27 août 2021

L’analogie de Dien Bien-phu

Depuis hier, les événements se sont accélérés en Afghanistan, autour de l’aéroport de Kaboul. Désormais et il était temps, tout le monde en parle en tentant de se dégager des préoccupations immédiates et étroites ; et même si c’est pour souvent dire des sornettes, les choses au moins entrent dans les esprits pour les avertir qu’il s’agit d’un point de bascule, un point de rupture important. Plutôt dans un ordre contraire d’ailleurs :un point de rupture qui est aussi point de bascule, et point essentiel, fondamental, je dirais “civilisationnel” dans ses effets en cascade à attendre, mais très vite, dans le sens de l’effondrement d’une civilisation, – eh, la nôtre, certes !

Sur cette perspective, on verra par ailleurs et très vite, pour en dire ce qu’on en peut tenter de penser, et donc d’en dire avec précaution mais sur un bien plus vaste champ que celui de l’aéroport de Kaboul tout de même. Pour l’immédiat, hors de cette sorte de commentaires plus ambitieux, je m’attacherais à donner quelques indications impliquant des actes immédiats et surtout le climat où les choses évoluent à une rapidité confondante. Le système de la communication est là, dans toute sa puissance, pour nous presser comme jamais.

Je m’appuie sur un texte très factuel, qui me paraît significatif de l’état de l’esprit et dont la provenance, à la lumière de l’expérience, offre de bonnes garanties. Il s’agit d’un texte du 26 août 2021 que publie l’ancien officier de la CIA Larry Johnson, sur le site ‘Turcopolier.com’ du colonel Lang, sous le titre significatif de « Kaboul, America’s Dien Bien-phu ? » (Cette référence à Dien Bien-phu a déjà été faite par Scott Ritter.)

Johnson cite donc cette analogie, essentiellement pour sa signification symbolique et géopolitique et bien sûr sans nécessairement en faire une hypothèse opérationnelle ; si l’on veut, il s’agirait de dire que le revers catastrophique subi par les USA à Kaboul pèserait d’un poids symbolique et politique aussi fort que Dien Bien-phu pour les Français. L’analogie s’arrête là, bien entendu, le sort des USA aujourd’hui était d’une importance sans commune mesure avec celui de la France en 1954.

Mais l’important n’est pas là, pour mon compte, dans le texte de Johnson. Il s’agit également pour lui, et c’est ce qui m’intéresse, d’introduire un document qui doit avoir tout notre intérêt, un courriel d’un officier de la CIA qui a récemment quitté l’Agence, qui est « toujours en rapport étroit avec les événements sur le terrain » ; et ce témoignage, selon Johnson, confirmé par des sources militaires. Le courriel a manifestement été envoyé à un certain nombre de correspondants des mêmes milieux et entend fixer la situation selon le point de vue de la CIA, ce qui nous fait admettre qu’il vient en fait, par des voies détournées, de l’Agence elle-même :

« A vous tous les gars, ceci pour ceux qui essaient d’aider à faire sortir des gens d’Afghanistan. Cette évaluation est basée sur des informations provenant des cercles politiques et de sources sur le terrain. Biden tient absolument à ce que les derniers militaires quittent l’aéroport de Kaboul le 31 août au plus tard. Nous serons peut-être partis avant. Le retrait pourrait commencer dans les prochaines 72 heures.

» C’est une question réglée [celle du départ]. Biden a déjà fait fi de tous les conseils raisonnables des militaires. Nous pouvons nous attendre à ce qu’il continue à le faire. Tous ceux qui ne seront pas partis au moment du départ du dernier avion seront abandonnés à leur sort.

» Sur le terrain à Kaboul, tout traitement des Afghans a effectivement cessé. Seuls les citoyens américains sont pris en charge. Les gens sur le terrain réalisent enfin que cette administration va vraiment faire des choses impensables.

» Donc, pour traduire cela en termes que nous utilisons pour enseigner comment répondre à une attaque terroriste : Tirez-vous (“Get Off the X”).

» On estime également que la vallée du Panchir sera probablement envahie. Ça peut tenir un moment mais pas indéfiniment. Tout Afghan qui veut quitter le pays doit se débrouiller seul en passant une des frontières du pays.

» Après notre départ, le plan des talibans est apparemment de supprimer internet, d’expulser les journalistes étrangers et de commencer la version afghane des champs de la mort (‘Killing Fields’). »

Ce courriel a été envoyé avant les attentats d’hier soir. Il donne un bon résumé, froid et réaliste, de la situation. Les deux derniers paragraphes, surtout le dernier sur “le plan” (des talibans) sera soigneusement tenu à l’écart pour notre propos. C’est de la prévision hors de l’opérationnel contrôlé par les USA et la CIA n’a jamais été brillantissime à cet égard ; il n’y a aucune raison pour que cela soit différent cette fois.

L’intérêt est essentiellement de montrer la perception qu’ont les gens de la sécurité nationale de la résolution de Biden, par ailleurs confirmée par toutes ses déclarations confirmant l’intangibilité de l’opération du retrait qui doit être achevé le 31 août, quoiqu’il en soit des gens laissés sur le carreau. Cela confirmerait son attitude extrêmement ferme sinon verrouillée selon une psychologie très spécifique, comme on en a déjà fait l’hypothèse (et moi-même par conséquent dans une récente page de ce Journal-dde.crisis) :

« Dans ce cadre, on comprend aussitôt que l’aspect sur lequel je veux revenir est effectivement la psychologie de Biden, concernant ce qui est une attitude de longue date, et qu’il est logique de voir renforcée par l’état de sénilité du président, impliquant le renforcement des obsessions, la perte de vision des conséquences, l’entêtement irréfragable. Il est bien précisé que, grâce à leurs manœuvres bureaucratiques, les généraux bloquèrent les décisions de retrait d’Afghanistan, plus ou moins prises, d’Obama et de Trump, chez lesquels ils trouvèrent une part de mesure, de prudence, les conduisant à ne pas trop insister. Poursuivant cette hypothèse, mon avis serait bien que c’est effectivement l’état psychologique de Biden, sa sénilité, ses problèmes cognitifs, etc., bref ses faiblesses qui auraient fait paradoxalement sa force par inconscience face aux généraux – le renforcement de ses obsessions, l’entêtement irréfragable, son refus du moindre compromis, sa perception réduite à l’angle très réduit de la satisfaction de son obsession mais très puissante dans ce cadre réduit. »

Le document nous montre également le sentiment où se trouvent certains milieux de sécurité nationale, dont la CIA ou certains à la CIA, vis-à-vis d’un homme qu’ils ont très fortement soutenu contre Trump, et qu’ils ont soutenu ainsi que son parti du fait de leur opposition constante contre le même Trump. Préciser que Biden et son administration vont « vraiment faire des choses impensables », c’est dire implicitement qu’il faut songer à s’opposer d’une façon très concrète à la politique “impensable” qu’impose Biden. Dans le climat de désordre que connaissent les USA et le pouvoir américaniste, cela laisse à penser.

Hier, lors de la conférence de presse quotidienne du Pentagone, les journalistes accrédités ont été mis en télé-contact avec le chef de  Central Command, le général McKenzie. Il leur a été confirmé par cette autorité militaire que la mission prévue serait conduite à son terme comme prévu (donc limite du 31 août respectée ?). Il n’est donc pas question de mouvements d’humeur trop voyants de la part des militaires et l’on peut penser que le désastre afghan, désormais équivalent à une fuite honteuse et humiliante après les attentats d’ISIS-K/Daesh-K (selon version officielle USA-talibans), sera acté comme tel, – une défaite absolument catastrophique pour la puissance militaire US.

La bataille se déplace donc, ou retrouve plutôt, le terrain de Washington D.C., avec l’élément-Afghanistan en plus, pour encore plus brouiller les positions, les alliances et les connivences. Désormais, les républicains ne se cachent plus pour réclamer la démission ou la destitution de Biden, sans être accusés par les démocrates de tenter un coup d’État ; et cela, alors que la conséquence d’un tel événement potentiel serait au moins aussi catastrophique, – c’est-à-dire Kamala Harris présidente...

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