Il n’est plus l’heure de tirer la sonnette d’alarme, la situation est déjà critique : les services d’urgences des hôpitaux publics ferment en cascade dans toute la France. Que ce soit pour quelques heures chaque jour ou pendant plusieurs semaines, ces services doivent fermer leurs portes faute de personnels soignants.
Depuis plusieurs semaines, la presse régionale ne cesse de relayer des annonces de fermetures de services d’urgences dans toute la France :
- “Le service des urgences de l’hôpital de Givors ferme temporairement la nuit jusqu’au 30 novembre prochain”
- “Les urgences de l’hôpital de Laval ferment quatre nuits cette première semaine de novembre”
- “Le service de soins non programmés de la polyclinique Maymard de Bastia sera fermé du lundi 1er au mardi 9 novembre 2021”
- “Jusqu’au 31 décembre, les urgences de l’Hôpital du Gier seront ouvertes uniquement de 9h à 19h”
- ou encore: “Le Pôle Santé Sarthe et Loir (PSSL) ferme ses urgences le 8 novembre, de 20h30 à 8h30”.
À ce jour, 20% des lits sont fermés dans le public et la situation est tout aussi préoccupante pour les urgences pédiatriques. Une situation qui oblige certains patients à être transférés vers d’autres hôpitaux, quitte à mettre leur vie en danger.
“La situation est au-delà de catastrophique”, déplore auprès du HuffPost Fabien Paris, infirmier et membre du Collectif Inter Urgences - qui se décrit comme “la première association professionnelle d’ampleur pour l’exercice paramédical aux urgences”.
“Et ça ne va pas aller en s’arrangeant, ce phénomène de fermeture des urgences va continuer et s’amplifier”, prévient-il. L’inquiétude règne, pour aujourd’hui et surtout pour demain, quand accueillir des patients en urgence ne sera plus possible.
Fermetures en cascades et “services dégradés”
Car cette épidémie de fermetures est un symptôme carabiné de la crise que subit l’hôpital public “depuis bien avant le Covid”, souligne Fabien Paris. Il dénonce une “situation extrêmement dégradée”, conséquence directe de “trente ans de politique et réformes destructrices de l’hôpital public”. “Il y a 15 ans, la France était le pays avec le meilleur système de santé. Aujourd’hui nous ne sommes même pas dans les dix premières places de ce classement”, annonce-t-il.
«Olivier Véran n'arrête pas de nous dire 'tenez bon', mais pourquoi on tiendrait bon?»
- Fabien Paris, infirmier membre du Collectif Inter Urgences
L’infirmier évoque plusieurs raisons à cet effondrement: l’épuisement des soignants et les économies que doit faire l’hôpital public qui “vit à crédit”. Sur ce dernier point, Fabien Paris dénonce une tarification inadaptée des soins. “Les actes et les soins ont un coût, mais plus on fait d’actes, plus le prix baisse. Ça ne valorise pas le coût de certaines techniques. Il faudrait un réel financement pour aider l’hôpital public à éponger ses dettes”, appelle-t-il. Ce qui permettrait de mettre plus de moyens dans le recrutement de personnels soignants.
Mais ce membre du Collectif Inter Urgences ne se fait plus d’illusion, il semble même avoir perdu espoir. “Olivier Véran n’arrête pas de nous dire ‘tenez bon’, mais pourquoi on tiendrait bon? À quoi ça sert puisque rien ne va s’arranger?”, s’interroge-t-il, de guerre lasse. Même s’il assure croire profondément en sa mission, l’infirmier n’arrive plus à voir le bout du tunnel face à cette “situation inextricable”, soulignant que même si un effort a été fait sur le revenu de certaines professions, “un salaire ne fait pas les conditions de travail”.
Un “retour brutal à ‘l’anormal’”
Et cet état d’esprit est assez largement partagé semble-t-il, en témoignent les départs de soignants par vagues, notamment depuis la pandémie de Covid. Dans la quasi-totalité des annonces de fermetures des urgences, la raison invoquée est le manque de personnel pour faire tourner les services.
“Les soignants sont épuisés, physiquement, psychologiquement. Quand on voit que rien est fait pour améliorer nos conditions de travail, c’est désespérant”, dénonce Fred, infirmier aux urgences du CHU de Rennes et membre du Collectif Inter Urgences, interrogé par Le HuffPost.
Selon nos deux interlocuteurs, la seconde vague de Covid est la goutte qui a fait déborder le vase. Certes, les tensions dans les services face à l’afflux de patients ont joué sur la fatigue des soignants, mais ce sont leurs conditions de travail, aujourd’hui dégradées par rapport à la première vague de mars 2020, qui ont fini de les dégoûter.
“Lors de la première vague de Covid, paradoxalement, les soignants ont pu voir leurs conditions de travail s’améliorer. La situation sanitaire était telle, inédite, que lorsque le personnel disait avoir besoin de tel matériel ou de tel effectif, généralement il l’avait. C’était le soin qui dictait le terrain. Mais lors de la deuxième vague, on est revenu au fonctionnement d’avant Covid. Après une telle période, ce retour brutal à ‘l’anormal’ a été très violent pour les soignants et cela a poussé au départ nombre d’entre eux”, nous explique Fabien Paris.
Fred confie pour sa part venir angoissé au travail, de peur de voir “la tête” de ses équipiers, “fatigués”, ”à bout”, et de comprendre “qu’ils ne tiennent pas le coup”. “Avant je pouvais dire que je voulais finir ma carrière à l’hôpital public, aujourd’hui ce n’est plus pensable”, regrette-t-il.
“Les patients sont en danger”
Et pour la suite, comment le Collectif Inter Urgence voit la situation évoluer? Pas de façon très optimiste. “Aujourd’hui on se rend compte qu’on est dans le mur, même un an après le Ségur rien n’est en passe de s’arranger. Alors pour l’avenir, on s’inquiète beaucoup, confie Fabien Paris. Il prédit ainsi une “désertion de l’hôpital”, puis un “maillage national insuffisant”, la fermeture des urgences et des Smur, pour arriver à une inévitable perte de chance de l’accès au soin de la population. “D’ici cinq ou dix ans, l’espérance de vie en France va baisser. Et bientôt, lorsqu’on prendra un logement, l’un des critères principaux sera la présence d’un hôpital à proximité”, dit-il.
Pour Fred, “la baisse de l’espérance de vie on l’a déjà! On a une mauvaise prise en charge dans les hôpitaux car ce n’est pas possible de gérer tous les patients avec les moyens qu’on a”, dénonce-t-il.
Alors certes, les hôpitaux de périphérie sont les plus touchés, “mais le fait de fermer ces services ne va faire qu’engorger les hôpitaux des grandes villes, avec les dangers que comportent les transferts de patients. Attendre 30 minutes de plus pour prendre en charge quelqu’un, c’est prendre le risque de voir son état se dégrader rapidement et d’arriver trop tard”, alerte Fred qui martèle: “les patients sont en danger”.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.