10 mai 2021

L’armée comme arme de communication

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L’armée comme arme de communication

• Une nouvelle “tribune” de militaires français (d'active), venant en soutien et en continuation de la “Lettre Ouverte” du 21 avril, est désormais publiée (par “Valeurs Actuelles”) et ouverte à la signature également de citoyens français non-militaires. • L’initiative au départ isolée de la “Lettre Ouverte” apparaît désormais comme une offensive majeure de communication dépassant le cadre militaire. • Le but est d’alerter et de mobiliser autour du constat de la gravité de la situation de “délitement” de la France. • Il y a une transmutation de l’événement initial.

Hier soir, “Valeurs Actuelles” publiait le texte d’une nouvelle communication venue de milieux militaires d’active dont le but est d’appuyer et de poursuivre la “Lettre Ouverte” (au président et à d’autres, peut-on imaginer) du 21 avril. Le lien, l’enchaînement, le but de cette seconde initiative sont affichés clairement, ce qui permet de conclure qu’il s’agit de la transformation d’une initiative isolée en une opération coordonnée de communication. L’hebdomadaire “Valeurs Actuelles” (VA) y tient une place centrale, comme coordonnateur de la communication médiatique, comme rassembleur et même comme initiateur de propositions d’extension du mouvement. C’est notamment le cas avec l’idée que cette “tribune” (la forme de “Lettre Ouverte” initiale du texte est conservée, mais elle s’estompe en raison de l’évolution de la situation) est ouverte à la signature de personnes non militaires, et devenant ainsi de facto une pétition dont on peut penser que l’hypothèse qu’elle aurait un succès considérable est à envisager.

D’après ce que nous pouvons en juger selon la seule lecture de la chose, la “tribune” a été publiée sur le site de VA le 9 mai 2021 à 22h18. Ce jour, à 09H15, alors que nous commencions notre texte, il y avait eu 1 214 316 lecteurs du texte (“‘lecteurs”, car nous ne parlons pas de “signataires” qui étaient, selon VA, 76 461 personnes le 10 mai à 10H00,  109 059 à 13H00 avec 1 524 472 lecteurs). Ce jour à, alors que nous terminons notre texte, il y a (mise à jour de 14H30) 1 686 607 lecteurs 145 154 signbatures. Pour le moins, l’intérêt est évident, sinon écrasant...

Nous reproduisons ci-dessous le texte de présentation de VA sur le site valeursactuelles.com, qui explique ainsi ce que nous désignons comme “la transmutation de l’événement initial” de la “Lettre Ouverte” du 21 avril :
« Depuis quelques jours, la rumeur courait qu’une nouvelle tribune de militaires allait être dévoilée. Émanant de militaires d’active, elle vient en soutien à celle précédemment publiée sur le site de “Valeurs actuelles”. Ce texte, qui circule déjà beaucoup et dont les médias se font l’écho, nous avons décidé de le publier ce soir. Et de l’ouvrir, en bas de cette tribune, à la signature des citoyens français qui le trouveraient à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres. Tout en continuant, avec une méthodologie exigeante, à nous tenir à la disposition des professionnels des armées qui souhaiteraient y prendre part. Comme la précédente, le but de cette tribune n'est pas de mettre à mal nos institutions mais d’alerter sur la gravité de la situation. »

Nous renouvelons avec bien plus de force encore les observations faites par PhG dans son Journal-dde.crisis du 2 mai, à propos de « La lanterne de Mélenchon ». Non seulement elles nous semblent d’actualité mais, au vu des événements que nous décrivons et interprétons, elles nous semblent encore plus d’actualité.
 

« Sur ‘C.News’ lundi [27 avril], Charlotte d’Ornellas, de VA, jugeait “hallucinante” la manœuvre de Mélenchon, consistant à allumer un feu roulant, une sorte de contre-feu de communication, contre la “Lettre Ouverte”, pour faire oublier, de ce même point de vue de la communication, le dernier attentat terroriste contre une policière et l’implication de l’islamisme qui l’accompagne. J’admettais que c’était bien jugé d’une part (d’Ornellas), bien joué tactiquement d’autre part (Mélenchon). Aujourd’hui, mon jugement est complètement renversé sans pour autant démentir le premier du genre, – c’est simplement que les choses vont si vite, et que la communication est un outil si puissant.
» Tout ce bruit dont Mélenchon est effectivement le tambour-major, impose par sa force mais tout à fait au contraire de son contenu ridicule, une nouvelle réalité, un renforcement décisif de l’idée que l’armée a son mot à dire dans le débat sur la situation sécuritaire et stratégique de la France, que la guerre “est en cours”, que le rapprochement des deux choses (“armée” et “guerre”) mesure l’extrême gravité de la situation française.
» L’alerte mélenchonesque est si fortement appuyée sur la mollesse et l’inconsistance des attendus, que le résultat est le renforcement décisif de ce qu’elle prétend dénoncer. La vérité-de-situation se situe là où l’essence des choses se situe, et nullement du côté de tel ou tel incendiaire, fût-il animé des plus délicates attentions du monde. Grâce à sa lanterne où il a l’habitude de balancer les aristos, Mélenchon a bien éclairé une nouvelle dimension de la situation française qu’il a si élégamment contribué à créer.
» ... J’énoncerais cela, – l’entrée de l’armée dans le débat, – comme une hypothèse qui est presque un fait achevé et mis en place, dont on ignore ce qu’il va donner, plutôt qu’un motif de satisfaction ou l’esquisse affreuse d’une alarme qui ne l’est pas moins. Il est vrai que je n’ai pas d’élection en vue. Je vous avise que ma lanterne à moi se nomme nostalgie. »
 

Nous faisons alors deux remarques “opérationnelles” sur la position de l’armée qu’implique cet événement, outre la remarque de forme que les jugements des signataires sont extrêmement durs pour ce qui concerne l’attitude morale et ce qui est jugé comme une extrême faiblesse de caractères de nos dirigeants politiques. Si certains y reniflent des relents de factieux, d’autres peuvent aussi bien évoquer un certain 18-juin.

• Ce que l’on (PhG) nomme « l’entrée de l’armée dans le débat » (sur la situation identitaire et sécuritaire de la France et sur la réalité de son “délitement”) est un événement non seulement nouveau, mais absolument-nouveau, c’est-à-dire inédit. Il n’a jamais eu lieu auparavant dans les conditions et les caractères que l’on connaît, qui sont ceux de la puissance et de la domination en matière de la production de puissance politique du système de la communication pris dans son sens le plus large. Parce qu’il s’agit d’un “événement absolument-nouveau”,  il s’agit de comprendre que nous repoussons évidemment, très largement et fortement, l’argument du putsch et du pronunciamiento, non par affirmation morale (en faveur de l’armée) ou quoi que ce soit de cette sorte, mais par évidence opérationnelle. Nous sommes dans une époque où le vecteur et le producteur de la puissance dans le jeu politique se trouvent réunis dans la communication, et plus du tout dans la force armée, dans tous les cas dans une démocratie “avancée” et surchargée à ras-bord de l’état d’esprit et des technologies de la communication (caractéristiques de l’essence même des pays du bloc-BAO). Où peut-on voir qu’il y ait aujourd’hui une part essentielle ni même substantielle de la force militaire dans les actions de subversion et de prise de pouvoir, dites de “regime change”, – tactique unanimement reconnue, par les spécialistes du genre dans le bloc-BAO, comme la seule efficace pour de tels desseins à notre époque de très-grande communication ?

• Une remarque contenue dans la nouvelle “tribune” des militaires nous paraît singulièrement intéressante, qui concerne leur expérience professionnelle (mis en gras par nous). L’idée du “délitement” d’un pays face à un régime politique impuissant & impotent, se traduit opérationnellement par la marche vers un “‘État failli” et sa transformation en “État-voyou” où règnent désordre et sauvagerie. C’est effectivement dans cette sorte de situation que les militaires français sont le plus souvent conduits à intervenir dans leurs opérations extérieures, et pour tenter de rétablir l’État bien plus que pour l’abattre ; c’est à partir de cette expérience qu’ils posent leur affirmation :
« Ce n’est peut-être pas à des militaires de dire cela, arguerez-vous. Bien au contraire : parce que nous sommes apolitiques dans nos appréciations de situation, c’est un constat professionnel que nous livrons. Car cette déchéance, nous l’avons vue dans bien des pays en crise. Elle précède l’effondrement. Elle annonce le chaos et la violence, et contrairement à ce que vous affirmez ici où là, ce chaos et cette violence ne viendront pas d’un “pronunciamento militaire” mais d’une insurrection civile. »

Les réactions dans ce qu’on nomme “la classe politique” sont sans surprise et de peu d’intérêt sur le contenu : pour ce qui concerne les réactions critiques et hostiles, elles se placent toutes sur le terrain de la morale, du “légalisme républicain” et de la défense de la démocratie, toutes ces choses qui constituent le champ de manœuvre favori de cette même classe politique en plein processus de délitement. La principale contre-attaque porte moins, désormais et d’une manière révélatrice, sur le fait de la tribune que sur le fait que les militaires signataires, qui sont d’active, restent anonyme. Bientôt, on citera en exemple les signataires de la première “Lettre Ouverte” : “Eh, les anonymes, regardez vos ainés hors-cadre, eux au moins ils donnent leurs noms !”. On cite également comme contre-attaque la réalité de cette “tribune” : “Peut-être les anonymes n’existent-ils pas ?”. Le complotisme est de bon usage de tous les côtés et dans tous les sens ; on en use donc.

Tout cela se faisant, le fait est que cette nouvelle intervention des militaires constitue un pas de plus vers la perception par les acteurs politiques, par les élites et par l’opinion publique, d’une sorte d’institutionnalisation de leur “présence” dans le débat politique, qui pour l’hystériser façon menace-de-putsch, qui pour le dramatiser en donnant du corps aux scénarios de “guerre civile” qui abondent. Cette vérité-de-situation n’a nul besoin que les militaires agissent d’une autre façon que celle de la communication, – cette “autre façon” serait de leur part et pour eux-mêmes une absurdité stratégique et une erreur tactique.

L’intérêt de cette seconde opération grandit également, bien entendu, avec la manœuvre réalisée par VA d’en faire une “pétition” pour les citoyens non-militaires : cette manœuvre annexe risque, selon le nombre de signatures obtenues, d’occuper une place très importante, comme une sorte de référendum à la fois sur la pertinence de l’intervention des militaires, à la fois sur le constat de l’énorme crise qui touche la France.

Jacques et Marine, sous le regard de Mitterrand

Parallèlement à cet étrange champ de manœuvre où les armes sont les “tribunes” et les “pétitions”, le climat ne cesse de se durcir dans le sens d’un chaos tournoyant, un “tourbillon crisique”, autour de la question de savoir si Marine Le Pen peut être élue. Il faut signaler à cet égard et à nouveau une (des) intervention(s) exotique(s), celle(s) de Jacques Attali, soudain très présent à cette occasion du 40ème anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Mitterrand. Dans le compte-rendu cité sont prises en compte deux interventions d’Attali, sur France-5 et sur Europe-1, les 6 et 9 mai.

Il est difficile de croire que l’ancien conseiller de Mitterrand soit devenu un partisan de Le Pen ; aussi peut-on penser que son but est au contraire de faire prendre conscience à tous les adversaires du Rassemblement National de la possibilité de victoire de sa présidente. Comme toutes les affaires de cette sorte en France, aujourd’hui, dans son climat bouillonnant, toutes les initiatives dans tous les sens ont des effets incontrôlables, qui peuvent être contraires à ceux que l’on attend, – dans ce cas, rendre concevable sinon possible l’élection de Le Pen. Les analogies que souligne Attali, précise-t-il lui-même, ne portent évidemment pas sur la personne ni sur le programme politique (celui de Le Pen étant qualifié d’« horreur absolue » par lui), « mais sur la situation politique ».

Une chose est dans tous les cas de plus en plus assurée : Macron a perdu tout attrait pour Attali, qui va jusqu’à l’assimiler implicitement à la “classe politique” qui serait victime d’un “dégagisme” au profit de Le Pen ; le même Macron fut élu en 2017 sur une vague de “dégagisme”, et Attali applaudissait alors avec enthousiasme, – et Macron, et la vague. Les temps changent vraiment très vite et, malgré les analogies, l’élection de Mitterrand paraît, à 40 années de distance, comme un océan de stabilité...

« “François Mitterrand, comme elle, a été candidat trois fois avant d’être élu”, souligne Attali, précisant que bien que ce soit “aussi le cas de Jean-Luc Mélenchon. [...] Marine Le Pen a été au deuxième tour, et donc cela créé un point commun”. [...] Attali juge que “beaucoup de gens à droite, et aussi à gauche, consciemment ou inconsciemment, jouent pour Marine Le Pen en pensant que le tour d’après sera pour eux”.
» Il souligne le “sentiment [...] qu’il faut dégager [la classe politique]” : “C’est ce qui c’était passé avec François Mitterrand. C’est non seulement lui qui a été élu mais aussi Giscard d’Estaing qui a été battu. C'est donc le sentiment qu’il faut se débarrasser de la classe politique en place” »

« Il faut se réveiller, car son élection est là » : les analogies d’Attali pour annoncer la victoire de Le Pen ne sont pourtant que moyennement convaincantes. Par contre, il est assuré que son intervention, comme tant d’autres événements en ce moment en France, contribue au climat général de désordre, d’instabilité et d’incontrôlabilité. On ne lui en fait aucun grief d’ailleurs, non plus qu’aux interventions des militaires qui vont dans le même sens du climat général de tourbillon crisique, car la situation française est aujourd’hui un monstre furieux qui évolue quasiment de son propre chef, qui est en train de se constituer en une crise nouvelle, au-delà de l’insécurité, de Covid19 et ainsi de suite. Peut-être moins que le résultat de l’élection présidentielle, – on laisse de côté la sous-question des régionales de juin prochain, pour ne pas charger la barque, – se pose la question de savoir si cette élection pourra se tenir dans des conditions normales et acceptables.

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