Face aux nombreuses pénuries qui l’accablent, le Liban a signé un accord pétrolier avec l’Irak. Ce partenariat serait symptomatique d’une nouvelle époque, estime Richard Labévière, géopolitologue. En froid avec la France et les États-Unis, Beyrouth se rapprocherait ainsi un peu plus du giron oriental, notamment de la Russie et de l’Iran.
Et si l’espoir du Liban venait de l’Est ?
Beyrouth et Bagdad ont signé le 24 juillet un accord stipulant que l’Irak s’engageait à fournir un million de tonnes de fuel. Un partenariat qui permettra aux Libanais de s’alimenter en électricité de quatre à douze heures par jour pendant quatre mois, estime le ministre de l’Énergie, Raymond Ghaja. Un contrat qui avoisine les 300 millions de dollars, que Beyrouth paiera en livres libanaises, en services médicaux, hospitaliers et en produits agricoles. Les premières livraisons devront débuter la semaine prochaine.
«Plusieurs pays se positionnent davantage sur le dossier libanais»
En somme, une bouffée d’oxygène pour le Liban. Le pays du Cèdre traverse en effet l’une des pires crises économiques de son histoire: la livre libanaise a dégringolé à 20.000 pour un dollar au marché noir, le salaire minimum a perdu environ 90% de sa valeur, le pays est sans gouvernement depuis plus de 10 mois, les prix du pain, de l’essence et de l’électricité ne cessent d’augmenter et le pays commence à manquer de médicaments.
Une coopération qui arriverait donc à temps. «Mais le Liban n’est pas en mesure de négocier aujourd’hui, il prend ce qu’il peut prendre» affirme Richard Labévière, ancien rédacteur en chef du service étranger de RFI et directeur du site d’information Proche&Moyen-Orient.ch.
«Compte tenu de la situation catastrophique au pays du Cèdre, il n’a pas le choix, il se doit de créer de nouveaux partenariats. Cet accord avec l’Irak est purement conjoncturel, il répond à un impératif d’ordre humanitaire et économique. Plusieurs pays se positionnent davantage sur le dossier libanais pour déplacer leurs pions», souligne-t-il au micro de Sputnik.
A cet égard, le spécialiste du Moyen-Orient évoque le rôle croissant de Pékin dans la région. Pas moins de 40% des importations libanaises proviennent de Chine. Elle est le deuxième partenaire commercial du Liban et a fourni un volume de 1,6 milliard dollars d’exportations en 2019. L’Empire du Milieu s’intéresserait également à la reconstruction du port de Beyrouth et serait en concurrence avec des sociétés françaises, allemandes, turques et russes.
De surcroît, en pleine crise, l’armée libanaise peut compter sur l’aide militaire chinoise. Le Liban a reçu le 11 juin dernier 60 véhicules tout-terrains B80VJ et 40 camions à six roues motrices Sinotruk Howo, dans le cadre de l’assistance militaire de Pékin.
Ce dernier est pourtant loin d’être le seul à se pencher sur le pays du Cèdre. Tout comme Pékin, Moscou ne cache pas son attrait pour les activités portuaires libanaises. L’entreprise russe Rosneft avait déjà remporté un appel d’offres pour la restauration et l’élargissement des capacités de stockage en hydrocarbures du port de Tripoli en 2019, pour une durée de 20 ans. Par ailleurs, la compagnie Novatek participe au consortium pétrolier dans le sud du pays avec le Français Total et l’Italien Eni.Pour ses projets au Liban, la Russie peut compter sur sa diplomatie pragmatique: «elle parle avec tout le monde», résume Richard Labévière. En effet, Moscou entretient de bons rapports avec toute la classe politique libanaise, de Hariri au Hezbollah en passant par le Président Aoun et les leaders druzes Walid Joumblatt et Talal Arslane. Mais pour les autorités russes, le Liban serait englobé dans un ensemble régional.
«Ce qui intéresse avant tout la Russie, c’est la stabilité politique et économique de la Syrie. Et Moscou sait pertinemment qu’un Liban instable aura des conséquences dramatiques sur le voisin syrien. Mais ce qui est intéressant également dans cette crise libanaise, c’est le poids grandissant du Hezbollah, qui amène petit à petit le Liban dans l’orbite de Téhéran», analyse le géopolitologue.
Lors d’une allocution télévisée le 8 juin dernier, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a évoqué la possibilité de se rendre en Iran afin de «négocier» l’importation à Beyrouth de mazout et d’essence «si l’État libanais n’a pas le courage de le faire lui-même», pour résoudre les pénuries. En raison de la crise économique, le puissant parti chiite libanais entendrait donc rapprocher le Liban de l’Iran. Un scénario qui ne ferait pas que des heureux. Israël, principal ennemi des Mollahs, craint en effet de voir passer le pays du Cèdre sous domination iranienne.
Vers de nouvelles sanctions européennes contre le Liban?
Mais si le Liban rejoint un peu plus le giron oriental, la faute en reviendrait en partie aux politiques occidentales.
«Historiquement, le Liban a toujours été attiré par l’Occident et notamment la France et les États-Unis», rappelle Richard Labévière. Mais depuis la crise économique et politique qui frappe le pays du Cèdre, Paris et Washington peinent à imposer des mesures aux autorités libanaises. Pourtant, les deux pays ont déjà tout tenté, ou presque. Dès le lendemain de l’explosion du port du Beyrouth le 4 août dernier, les autorités françaises s’étaient précipitées au chevet du peuple libanais. Avec deux déplacements en moins d’un mois, Emmanuel Macron avait pris le dossier libanais très à cœur. Après la bienveillance initiale, il avait tenté d’imposer une initiative française, une sorte de feuille de route politique pour résoudre la crise libanaise. Mais rien n’y a fait: l’immobilisme de la classe politique locale et les blocages ministériels réguliers ont rapidement entravé la proposition de l’Élysée.
Paris a donc changé de ton, faisant ainsi planer la possibilité de sanctionner les dirigeants libanais. Jean Yves Le Drian avait évoqué en mars dernier l’idée de «renforcer les pressions» sur les élites libanaises. Peu de temps après, la France a mis ses menaces à exécution, sanctionnant plusieurs dirigeants libanais, leur interdisant l’entrée sur son territoire. Une politique calquée sur celle de Washington qui, lui, n’hésite pas à sanctionner le Hezbollah et ses sympathisants. Mais Paris et Washington ne sont pas les seuls à user du bâton plutôt que de la carotte: en cas de non-formation d’un gouvernement avant le 4 août prochain, Bruxelles compte étendre et renforcer ses sanctions contre le Liban. Une politique qui s’avérerait contre-productive:«Le Liban cherche à ne plus être dépendant de la France et des États-Unis. Avec l’Occident, l’aide est conditionnée à du politique. Depuis la fin de la guerre civile, l’élite libanaise faisait le choix d’un alignement sur Washington, Paris et Riyad. Aujourd’hui, les choses sont en train de bouger. Est-ce uniquement conjoncturel? Le temps nous le dira», s’interroge le spécialiste du Moyen-Orient.
Obsédés par le Hezbollah et son influence dans le pays, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis boudent également le Liban et refusent de lui venir en aide. À en croire Richard Labévière, le dossier libanais mettrait en exergue la logique de deux axes opposés:
«De par son histoire, le Liban a toujours été ballotté, un temps à l’Ouest, maintenant vers l’Est. On voit de plus en plus se dessiner un axe regroupant l’Iran, la Syrie, la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine. Nous sommes certainement à l’aube d’une nouvelle ère pour le Liban», conclut-il.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.