L’iceberg qui dérivait il y a 110 ans (le 14 avril 1912) au milieu de l’Atlantique nord a bon dos : ce n’est pas lui qui a fait couler le plus beau, le plus grand, le plus prestigieux des paquebots du monde, mais bien la gestion capitaliste dangereuse de la White Star, la compagnie qui possédait les deux géants des mers, l’Olympic et le Titanic. La démonstration en est apportée dans un excellent documentaire diffusé en 2017 par Channel 4 et diffusé par France 5 le 18 avril 2021.
Nous avons cerné la dramaturgie de cette enquête qui pourrait s’appliquer parfaitement à tous les secteurs, sans exception, soumis à la la gestion néolibérale du monde occidental des années 2020. L’exemple est frappant, et on comprend comment le profit pour le profit peut tuer. On pense au management par la peur lors de la restructuration de France Télécom-Orange, on pense au Mediator des laboratoires Servier et ses centaines de victimes (peut-être le même nombre que les noyés du Titanic, ou plutôt de la White Star), on pense à l’effondrement du Rana Plaza de Dacca et ses 1.135 morts parmi les travailleurs-esclaves des ateliers de confection (2013), on pense au gaz mortel de l’Union Carbide à Bhopal et ses 25.000 morts en 1984... Bref, si le capitalisme est idéal pour développer la production d’un pays dit émergent, il peut aussi devenir fou. On comprend alors mieux la mainmise du politique sur le capitalisme dans un pays comme la Chine. Le capitalisme est un bon serviteur, mais un mauvais maître.
Time is money
Nous sommes en avril 1912, la marine marchande britannique domine encore le monde, ou les mers, et la White Star, qui a lancé l’Olympic un an plus tôt, lance le Titanic, flambant neuf, pour une ligne allant de Southampton à New York. C’est un peu le Concorde de l’époque. Et flambant est le mot, car dans la soute, avant de quitter son port d’Irlande, se propage un feu de charbon. Cela peut arriver, mais celui-ci refuse de s’éteindre.
- La paroi qui a abrité le feu de soute à charbon
Et la compagnie, qui veut absolument rentrer dans son investissement, doit à tout prix respecter le délai de lancement (qui a déjà été repoussé plusieurs fois) et ne pas faire fuir les 2.200 passagers. Seuls les marins, au courant du problème, refuseront d’aller au-delà de Southampton : il seront 152 sur 160 à être débarqués, et remplacés.
Pour tenir la deadline d’inauguration, et pour dégager un maximum de profit, le patron de la White Star, un certain Ismay, a rogné sur l’épaisseur de la coque d’acier et sur le nombre de canots de sauvetage. Le navire étant considéré comme le plus sûr du monde, c’est un risque calculé. Ou un calcul risqué. Pourtant, un an auparavant, ce qui aurait dû alerter le directeur, le frère aîné du Titanic, l’Olympic, heurte à faible vitesse un navire de la flotte royale britannique. Le choc suffit à éventrer la coque de l’Olympic, ce qui n’aurait pas dû être le cas.
Nous sommes à sept mois du lancement du Titanic, et la leçon ne sera pas retenue. Il est de toute façon trop tard, les choix économiques, dans tous les sens du terme, ont été faits, et assumés. La coque du Titanic sera allégée.
« Une chaleur de 1 000 degrés réduit la solidité de l’acier de 75 %... »
Le problème, c’est que le feu dans une des soutes perdure, et que personne, parmi les marins pompiers, ne peut l’arrêter : la chaleur, de 1.000 degrés, est intense. La seule façon d’en venir à bout est soit de laisser le stock (100 tonnes) se consumer, soit de transférer le combustible pas encore trop ardent dans les fourneaux qui activent les machines. En d’autres termes : pousser le Titanic à fond (22 nœuds). Ce qui met la traversée et le capitaine en tension : soit on tombe en panne, soit on continue à fond. Cela expliquera aussi pourquoi il sera plus difficile, à pleine vitesse, d’éviter l’écueil fatal.
Enfin, le stock de charbon finit de se consumer, l’incendie s’éteint de lui-même, mais la chaleur sur plusieurs jours a fragilisé la cloison étanche... C’est par là que l’eau s’engouffrera, après la collision avec l’iceberg, la paroi d’acier ne permettant plus de bloquer les flots. Sinon, une seule cale aurait été remplie, maintenant le navire à flot.
On ne va pas paraphraser le doc, tout y est, les calculs de petit boutiquier du directeur de la compagnie, les témoignages des pompiers effacés des conclusions de l’enquête, la désinformation des responsables, la complicité de la presse et les effets meurtriers de la désinformation : un champ de cadavres, 1.500 morts noyés dans une eau glacée (à –1 °C, soit 20 minutes de survie maximum avant l’hypothermie), alors que le Carpathia était en mesure de récupérer tous les naufragés.
Pour la légende, fabriquée par les autorités, ce sera l’iceberg le grand responsable, c’est-à-dire personne, ou la fatalité, le Destin.
Aujourd’hui, nous voilà dans un autre Titanic, plus grand puisque contenant une bonne partie des habitants de la Terre, et toujours conduit par des Ismay, pour qui le profit vaut plus que nos vies.
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