Incontestablement, c'est une mauvaise nouvelle. L'équipe des professeurs Marina Cavazzana-Calvo et Alain Fischer (Inserm U 429, hôpital Necker-Enfants-Malades, Paris) a annoncé, jeudi 3 octobre, qu'elle suspendait l'essai clinique de thérapie génique qu'elle menait avec succès depuis plus de trois ans pour guérir des "enfants bulles". Prise en accord avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Afssaps, cette décision est motivée par la survenue d'une complication chez l'un des huit enfants traités : "une prolifération non contrôlée de lymphocytes". Une situation qui présente des analogies, mais aussi des différences, avec une leucémie.
Comprendre les mécanismes
Agé de 3 ans et traité par thérapie génique à l'automne 1999, l'enfant a dû recevoir une chimiothérapie. Il est actuellement à son domicile. De la compréhension des mécanismes à l'origine de cette complication dépendra la reprise de cet essai ou, au contraire, sa fin, ce qui constituerait un grave revers pour la thérapie génique.
A la fin du printemps dernier, l'équipe de l'hôpital Necker-Enfants malades a constaté chez le quatrième enfant inclus dans l'essai une augmentation de certaines cellules sanguines participant aux défenses immunitaires, les lymphocytes T. L'augmentation touchait en l'occurrence une sous-population particulière appelée lymphocytes T gamma-delta. Il se trouve que, peu de temps auparavant, l'enfant avait eu une varicelle, dont il a guéri, ce qui témoigne d'un bon fonctionnement de son système immunitaire, totalement déficient avant la thérapie génique. Cet épisode pouvait peut-être expliquer le taux élevé de lymphocytes.
Mais cette hypothèse s'est effondrée à la fin du mois d'août, lorsqu'une élévation très importante de la même sous-population lymphocytaire a été constatée par l'équipe médicale. Elle était accompagnée de signes cliniques : augmentation de la taille du foie, anémie, diminution des plaquettes sanguines... Les investigations pratiquées ont montré qu'il s'agissait bien d'une prolifération monoclonale, n'intéressant qu'une lignée cellulaire. En quelque sorte, dans le cas de cet enfant initialement privé de cellules immunitaires, l'effet de la thérapie génique serait allé bien au-delà de ce qui était désiré.
"Nous avons, bien sûr, immédiatement prévenu les parents de l'enfant, raconte Alain Fischer. Ils ont réagi avec courage, combativité et une gentillesse qui force l'admiration. Nous avons également averti les parents des autres enfants, qui, eux, se portent parfaitement bien. Tous sont des gens qui ont parfaitement compris le caractère encore expérimental de notre essai et ont fait le choix de s'engager compte tenu de l'alternative qui leur était proposée." Quelques semaines avant que ne survienne la complication, Alain Fischer indiquait d'ailleurs : "Nous sommes toujours dans une phase expérimentale. Il s'agit de vérifier la sécurité et la pertinence de la technique en analysant le rapport bénéfice-risque." (Le Monde du 10 avril 2002).
L'information a été transmise à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, dont dépend l'hôpital Necker, à l'Afssaps, ainsi qu'aux équipes travaillant à l'étranger dans le domaine de la thérapie génique et à leurs autorités réglementaires. Les Etats-Unis seraient d'ailleurs sur le point, selon le Washington Post, d'interrompre par précaution les recherches en cours sur ces thérapies.
Outre les soins au garçon victime de la complication, la tâche essentielle pour les chercheurs est maintenant d'en comprendre les mécanismes. "Dans les discussions préalables avec les familles, nous leur avons indiqué que le risque de provoquer une prolifération cellulaire existait, mais qu'il était presque théorique, indique Alain Fischer. Nous avions procédé auparavant à quatre essais chez l'animal, et aux Etats-Unis 29 essais de thérapie génique utilisent le même type de virus que celui dont nous nous sommes servi." Est-on en présence du "cas rarissime", ou bien les scientifiques ont-ils sous-estimé le risque de tels accidents ?
Le plus probable, selon Alain Fischer, est que l'événement qui s'est produit soit ce que l'on appelle la mutagenèse insertionnelle. Le principe de cette thérapie génique consiste à infecter les cellules possédant une version anormale du gène au moyen d'un rétrovirus porteur de la bonne version du gène. Le gène de remplacement va s'insérer au hasard dans le génome. S'il le fait à proximité d'un oncogène, il peut entraîner une mutation de l'oncogène et le développement d'une prolifération maligne. Dans le cas précis de l'enfant participant à l'essai de l'équipe de l'hôpital Necker, le gène de remplacement s'est placé au sein du gène LMO2, impliqué dans des formes de leucémie de l'enfant. Or les lymphocytes T gamma-delta qui ont proliféré expriment la protéine codée par le gène LMO2.
La mutagenèse insertionnelle n'est cependant pas forcément le seul facteur en cause, estime Alain Fischer. "La varicelle peut avoir joué un rôle concomitant, de même qu'il n'est pas exclu qu'existent des facteurs génétiques particuliers dans la famille", avance-t-il.
Évaluer les risques
En tout cas, un énorme travail attend les chercheurs. "Nous avons d'ores et déjà mis en chantier, avec des collègues américains et allemands, un programme pour évaluer le risque de tels accidents", précise Alain Fischer. Les équipes vont étudier les caractéristiques des sites d'intégration des gènes de remplacement. Chaque cellule en possède un, mais il y en a en tout une cinquantaine possible. La durée de ce travail devrait se chiffrer en mois, estime le professeur Fischer. "Si le risque apparaît d'un accident sur mille thérapies, cela pourrait être acceptable compte tenu de l'extrême gravité de la maladie, mais ce ne serait plus le cas s'il y avait 10 % de complications majeures."
C'est pour cela qu'Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo insistent sur le fait que l'essai n'est que suspendu pour l'instant. Ils n'entendent pas céder au découragement. D'autant que, tout en mesurant le coup dur que cela représente pour la thérapie génique, leurs pairs leur rendent hommage : "A tous points de vue, c'est une équipe qui a travaillé aussi bien que l'on puisse travailler", confie Axel Kahn.
Paul Benkimoun
Des essais encadrés par la loi Huriet
La loi Huriet du 20 décembre 1988 relative à la "protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales" encadre les conditions de participation à des essais cliniques. La loi dispose qu'avant de mettre en œuvre une recherche biomédicale sur une personne humaine son promoteur doit transmettre à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, qui a succédé à l'Agence du médicament) une "lettre d'intention décrivant les données essentielles de la recherche, accompagnée de l'avis du comité [consultatif de protection des personnes] consulté." L'Afssaps évalue le rapport bénéfice-risque de l'essai, décide de son autorisation et suit son évolution sur le plan de la pharmacovigilance, sur la base des notifications des promoteurs de l'essai. Au total, l'Afssaps a autorisé 47 essais cliniques de thérapies géniques et cellulaires, mais l'essai des professeurs Fischer et Cavazzana-Calvo portant sur une lignée cellulaire est le seul de son type autorisé.
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