C’était bien une de ces rencontres qu’on n’imagine pas, d’apprendre que le colonel Pat Lang, ancien officier de la Defense Intelligence Agency et du site anciennement ‘Sic Semper Tyrannis’ devenu ‘Turcopolier.com’ (j’ignore la signification), n’est rien de moins qu’un ‘fan’ de Stéphane Bern...
Contrairement à ce qu’on pourrait croire trop vite, nous ne sommes pas, dans ce cas avec Stéphane Bern, ni dans la paillette ni dans la rubrique des têtes couronnées. Nous sommes dans la rubrique d’une immense tristesse de ces personnes, étrangères à la France, souvent anglo-saxonnes voire américaines, qui ont toujours eu pour ce pays, et particulièrement la “Ville-Lumière” qui brillait (temps passé) en son sommet, une de ces affections qui transcendent l’histoire et les nations pour s’exprimer au nom du patrimoine de l’art de la civilisation, comme un trait liant toutes les civilisations constitutives de la mémoire de l’espèce, de sa gloire, de sa justification et de sa raison d’être.
C’est un emprunt d’article que Lang inscrit dans sa rubrique, de Anne-Elizabeth Moutet, cette journaliste française devenue quasiment britannique, presque avec l’accent, à force de collaborer avec les journaux britanniques. Présentement et depuis 2007, elle est ‘columnist’ au ‘Daily Telegraph’, et le texte cité est un commentaire du 16 novembre 2021 sur « Les gens[qui] fuient un Paris dévasté par la gauche », sur le site de Lang, le 17 novembre 2021, terminé par un rapide commentaire du colonel...
« Confrontés à leur passion autrefois magnifique mais de plus en plus malodorante, jonchée de détritus, envahie par la criminalité et mal gérée, les Parisiens fuient vers les campagnes avoisinantes, – ou, à défaut, vers la Côte d’Azur ou les verts bocages de Normandie.
» Le dernier en date de ces départs a suscité stupéfaction et interrogations. Il est difficile d’imaginer une figure plus consensuelle dans la France moderne que Stéphane Bern. Le reporteur vedette des affaires des royales au magazine ‘Paris Match’ est un habitué de la télévision, célèbre pour ses somptueux documentaires ‘Secrets d'Histoire’. Il a présenté le concours de l'Eurovision et les bals des débutantes et a été nommé par le président Macron (un grand fan) à la tête d'une mission officieuse non rémunérée visant à cataloguer les monuments historiques français ayant un besoin urgent de réparation.
» “Dans notre République, l’attrait de cet homme de 58 ans pour tous les partis et toutes les classes sociales est aussi proche que possible des personnages de la Royauté. Si vous voulez une image sociale de lui, pensez au Prince Charles ou à David Attenborough. Cela devrait vous donner une idée du tremblement de terre qu’a provoqué sa décision de quitter Paris. Et il ne part pas sur la pointe des pieds.
» “‘Paris est devenue une poubelle’, a-t-il déclaré cette semaine au quotidien populaire ‘Le Parisien’. ‘Le mobilier urbain emblématique, des bancs aux kiosques à journaux en passant par les rampes en fer forgé, est remplacé par d’affreux éléments modernes.
» “‘Je n’ai jamais vu autant d’arbres sciés, autant de parterres de fleurs arrachés. Comment pouvez-vous prétendre que la ville construit de nouveaux ‘quartiers écologiques’ alors que cela commence par l’arrachage de tous les arbres ? La ville est bruyante, sale, violente ; les rues et les trottoirs sont pleins de nids de poule ; les monuments historiques sont vendus à des entreprises commerciales’.”
» Commentaire : Moi aussi, je suis un fan de Bern. “Paris brûle-t-il ?" avait demandé Hitler à von Choltitz, le gouverneur militaire. Choltitz avait menti ou l’avait ignoré, ne voulant pas que l’histoire se souvienne de lui comme du destructeur de la ‘Ville Lumière’. Mais, maintenant, le flot des destructeurs semble gagner. PL »
Je ne vais certainement pas m’épancher sur ce que fut Paris, pour esquisser la catastrophe qui est en train de s’installer. Je n’ai rien vu de mes yeux car je n’ai plus vu Paris depuis 2011, pour l’enterrement d’un ami qui était comme un frère, comme si j’avais été averti par un signe secret que la disparition de ce vieux Parisien annonçait la catastrophe de cette ville que j’aimais tant, et de fait m’enlevait le goût d’y jamais revenir. (Pardonnez l’emploi du passé mais “je vous parle d’un tempsque les moins de vingt ans...”, etc.)
Je vais plutôt m’attarder sur le symbole que forme cette étrange rencontre ; dans le cadre sérieux du site d’un vieux colonel-espion aux lourds secrets, et d’un saltimbanque de haute volée qui parlait aux cœurs des jeunes filles, dans le cadre du “spectacle” de la société du même nom. Pourtant et quoiqu’étrange, – mais ne sont-ce pas nos temps qui sont “étranges” ? – cette sorte de rencontre n’est plus insolite et déplacée, tant les événements transcendent les catégories et les milieux si éloignés d’ordinaire, pour rassembler ceux qui ressentent la même morsure du Sacrilège. Je crois que ce qui arrive à Paris, quels que soient les « destructeurs » qui ne sont que déconstructeurs et déstructurateurs, leurs intentions et leurs vanités, leurs idées brandissant la gloire de la bêtise fermée à toute lumière, mais tous barbares de la modernité-tardive sans aucun doute, – je crois que ce qui arrive à Paris ne doit point étonner dans cette fête à la bienpensance, ce ‘Valsez, saucisses !’ qui vous fait suivre, comme autant de saucissonnage, la ligne générale qui ébranle le monde.
On peut opérationnaliser ce phénomène sismique et systémique en disant que Paris est déconstruit-déstructuré par la crasse, le désordre de l’autorité qui se hait elle-même, la vanité des idéologies vécues comme des pathologies, la haine totalitaire de la beauté, – la haine de l’ordre, de l’harmonie et de l’équilibre, et des formes divines qui naissent de cet assemblage, et lequel, plus d’une fois, caractérisa Paris dans les siècles passées, comme la “ville-Lumière” du monde. La lumière s’éteint. C’est un symbole et une conséquence parmi d’autres de nos temps-devenus-fous.
Et remarquez bien combien les courants qui animent cette ligne générale de déconstruction du monde sont souvent artificiellement opposés pour nous faire prendre leur simulacre pour le Nouveau-Monde de l’Égalité, alors qu’ils sont en fait intimement complices, comme frères-siamois, comme escrocs-transgenres. Bern le dit, sans plus y prêter attention, peut-être ou peut-être pas je ne sais, lorsqu’il dénonce le saccage du « mobilier urbain emblématique », où les sublimes vieilleries parisiennes de la voie publique et chargées d’histoire et de civilisation sont remplacées par « d’affreux éléments modernes », lorsqu’il mentionne « les monuments historiques... vendus à des entreprises commerciales ».
Ce n’est rien de moins que la célébration du mariage des idéologues-devenus-fous du wokenisme, de la migration comme une marée du soir, de la haine de l’entre-soi dans les labyrinthe des entresols du Mordor, avec l’hypercapitalisme expert dans la “chosification” de tout ce que le passé nous transmet de haute culture et de civilisation. Ces deux-là s’entendent si bien dans leur bacchanale effrénée et mondialiste-globaliste où plus rien est tout et où tout se réduit à plus rien du tout.
J’ai repris la chose dans l’urgence et sans souci des bonnes règles, avec mon latin si loin derrière moi ; mais j’entendais dire dans ce titre qui fait satire du “Fluctuat Nec Mergitur” de Paris, qu’avec Hidalgo et sa bande, et tout le reste des rats d’égout et autres barbares modernisés sans l’aval de Rome et de sa grandeur, point n’est besoin de tanguer pour couler : on coule direct sous le poids de l’ordure, Paris-Titanic et voies sur berges pour les postmodernes qui marchent sur l’eau – et “Mergitur Nec Fluctuat”...
Note d’authentification
... Rendez-vous compte : pourrais-je encore écrire celasi je n’avais gardé au fond de mon âme poétique des images qui héritent de la grâce de l’immortalité puisqu’elles sont le signe de l’éternité ? Tant pis pour madame Hidalgo, piètre héroïne des temps-parisiens-devenus-fous : effectivement, j’écrivis bien ces lignes, il y a plus d’une décennie désormais, dans ‘La Grâce de l’Histoire’ (Tome-I), où justement se mélangent ces deux frères-ennemis réconciliés, séparés et retrouvés, que tout relie secrètement lorsque l’artiste américain découvre Paris, – “découvrait Paris”, devrais-je écrire, dans tous les cas pour le temps que durera cette incursion diabolique (il s’agit bien du diable) des temps-devenus-fous et jusqu’à ce que Bern, applaudi par le colonel Lang de la DIA, ou leurs héritiers dans tous les cas, ne décide de revenir à Paris :
« Dans le film ‘Great Expectations’, d’Alphonso Cuaron, qui date de 1997, dans une année de la période où l'on connaît le triomphe américaniste de l'après-Guerre Froide et l’inévitable effacement français qui l'accompagne, – principe des vases communicants, rien de moins, – il y a l’irrésistible occasion, pour l’auteur de l’œuvre, d’une tirade exaltée confiée à l’acteur Robert De Niro. Le rôle est celui d’un vieux truand-bienfaiteur dissimulé, avec un visage mangé d'une barbe grise hirsute, un peu comme l'aurait été un Monte-Cristo ou son abbé Farias (ou comme Howard Hughes au bout de sa réclusion, dit un comparse du film qui n'a pas le sens des images littéraires). Ce bagnard évadé est revenu à New York quinze ans, vingt ans après (c'est presque du Dumas). En plein cœur d'une action dramatique où il va mourir brutalement, percé du coup de couteau d'un truand dont il est le traître, il recommande à son protégé, jeune artiste peintre qui a réussi à New York et qui est le héros de la bande, de l’accompagner, de partir avec lui pour un séjour à Paris, pour s’y faire reconnaître. On dirait un vieux sage provincial (de New York, rien que ça) recommandant à un artiste confirmé de sa province (de New York, lui aussi) d’aller chercher la consécration parisienne. “La ville des lumières, tu veux venir ?, s’exclame De Niro. Viens avec moi, tu vas adorer Paris ... Paris est une belle ville, très belle. C’est la ville de la culture, une ville magnifique. Et il y a tout, l'élégance, la beauté, il faut que tu ailles à Paris, pas une seconde tu ne regretteras d’avoir fait le voyage. Tout artiste doit aller au moins une fois dans sa vie à Paris. Tu dois y aller. Les rues, l'atmosphère, les femmes ... Oh, les femmes… ” Les images ont la vie dure, surtout lorsqu’elles sont d’un conformisme aussi déroutant, et chez De Niro en plus, ou lorsqu’elles deviennent symboles et miroir de l’Histoire. Pourquoi sinon pour saluer une évidence qui transcende les modes, les politiques et les siècles – pourquoi penser à cette autre image restée au fond de ma mémoire, comme la mère nourricière dispose sa terre fertile, de l'actrice américaine Lauren Bacall, plus vieille de tout le temps de sa carrière et à peine vieillie, et devenue une autre femme, devenue véritablement une femme internationale, qui passe à l'émission ‘Inside the Actor's Studio’ en 1999, où la question lui est posée, extraite du rituel où l'on déroule le “questionnaire de Bernard Pivot”, selon la présentation immuable du présentateur et réalisateur de l’émission James Lipton : “Qu'est-ce qui vous fascine par-dessus tout ?” De cette voix brève et qui semble métallique mais qui se révèle être une voix de gorge, sans trembler ni ciller, Bacall répond comme cela va de soi, comme une flèche se fiche dans la cible et au cœur, sans un souffle, presque sans un mot, comme si la réponse était inscrite dans le vent et dans l’histoire du monde :
» – Paris.
» Les images ne veulent pas mourir, dans ce cas parce qu’elles tiennent d’une parenté magique, d’une symbiose qui dépasse le seul règne de la raison. Elles parlent au cœur de l'homme, se transmettent d'esprit en esprit, transportent une âme vers l’autre ; les images de Paris se tiennent au cœur de l’artiste américain, comme si la ville, et le pays, et son prestige culturel, étaient siens, en-dehors de la géographie, de l’histoire et de la politique. Il y a une sociologie hors du temps et des aléas sociaux de l’émigration artistique américaine vers la France, de la dissidence américaine toujours avec un pied à Paris, comme s’il s’agissait d’un événement sociologique unique, qui se joue de l’histoire et du temps, qui unit les deux pays distants de milliers de kilomètres en effaçant leur spécificité, comme s’ils ne formaient qu’un, et que cela serait quelque chose de complètement différent, et qu’en fait les deux pays ainsi intimement unis ne le seraient pas pour autant puisque ce lien serait devenu une chose en soi, étrangère à l’un et à l’autre... Même avec les artistes américains et la France, nous ne quittons pas les voies mystérieuses, qu’il nous faut explorer, de la transcendance historique ; même avec les artistes américains semblent sourdre d’improbables songes où ces hommes-là trouveraient en France ce qui manque, malgré les antiennes folkloriques et les égouts de la décadence, pour faire de l’Amérique une nation. [...]
» Les Américains de Paris n’ont jamais eu l’impression, en s’installant à Paris ou en revenant de Paris, de passer d’un pays à l’autre. La vérité est qu’ils n’ont jamais quitté leur “immense Amérique” (Frédéric Prokosch), parce qu’en partant à Paris ils allaient y retrouver une âme qui conservait le souvenir de l’Amérique originelle et le confrontait sans barguigner à ce que ce rêve était devenu… »
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