Pour comprendre comment ces citadines se sont retrouvées à
Romorantin, il faut remonter au mois de juin 2018, lorsque le contrat
liant le groupe Bolloré (le constructeur des Autolib') au syndicat Autolib' Vélib' métropole (SAVM, l'exploitant des Autolib') a brutalement pris fin. En cause : un déficit annuel estimé à 50 millions d'euros pour ce service de voitures électriques partagées.
Malgré les protestations du groupe Bolloré, la multinationale a
dû évacuer les 4.000 Autolib' indésirables de la région parisienne
et les stocker en urgence. Elles ont ensuite été revendues
en plusieurs lots et deux entreprises détiennent aujourd'hui la majeure
partie de la flotte restante : la société bretonne Autopuzz, ancien sous-traitant de Bolloré, qui
revend ces véhicules à travers la France, et la société Atis
Production, dont le gérant, Paul Aouizerate, ne souhaite pas dévoiler
ses projets pour les Autolib' parquées dans le Loir-et-Cher.
L'homme d'affaires déplore d'ailleurs la publication de photos
de ses véhicules début mars, partagées par un blogueur passionné
de voitures électriques qui s'étonnait devant un tel paysage. Sur
Facebook et Twitter, les clichés ont été massivement relayés, les
internautes posant la question du ré-emploi de ces voitures et
s'interrogeant sur le risque potentiel de pollution des sols qu'elles
représentent.
"Nos véhicules sont stockés dans les
règles. Les pompiers sont au courant, le site est bien organisé. Toutes
les batteries ont été retirées, les connecteurs sont isolés."
Paul Aouizerate, gérant d'Atis Production
à franceinfo
La carrosserie en aluminium des Autolib' limite par ailleurs
le risque de voir de la rouille polluer le terrain. Restent les fluides
présents dans ces voitures, dont certaines, qui n'ont plus de capot,
laissent entrevoir un réservoir rempli de liquide de frein ou de
transmission. "Ce n'est pas une obligation [de vidanger ces fluides], explique Paul Aouizerate, car ces véhicules ne sont pas destinés à la casse ."
Une bâche recouvre une Autolib' sans porte, sur un parking de Romorantin-Lanthenay, le 10 mars 2021. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)
Pourtant, les activités d'Atis Production à Romorantin ont attiré à plusieurs reprises l'attention de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) du Loir-et-Cher. Deux arrêtés préfectoraux de mise en conformité ont été pris à l'encontre de l'entreprise en juillet dernier.
"Début 2020, on s'est rendu compte qu'il y avait un bâtiment sur
l'ancien site Matra, dans lequel des véhicules étaient démontés puis
destinés à la casse" , détaille Fabien Martin, adjoint au chef d'unité de la Dreal. "C'est une activité particulière qui nécessite d'être enregistrée." Sommée
de régulariser sa situation ou d'arrêter ce démantèlement dans un délai
de six mois, la société Atis Production ne s'est pas soumise à cette
requête et se trouve actuellement "dans une procédure contradictoire avec la préfecture" , explique Fabien Martin. Quant aux voitures du terrain vague, celles qui "ne peuvent plus être considérées comme des véhicules d'occasion" pourraient être "sorties de ce site", assure-t-il.
Interrogée sur le stockage de véhicules et le défrichage du terrain,
la communauté de communes du Romorantinais (CCRM), propriétaire de la
parcelle, estime qu'il n'y a "rien eu de choquant . C'était une friche dans une zone industrielle, que nous louons à la société de monsieur Aouizerate" , martèle Jeanny Lorgeoux, président de la CCRM et maire de Romorantin-Lanthenay depuis 35 ans. "Il fait ce qu'il veut sur son terrain, à condition de respecter les règles de sécurité."
Les Autolib' qui roulaient à Paris étaient toutes immatriculées en Bretagne, région d'origine de la famille Bolloré. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)
Accessible par la route, la zone qui accueille ces Autolib' cabossées
n'est pas clôturée et semble avoir reçu des visiteurs nocturnes, comme
en témoignent les graffitis peints sur certaines voitures (des panneaux
indiquant une propriété privée et mentionnant l'absence de batteries sur
le site ont été installés quelques heures après notre reportage). Mais
si ces véhicules sont en mauvais état, c'est surtout "leur utilisation en région parisienne qui est à l'origine des dégradations" , assurent les propriétaires.
Pour les véhicules de la société Autopuzz, qui dit avoir
progressivement racheté environ 2.800 unités, quelques transformations
sont nécessaires afin de leur offrir une seconde vie : "Une petite manipulation doit permettre aux particuliers de brancher leur véhicule sur une prise standard" , explique Pierrick Hamon, responsable de projet chez Autopuzz. "Les véhicules sont aussi nettoyés avec des moyens industriels. Il faut voir dans quel état on en a récupéré certains", souffle-t-il.
Reconditionnées, les voitures sont vendues 4 990 euros pièce. Un
tarif abordable qui peut encore descendre grâce aux aides de l'Etat en
matière de prime à la conversion écologique. "Si vous apportez un véhicule thermique pour reprise [au garage], la Bluecar [nom d'origine des Autolib'] peut vous revenir à moins de 2.500 euros , détaille Pierrick Hamon, voire moins de 900 euros selon votre situation fiscale." A ce prix, de nombreux particuliers de la région auraient déjà été séduits, comme le rapporte La Nouvelle République . Même si, avec la crise sanitaire, le rythme des ventes a considérablement ralenti et plafonne à "cinquante véhicules par mois en moyenne" , confie Guillaume Ramirez, directeur d'Autopuzz. Dans les rues de Romorantin, "on voit très très peu" d'Autolib' en circulation s'accordent à dire les habitants, "à part celles prêtées aux agents qui surveillent le terrain vague" .
"Nous vendons surtout ces voitures dans
les grandes villes, à des clients curieux, des nostalgiques de
l'autopartage mais aussi à des collectivités locales."
- Guillaume Ramirez - directeur de la société Autopuzz
Reste une interrogation. Quand elles sont mises en pièces ou
accidentées, ces voitures électriques peuvent-elles encore être
valorisées ? "La réponse est oui, mais il y a certains risques propres à cette énergie" , alerte
Olivier Gaudeau, directeur ingénierie chez Indra, un spécialiste de la
destruction de véhicules, implanté en périphérie de Romorantin. "Il
faut d'abord extraire la batterie, que le groupe Bolloré propose de
rapatrier gratuitement pour traitement. Ensuite, tout l'enjeu est de
valoriser la matière [qui compose les éléments], car il y a très peu de pièces que l'on va pouvoir revendre, du fait d'un marché très étroit."
Des débris de plastique, de pneus et de plaques minéralogiques parsèment le terrain vague où sont stationnées les Autolib'. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)
En fin de vie, une Autolib' peut donc être disséquée pour fournir des
matières premières. La carrosserie en alliage d'aluminium finira fondue
en lingots, les câbles et autres éléments du moteur seront triés et
broyés pour récolter le cuivre qu'ils contiennent. Les moteurs de
véhicule électrique peuvent également contenir des métaux issus de
terres rares et des aimants, qui sont récupérables. "De nombreuses solutions existent, il faut simplement développer les bonnes filières" , préconise l'ingénieur.
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