Le décret d’application sanglant de la réforme de l’assurance chômage de juillet 2019 a été fortement bousculé par la crise économique, puis la décision du Conseil d’État en novembre 2020. Pourtant, depuis des mois, le gouvernement louvoie pour faire passer coûte que coûte ce qu’il martèle être une « bonne réforme ». Ce matin, Élisabeth Borne a présenté le contenu d’un nouveau décret. Il sera promulgué dans le courant du mois et applicable au 1er juillet.
Sur le fond, rien ne change vraiment. La volonté initiale du gouvernement de rendre plus difficiles l’ouverture et le rechargement des droits reste. Comme celle de changer le mode de calcul des indemnités afin de réduire les allocations des chômeurs alternants période de travail et de chômage. Dorénavant, tout est histoire de calendrier, de plancher et de critères dans la copie que la ministre de Travail a présentée aux organisations de salariés et au patronat. En gros : tout faire évoluer pour ne presque rien changer.
Toujours plus dur d’ouvrir et de recharger des droits
À moins d’une surprise dans sa rédaction, le nouveau décret, qui sera publié en mars et entrera en vigueur au 1er juillet 2021, fixera les règles suivantes : le retour au volet 1 de la réforme de l’assurance chômage, tel qu’appliqué au 1er novembre 2019. Mais dès que la situation économique s’améliorera un peu. Pour en déterminer le moment, le ministère du Travail évaluera deux indicateurs économiques cumulés. Celui du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A – il devra baisser de 130 000 sur 6 mois – et celui du nombre de déclarations préalables à l’embauche. Elles devront atteindre le chiffre de 2,7 millions sur quatre mois.
Un conditionnel novateur qui installe un vers dans le fruit : celui d’une variabilité des droits au chômage en fonction de la situation économique. Le gouvernement appelle cela, le retour à « bonne fortune ». Mais la « bonne fortune » du marché du travail ne fera pas forcément le bonheur des chômeurs. Avec un chômage structurel, même en période de croissance économique, ceux-ci subiront de nouveau la baisse de leurs droits. Et éventuellement dans l’avenir avec une dose de culpabilisation supplémentaire.
C’est donc bien la régression en matière de droits à l’ouverture et au rechargement qui s’appliquera bientôt aux chômeurs. Celle qui avait fait passer de quatre mois sur 28 mois à six mois sur 24 mois, le seuil de déclenchement des allocations chômage. C’est également celle qui avait réduit les possibilités de rechargement. À l’avenir, ce sera bien six mois, au lieu d’un mois avant le 1er novembre 2019, qui seront nécessaires. Même si pour quelque temps encore, la mesure fixant le rechargement à quatre mois est maintenue. Elle avait été annoncée par Jean Castex pour répondre à la crise, lors de la première conférence du dialogue social au mois de juillet dernier. Et reconduite de trois mois en trois mois depuis.
Cela signifie que les prévisions cataclysmiques, quant à la situation des chômeurs après le passage du volet 1 de la réforme, adviendront bien dans le courant de l’année 2022. Les modifications dont il est question ayant pour effet de réduire ou retarder l’ouverture des droits aux allocations pour 710 000 demandeurs d’emploi sur une année, selon l’étude d’impact réalisée par l’Unédic. Malgré la connaissance des conséquences à venir pour les chômeurs, le gouvernement compte appliquer sa réforme, toute sa réforme, à un horizon qui dépendra de l’évolution de la conjoncture économique. Mais le plus vite possible.
Une précarisation assurée pour 800 000 chômeurs
Mais ce n’est pas tout. La réforme de l’assurance chômage contient également un volet 2. Initialement prévu au 1er avril 2020, il a été percuté par la crise sanitaire et économique. Ainsi, son application a été retardée, de trois mois en trois mois elle aussi. Ce second volet prévoyait un coup de rabot majeur sur les allocations des chômeurs alternants période de travail et de chômage. Comment ? En modifiant le calcul du salaire journalier de référence (SJR). Au lieu de le calculer sur le nombre de jours travaillés, le nouveau mode de calcul incluait la totalité des jours travaillés ou non travaillés sur la totalité de la période concernée. Avec des simulations de baisse des allocations mensuelles pouvant aller jusqu’à une division par deux ou trois des revenus. En contrepartie, la durée de versement était évidemment allongée.
C’est notamment sur la base de ces simulations que le Conseil d’État a invalidé le volet 2 de la réforme au mois de novembre 2020. La plus haute autorité administrative a considéré que cela portait atteinte au principe d’égalité, du moins dans une trop grande proportion. Une décision obligeant le gouvernement à revoir sa copie, mais avec une porte laissée entrouverte sur les modalités de calculs à venir. Une ouverture qu’a saisie le gouvernement. Ainsi, ce matin, Élisabeth Borne a présenté un nouveau mode de calcul applicable au 1er juillet. Une date en concordance avec les effets escomptés de la campagne vaccinale, selon les dires du gouvernement. Ne riez pas !
Le changement de mode de calcul du SJR réduit quelque peu son impact, sans rien modifier à son principe. Ici, c’est le plancher ou le plafond que met en avant le ministère du Travail. Les jours non travaillés seront toujours pris en compte, mais pas tous. Seulement 43 % d’entre eux sur une période maximale de 24 mois. Avec pour effet mécanique de réduire moins fortement les allocations. Mais en les réduisant tout de même considérablement par rapport à l’avant-réforme. Le ministère, qui a présenté ses simulations ce matin, évoque le cas d’un chômeur ayant travaillé 3 mois, puis cinq mois, au SMIC en début et fin d’une période de 24 mois. Avec pour résultat : avant la réforme plus de 900 €, après la réforme première version autour de 350 € sur 24 mois, puis dans sa dernière version 667 € sur 14 mois. De l’aveu même du ministère, cette nouvelle mesure devrait conduire à la baisse des allocations de 800 000 demandeurs d’emploi.
Enfin, la dégressivité des allocations, au bout de 7 mois, pour les chômeurs dont les revenus en activité dépassaient 4500 € brut, ne commencera plus qu’à partir du 9e mois, à compter du 1er juillet prochain. Une modification provisoire, elle aussi soumise à un retour à « bonne fortune ».
Les contreparties ont du plomb dans l’aile
C’est le en même temps des origines. En face des régressions pour les chômeurs, le gouvernement agitait un bonus-malus pour les entreprises trop utilisatrices de contrats inférieurs à un mois. Déjà revu à la baisse dans ses ambitions lors de la première version, la pandémie l’a un temps annulé. Il revient aujourd’hui pour justifier une réforme que l’exécutif tente toujours de présenter comme équilibrée. Mais pas vraiment tout de suite.
Contrairement aux mesures s’appliquant durement aux chômeurs dès cet été, les branches d’activité encore concernées par cette mesure ont obtenu un délai : septembre 2022. Avant, entre le 1er juillet et cette date, le gouvernement regardera dans le détail ce qui se passe d’un point de vue économique. Et sera toujours libre d’aviser après la présidentielle de 2022.
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