Gentiment, sûrement, avec bienveillance mais insistance, le passeport prouvant qu’on n’est pas pestiféré se met en place : comme le monde d’après se met en place petit-à-petit, comme les activités vont bientôt reprendre leur cours quasi-normal, comme tous les commerces vont rouvrir dans la bonne humeur et le gel hydroalcoolique, il va être nécessaire de faire le tri entre les potentiels scrofuleux des citoyens sains et productifs de la société.
Eh oui : le monde d’après, c’est cette société joyeuse où l’innocence (sanitaire d’abord, citoyenne ensuite) doit bien évidemment être prouvée a priori ce qui suppose, on en conviendra aisément, quelques petits aménagements à base d’essence subtile de cerfas et d’électronique bureaucratique fine.
À partir de maintenant, le pays d’Ubu étant devenu celui de Knock où le bien-portant n’est qu’un souffreteux en phase terminale qui s’ignore niaisement, « vivre et laisser vivre » est remplacé par « vivre et soupçonner » dans la bonne humeur sociale et chaque administration française y va donc de son petit couplet afin de bien rappeler à tous l’importance de prouver qu’on est en bonne santé, et ce même s’il est maintenant amplement prouvé que les asymptomatiques ne transmettent pas la maladie.
C’est donc sans surprise qu’on voit apparaître de délicieux petits articles expliquant par le détail qu’on va enfin pouvoir, chic chic chic, décharger les petites attestations bureaucratiques dûment tamponnées à partir d’un de ces sites internet d’administrations françaises qui engendrent la jalousie du reste du monde : ici par exemple, Ameli.fr frétille d’aise à l’idée de distribuer des petits papelards numérisables permettant enfin d’exhiber son statut d’übermensch sanitairement fréquentable.
L’historique en matière d’informatique étatique étant ce qu’il est, auquel on devra ajouter l’historique de la gestion des dossiers par l’assurance maladie, auquel on pourra aussi ajouter l’historique global de la gestion de la pandémie par nos autorités, tous ces historiques dodus laissent présager d’une réussite fumante du projet : on peut d’ores et déjà garantir que tout le monde concerné retrouvera son dossier, qu’il n’y aura ni erreur, ni fraude, et que tout ceci sera abondamment utilisé par des commerçants et des lieux de villégiatures soucieux de correctement harceler les touristes avec cette amusante paperasserie.
Quant aux enfants, qui – pour le moment – ne sont pas vaccinables et pour lesquels on nage dans le flou juridico-sanitaire le plus compact, ne vous inquiétez pas : là encore, les autorités ont tout prévu avec la même sagacité que les masques, les tests et les vaccins ce qui rassure immédiatement.
On le comprend : l’embrigadement électronique et paperassier des populations est en marche, et rien ne semble pouvoir l’arrêter afin – pour citer les autorités – de « pouvoir retrouver la liberté » tant il est vrai qu’on n’est jamais aussi libre qu’avec des passeports, des autorisations et des petits cerfas tamponnés ici, là et là avec le timbre fiscal sur le côté ici, merci. En somme, les recettes des succès passés sont maintenant employées avec empressement pour une impressionnante enfilade de succès futur dont on peut déjà se réjouir.
Notons au passage que si ces petits ausweis agaceront certains peuples moins soumis
habitués que les Français, au moins le peuple hexagonal a-t-il eu
l’occasion de tester en grandeur réelle son approvisionnement en papier,
en encre et la bonne marche des imprimantes personnelles à la suite des
deux confinements (et demi) qui leur aura donné l’occasion de tendre
leurs petites autovexations officielles à la maréchaussée toujours
compréhensive mais jamais en défaut lorsqu’il s’agit de récolter les
fruits toujours de saison en France (prunes et amendes). Se trimballer
avec son pédigrée médical pour aller boire un pot, au cinéma ou dans un
parc ne devrait donc pas trop bousculer les habitudes des Gaulois assez
peu réfractaires…
Habitudes qui seront en revanche un peu plus bousculées par les innovations bureaucratiques accompagnant le retour progressif du pays à son niveau habituel de pénibleries administratives : en effet, on pourra toujours présenter moult papelards et force applications numériques sur téléphones à la mode, ça n’en fera pas plus ouvrir les attractions des parcs à thème. Si les parcs sont bien rouverts, leurs attractions, elles, n’ont pas encore le droit de fonctionner : le virus se concentrant – comme chacun le sait – sur les sièges de ces attractions et dans les files pour y accéder, le gouvernement a sagement choisi de les laisser fermer encore un peu. Malin.
Au moins, on a ici parfaitement respecté la logique d’ensemble de la gestion de la pandémie, maintenant largement transformée en crise économique du seul fait des gesticulations débilissimes du gouvernement : sous couvert de ne rien précipiter, on improvise des autorisations improbables dans un mouvement d’ensemble foutraque et grotesque que personne, au gouvernement, ne semble constater (et à plus forte raison pouvoir arrêter), ce qui aboutit par exemple à autoriser à nouveau l’ouverture des remontées mécaniques des pistes de ski, ce qui, au moins de mai, est d’une pertinence rare.
Comme on pouvait le prévoir, tout se met donc en place pour pister les infectés potentiels : le passeport main-propre tête-vide arrive et ce gigantesque projet va permettre de coordonner sans douleurs ni surprise des douzaines d’organisations sanitaires et de santé en France, puis en Europe, puis dans le monde, va donner à chacun l’opportunité de fournir son état de santé pratique, lisible et précis, le tout sans qu’il n’y ait jamais la moindre fuite de données, ni la moindre exploitation tant par des sociétés du capitalisme de connivence que des États un tantinet fouineurs qui pourraient pousser le bouchon un peu loin.
Rien qu’y penser, c’est garantir que tout va bien se passer. Ah, quel bonheur de retrouver sa liberté tendrement enveloppée avec des cerfas !
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