05 novembre 2021

Le ministère peine à recruter des surveillants pénitentiaires

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Confronté à une crise de vocations, le ministère de la Justice peine à recruter des surveillants pénitentiaires. Les syndicats déplorent une situation qui dure depuis des années et soulignent : seuls 30% des inscrits au concours le passent.

La situation est déjà dénoncée par les syndicats du secteur depuis plusieurs années : le ministère de la Justice peine à trouver des candidats pour la carrière de surveillant pénitentiaire.

En avril 2019, l'AFP annonçait : «Entre les départs à la retraite et les nouvelles prisons, les besoins de recrutement sont très importants mais le métier de surveillant n’attire pas, au point qu’au dernier concours, seulement 20% des inscrits ont fait le déplacement.»

Quelques semaines plus tôt, en mars 2019, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, le secrétaire général adjoint de FO pénitentiaire Dominique Gombert avait fait savoir que seulement 25% des personnes inscrites aux concours pour recruter dans ce secteur se présentaient, obligeant l'administration à accepter des étudiants avec des notations à «2 de moyenne».

A la même époque, une source syndicale évoquait notamment auprès de l'AFP des surveillants stagiaires qui peinaient à réaliser le comptage des détenus dans les coursives parce qu'ils maîtrisaient mal les notions de calcul.

Quelques mois plus tôt, en octobre 2018, alors que la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) annonçait vouloir former 2 400 surveillants pénitentiaires par an pendant le quinquennat d'Emmanuel Macron, Ufap-Unsa Justice alertait lui aussi au sujet de la dégradation du recrutement dans cette filière.

Auprès de nos confrères de Dalloz Actualité, le syndicat avertissait :  «Il ne faudrait pas non plus se satisfaire des candidats présents et devoir, à un moment donné, descendre de plus en plus le barème de recrutement.»

Dans le même article, Christian Mouhanna, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) expliquait : «L’administration pénitentiaire trouvera toujours à recruter en abaissant les critères de qualité : c’est un concours, ce n’est pas un examen barrière. Si vous avez besoin de 500 postes, vous allez plus bas.»

En un mot comme en cent, le sujet de la désaffection pour le métier de surveillant ne date pas d'hier.

Peu d'inscrits au concours le passent et parmi ceux qui sont reçus, certains veulent partir dès la première année

Interrogé par RT France, Julien Sohier, délégué régional Champagne-Ardenne pour FO-Justice, précise : «Cela dure depuis cinq à dix ans. Dans les faits, c'est assez concret : à chaque session d'épreuves, 30% à 40% des inscrits se déplacent, au maximum. Aucune session ne remplit les places ouvertes.»

Et il ajoute, comme un couperet : «Beaucoup d'entre eux partent ensuite dès leur première année d'exercice.»

Cette situation mène parfois à des stratégies étonnantes de la part de l'administration pour empêcher les surveillants de quitter les effectifs officiels, ces derniers enchaînant parfois les arrêts-maladies afin de ne pas revenir sur un poste qu'ils ne souhaitent plus occuper.

En filigrane, on devine l'objectif poursuivi par l'administration dans certains cas : malgré l'absence de l'agent à son poste de travail, il compte toujours dans les effectifs et il n'est donc pas nécessaire de le remplacer.

Et c'est parfois l'administration qui bloque le titulaire en demande de détachement... L'exemple récent d'une surveillante contactée par RT France et qui voulait partir vers un autre métier de la sécurité de la fonction publique en détachement est justement venu illustrer ce problème : en arrêt-maladie depuis de longs mois à la suite de faits de harcèlement au travail, la surveillante était en attente d'une décision favorable du service des ressources humaines du ministère. Elle a obtenu gain de cause après presqu'une année sans mettre un pied à la maison d'arrêt où elle était affectée.

Une administration aux travers kafkaïens

Cette logique peut sembler kafkaïenne dans certains cas, mais les fonctionnaires du ministère de la Justice en ont pris l'habitude. Certaines décisions politiques antérieures sont parfois venues saper la confiance des fonctionnaires dans leur administration.

Le syndicaliste Julien Sohier, qui travaille à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne (Marne) fournit ainsi un exemple très simple à RT France : à partir de 2009, le ministère a voulu initier de nouveaux services d'escorte pénitentiaire, les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ). Mais pour créer cet échelon régional, selon l'élu de Force ouvrière, il a fallu «récupérer des agents» déjà en service ailleurs, notamment certains affectés à des miradors... ce qui a impliqué une réduction de ces équipements de surveillance pourtant cruciaux : «Dans certains centres de détention, il y avait plusieurs miradors, mais à Châlons-en-Champagne, nous étions la seule maison d'arrêt concernée en France qui n'en avait qu'un seul et il a été fermé. L'impact de cette fermeture de mirador n'est pas le même pour notre établissement que pour d'autres. Nous avons clairement constaté un avant et un après cette décision, surtout que notre prison ne se trouve pas en périphérie, mais en ville, au cœur d'un tissu urbain plus difficile à surveiller avec des caméras qu'avec un mirador.»

Entre vexations du quotidien, conditions de travail difficiles, décisions déconnectées et salaires peu élevés, la profession de surveillant peine donc à attirer.

Pour Julien Sohier, une dégradation de la situation a été constatée depuis cinq à dix ans : «Ce sont des collègues surveillants qui font les surveillances de concours d'entrée donc nous avons des remontées de présence de leur part, puisque l'administration ne communique pas du tout à ce sujet. Ce sont eux qui nous alertent sur le nombre de présents par rapport aux inscrits et ces absences constatées aux concours s'élèvent au moins à 70% depuis cinq à dix ans.»

«Au bout de trois ou six mois de travail, les agents se rendent compte qu'ils ne sont pas faits pour ce métier alors ils veulent partir, alors qu'ils auraient dû être écrémés au moment du concours. Souvent ils cherchent alors une passerelle, c'est-à-dire un détachement. Ces demandes ont augmenté de façon exponentielle depuis cinq à dix ans également. Ils sont beaucoup à vouloir passer en police municipale à ce moment-là», diagnostique encore Julien Sohier.

Le fameux budget historique de la Justice profitera-t-il aux surveillants ?

Le délégué régional FO-Justice analyse : «On nous annonce un budget en hausse pour l'année prochaine au ministère de la Justice, mais ce n'est pas forcément pour augmenter les surveillants.»

Des négociations en ce sens seraient toutefois en cours avec la place Vendôme afin d'augmenter les salaires, surtout au premier échelon de carrière : le titulaire en première année ne peut guère espérer mieux que 1 400 à 1 500 euros par mois, selon le syndicaliste.

Au-delà des conditions de travail relatives aux horaires et aux congés décalés, la question de la sécurité est également au cœur des demandes syndicales : une présence accrue de surveillants dans les coursives permettrait notamment de circonscrire le phénomène des attaques de plus en plus violentes (stylo affûté dirigé vers les yeux des surveillants, couteaux trouvés en possession de détenus, etc.).

Mais cela nécessiterait là encore d'embaucher davantage d'agents pour combler les vacances de postes, notamment dans les établissements en sous-effectif chronique.

Le système actuel repose principalement sur des rappels d'agents sur leurs jours de repos avec des heures supplémentaires, un fonctionnement qui épuise les surveillants sur le moyen terme.

Les syndicats formulent par ailleurs le souhait de voir l'expérimentation de l'utilisation du pistolet à impulsion électrique (plus connu sous l'appellation Taser) étendue à un plus grand nombre de centres de détention.

FO-Justice espère également trouver à l'avenir davantage de reconnaissance de la part de l'administration envers les agents : «Nous avons l'impression de devoir aller la chercher constamment, alors que les agents risquent leur vie», déplore-t-il.

Et de rappeler les mouvements de très forte protestation des organisations syndicales en 2018 et 2019 qui s'étaient brutalement achevées lorsqu'un des syndicats avait accepté de négocier avec l'administration : «Certains ont signé l'armistice, mais ceux qui ont voulu continuer ont très vite été sanctionnés.» Comme dans l'armée et les forces de sécurité intérieure, les surveillants pénitentiaires sont tenus par un statut spécial qui leur interdit le droit de grève et leur impose un strict devoir de réserve.

Comme la police nationale, qui traverse elle-même une longue crise existentielle cristallisée par l'attaque très grave contre des fonctionnaires à Viry-Châtillon (Essonne) fin 2016, les surveillants pénitentiaire attendent dorénavant des actes plutôt que des mots, mais verraient tout de même d'un bon œil une réelle manifestation de considération de la part d'une administration parfois jugée lointaine, verticale et déconnectée.

Mais de la place Vendôme, voisine des enseignes de luxe parisiennes, à la maison d'arrêt de province où les agents peinent souvent à être auscultés une fois par an par la médecine statutaire, le chemin paraît encore bien long. Alors qu'il vient de clore une très tardive concertation sur la sécurité intérieure avec le Beauvau de la sécurité, Emmanuel Macron lance à présent (le 18 octobre) des états généraux de la Justice qui doivent durer cinq mois et mener à l'orée de la prochaine élection présidentielle... Les surveillants pénitentiaires et leurs représentants du personnel seront sans nul doute très attentifs aux promesses qui en découleront.

Antoine Boitel

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