchais d’abord à trouver les arguments pour me défendre en direct lors de mon prochain RDV, sans impliquer la justice dans l’immédiat.
Aucune discussion possible
Je suis donc restée chez moi les deux jours suivants, puis j’ai reçu ma convocation par mail le jeudi à 16 heures pour le lendemain matin à 8 heures ! Cela me laissait peu de temps pour m’organiser, et un monsieur faisant partie d’un collectif local s’est gentiment proposé pour m’accompagner à ce RDV. J’avais bien préparé mon argumentation avec les textes de loi démontrant l’illégalité du pass sanitaire, mais j’étais surtout convaincue qu’ils allaient finalement accepter la réorganisation. Lorsque je me suis présentée, ils ont refusé que le monsieur qui m’accompagnait (citoyen lambda, sans étiquette syndicale ou autre) assiste à notre entrevue. Puis la discussion dans le bureau fut très brève, avec quelques arguments que j’ai énumérés, mais voyant que cela leur était complètement égal, j’ai dit : « En fait, cette discussion ne sert à rien n’est-ce pas ? Quoi que je dise, la décision est déjà prise ? » avec pour réponse « Oui c’est bien cela, la décision est irrévocable, vous êtes suspendue jusqu’au 15 novembre à moins de présenter un pass ».
L’élu principal n’étant même pas présent pour s’expliquer, je leur ai demandé si au moins celui-ci leur avait communiqué ses raisons pour refuser la réorganisation, alors que le décret précisait clairement cette possibilité, mais la réponse fut très évasive. On m’a fait comprendre qu’ils voulaient que je serve d’exemple, afin de dissuader les prochains qui voudraient se rebeller. J’ai essayé d’insister en disant qu’ils ne pouvaient pas me faire ça, alors que je m’étais investie à fond dans ce travail, que c’était injuste, ce à quoi le DRH m’a répondu « Ah mais on n’a rien à te reprocher, on est très satisfait de ton travail. Il ne faut pas prendre ça pour une sanction. Cest une mesure de protection du public. » Et moi de répondre : « Vous êtes sérieux ? Deux mois et demi sans salaire, ce n’est pas une sanction ? Moi je trouve cela très sévère ! Franchement, c’est très grave ce qui se passe en France actuellement, mais le plus grave c’est de laisser faire sans rien dire ! Vous vous rendez compte de la gravité de vos actes ? En incitant de la sorte les gens à s’injecter un produit expérimental, s’il y a des graves effets secondaires vous aurez des comptes à rendre ! » Leur réponse : « Ah, mais ce n’est pas nous, c’est l’Etat. »
Incompréhension, désillusion, dépression
Voilà comment je suis tombée de très haut, car j’ai pris conscience à ce moment-là de l’ampleur qu’avait pris le délire totalitaire dans lequel notre pays était plongé, comme beaucoup d’autres pays occidentaux. Je me suis dit que ce n’était pas possible qu’en France, on laisse les gens comme ça sans salaire, pour des décisions politiques, avec aucune considération pour l’humain. Et encore, je trouve ma situation moins grave que celle des soignants qui, eux, ont en plus trimé pendant le covid, sans matériel adéquat, devant aller travailler même s’ils étaient malades, sans compter les heures, et sont aujourd’hui traités comme des vauriens pestiférés s’ils refusent l’injection.
J’ai alors pensé à chercher du travail ailleurs, mais le moral et les piles à plat, je ne m’en sentais pas capable. Du coup le médecin m’a mise en arrêt, puis je suis allée à la médecine du travail, qui a confirmé mon état et a fait un doc « temporairement inapte au poste ». J’ai alors découvert que, selon le décret du 05/08, même après suspension du contrat, « un salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit », donc mon employeur était tenu de me verser un complément de salaire, ce qu’il n’a pas dû apprécier. Cela explique sans doute pourquoi il m’a fait convoquer à une contre-visite médicale, dont le médecin prestataire a lui aussi confirmé que mon état. Or, si ce troisième médecin a validé l’arrêt, c’est que ça faisait déjà huit jours que je ne dormais plus, j’avais 10 de tension et je ne faisais que pleurer.
Cela fait maintenant deux mois, et les choses ne s’améliorent pas, je me sens épuisée moralement et physiquement. Il y a peu, le pass a été prolongé jusqu’en juillet 2022, je suis dans le brouillard quant à mon avenir professionnel. Je suis vraiment écœurée de tout ça. En même temps, je continue les démarches, j’ai plusieurs personnes autour de moi qui m‘aident à trouver des moyens de me défendre, mais je suis obligée d’admettre que j’ai un peu fait le tour des possibilités, et ça semble difficile de continuer à croire que je réussirai en utilisant les règles de ce système pourri. Donc, avec mon mari, on réfléchit de plus en plus à s’impliquer dans la création d’un autre style de vie pour la suite…
Témoignage de Magali (le prénom a été modifié) pour Le Média en 4-4-2.
*Seul lieu culturel totalement gratuit, ouvert à tous sans filtrage ni billetterie, les bibliothèques ont une fonction sociale majeure, elles jouent un rôle important dans l’apprentissage et la culture de la lecture. Restreindre leur accès prive de ce service public de proximité une partie de la population, avec parmi elle de nombreux enfants dont les parents ne disposent pas du pass sanitaire (et des adolescents qui ne l’ont pas eux-mêmes depuis le 30 septembre). Il est commun qu’une partie de la population la plus précaire utilise les bibliothèques pour l’accès à Internet ou pour une aide administrative ou sociale
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