• Chinois et Russes sont plus que jamais côte-à-côte dans ce qu’ils estiment être un affrontement existentiel. • La rencontre entre leurs deux ministres des affaires étrangères, à Pékin, a bien illustré ce climat rendu encore plus dramatique par les situations intérieures de leurs adversaires, les pays du bloc-BAO, c’est-à-dire du Système.
• Chinois et Russes se trouvent face à une politique qui s’appuie sur des “valeurs” que leurs adversaires veulent imposer, « un système dans lequel l'Occident, en tant que sujet politique, surveillera la Chine et la Russie en tant qu’objets politiques », comme le dit l’universitaire australien Glenn Diesen : le conflit est inévitable. • Nul ne sait s’il sera armé, les situations internes des pays du bloc-BAO exacerbées par le totalitarisme de leurs propres “valeurs” pouvant conduire à l’effondrement intérieur. • Quoi qu’il en soit, on retrouve un affrontement désormais classique depuis que la modernité a imposé son subjectivisme totalitaire : les “valeurs” contre les “principes”. • Quelles que soient leurs politiques, leurs choix et leurs volontés, Russes et Chinois tiennent le rôle de l’antiSystème.
24 mars 2021 – La rencontre des deux ministres des affaires étrangères chinois et russe, Wang Yi et Lavrov à Pékin, a constitué un événement d’une extrême importance, par le climat évident, par l’atmosphère palpable qui placent les deux puissances côte-à-côte quelles que soient leurs possibles différences ou différends. L’événement de Pékin suit et confirme la logique illustrée par les divers incidents de ces derniers jours et la réaction coordonnée de la Chine et de la Russie (voir notre texte du 21 mars 2021).
Le fait que la rencontre ait lieu au niveau des ministres des affaires étrangères ne réduit pas l’importance de l’acte, il l’opérationnalise : il n’est nul besoin d’affirmer une alliance déjà scellée (il aurait alors fallu la présidence les deux présidents), il suffit de définir le modus operandi d’une “guerre” commune et les ministres suffisent, et des ministres chargés des affaires générales sans accent mis sur l’aspect guerrier qui est déjà traité par une coopération militaire bien établie.
Nous parlons donc bien de “guerre”... La rencontre a constaté qu’un “état de guerre” avec le bloc-BAO existe désormais, du fait même de l’adversaire (nous employons cette tournure comme l’avait fait Roosevelt dans son discours du 7 décembre 1941 devant le Congrès, après l’attaque de Pearl-Harbor, parlant de la situation existant du fait de l’attaque : « a state of war has existed... »). Nous usons de notre expression favorite (bloc-BAO) car c’est bien d’une “communauté de valeurs” à prétention hégémonique que parlent les deux puissances de l’Est. La Chine et la Russie s’instituent en défenderesses d’une conception différente de la civilisation derrière laquelle se regroupent d’autres pays que les deux intervenants ; et la “guerre” dont il est question dépasse le sujet de la géopolitique et son appendice militaire, pour embrasser une conception du monde et de la vie, c’est-à-dire effectivement une conception civilisationnelle.
A notre sens, un passage d’un texte (RT.com du 23 mars) de Glenn Diesen, Australien, Professeur à l’université South-Eastern Norway (en Norvège), détaché à Moscou et collaborateur de la revue ‘Russia in Global Affairs’, définit parfaitement la conception occidentaliste-américaniste que combattent l’axe Moscou-Pékin et les autres pays représentés. Le titre dit « L’“ordre international fondé sur des règles” est mort et si l’Occident ne trouve pas un nouveau moyen d’accommoder la Russie et la Chine, il récoltera une tempête ». Diesen emploie le mot ‘rule’ (“Rules-based international order”), effectivement traduit par le mot neutre de “règle”, mais qui a un nombre considérable d’autres significations, pour la plupart beaucoup plus offensives, – et nous reviendront sur ce point plus loin.
« Du point de vue occidental, un ordre fondé sur des règles exige
que l'Occident défende les valeurs libérales et devienne ainsi une
“force du bien”. M. Blinken a mis en garde [les Chinois et les autres]
contre le fait que “l’alternative à un ordre fondé sur des règles est
un monde dans lequel la force fait le droit et où les gagnants prennent
tout”. Pour la Chine et la Russie, l’ère unipolaire [de la domination de la puissance US en tant qu’organisatrice et gardienne du soi-disant “Monde Libre”]
a été celle où la force fait le droit et où les valeurs libérales ont
simplement légitimé l’unilatéralisme. Par exemple, il suffit de voir
comment les préoccupations de Moscou concernant les aventures militaires
occidentales en Irak, en Syrie et en Libye, toutes d'une légalité
douteuse au regard du droit international, à des degrés divers, ont été
ignorées.
» L’hégémonie libérale en tant qu’ordre international fondé sur des
valeurs contredit le concept d’un ordre fondé sur des règles. Un système
fondé sur des règles implique l'application cohérente du droit
international, tandis qu'un système fondé sur des valeurs confère à
l'hégémon libéral la prérogative d’une application sélective et
incohérente des lois et règles internationales.
» Le système d’hégémonie libérale démontre que les valeurs et le
pouvoir ne peuvent être découplés. Les États occidentaux, comme toutes
les autres nations, formulent et poursuivent des politiques étrangères
fondées sur les intérêts nationaux, et les valeurs sont ajustées en
conséquence. Au Kosovo, il a été décidé que l'autodétermination était
plus importante que l'intégrité territoriale, et en Crimée, il a été
décidé que l'intégrité territoriale était plus importante que
l'autodétermination.
» Les mêmes [valeurs] ne s’appliquent pas à tout le monde,
de la même manière. C'est “asymétrique” et non symétrique. Lorsque la
Russie est intervenue en Syrie à la demande de Damas et que les USA sont
entrés en Syrie sans autorisation de la Syrie ou de l’ONU, on a jugé
que Moscou avait enfreint les règles.
» Alors que la démocratie et les droits de l’homme devraient
idéalement avoir une place dans les relations internationales,
l'application de ces valeurs est toujours alignée sur les intérêts du
pouvoir. Alexey Navalny, figure de l’opposition russe, est nommé pour le
prix Nobel de la Paix, tandis que Julian Assange pourrit dans une
cellule britannique sans recevoir de tels honneurs. L’abandon par
Washington de la politique d’une seule Chine, en vigueur depuis quatre
décennies, en ce qui concerne Taïwan, les allégations de “génocide” au
Xinjiang et le soutien aux émeutes de Hong Kong sont aussi manifestement
motivés par la rivalité géoéconomique. Un système fondé sur des valeurs
n’implique pas de contraintes mutuelles, mais un système dans lequel
l’Occident, en tant que sujet politique, surveillera la Chine et la
Russie en tant qu’objets politiques. »
Chacun des deux ministres s’est occupé, dans un domaine spécifique, de l’opérationnalisation de cet “état de guerre”, qui combat d’une façon vitale pour les deux puissances une situation qui est illustrée de façon excellente et extrêmement puissante par Diesen : “un système où l’Occident est le sujet politique tandis que la Chine et la Russie sont les objets politiques”.
• Lavrov a fait des déclarations qui impliquent que, désormais et de facto, et précisément du fait de sa propre action, l’Union Européenne n’existe plus pour la Russie :
« Je souligne de nouveau que nous n’avons pas de relations avec l’UE en tant qu’organisation. Tout le système de relations est détruit par des décisions unilatérales de Bruxelles... [...] Suite
à la rupture des relations par l’Europe, qui a détruit les mécanismes
qui s’étaient mis en place pendant de nombreuses années, nous n’avons
que certains pays européens comme partenaires, lesquels veulent suivre
leurs intérêts nationaux. Cela entraîne, peut-être, un développement
objectif plus rapide des relations avec la Chine »
• La Chine a plus précisément dans l’esprit une hostilité concernant
l’action des USA dans les relations internationales. (Selon le président
Xi, cité lors d’une séance d’une Session Plénière du 19è Comité
Central : « La plus grande source de chaos dans le monde
aujourd’hui, ce sont les États-Unis ... les États-Unis sont la plus
grande menace pour le développement et la sécurité de notre pays. ») On peut prendre cette remarque de Tass
ci-après avec l’emploi d’expression polémique et “de combat
hégémonique” dans les relations internationales, citant une revue de
référence exprimant d’une façon expressive et clarifiée le point de vue
officiel du PCC (Parti Communiste Chinois) :
« Le journal chinois Global Times affirme que les États-Unis cherchent à changer de régime [‘regime change’] en Chine et en Russie par le biais des révolutions de couleur [‘color revolution’].
C'est pourquoi les deux pays doivent travailler ensemble pour contrer
l'hégémonie américaine et remodeler le système politique international
sur la base du principe d'égalité. »
Le paradoxe de ce déploiement contre un danger commun, qui est une véritable “guerre culturelle” vécue comme une agression fondamentale, c’est que ceux que les Russes et les Chinois désignent comme les agresseurs sont en bien piteux état, et d’une façon générale et audacieusement paradoxale, par l’application maximaliste des “valeurs” dont ils jugent péremptoirement qu’elle leur donne tous les droits concernant la conduite des relations internationales et la nature des systèmes de gouvernement des autres (les “objets politiques” dont ils sont “le sujet politique”). Ce n’est pas nécessairement un avantage pour la Russie et la Chine, ou bien c’est un “avantage dangereux” car l’état de l’esprit n’est pas celui de la possibilité de reconnaître sa défaite, ou sa déroute, ce qui est une chose impensable dans l’état du jugement du bloc-BAO. C’est au contraire la cause d’une accélération de la radicalisation des positions dans le bloc-BAO, devant cette réalité rétive qui prétendrait dénier au bloc sa supériorité hégémonique “de l’esprit” lui donnant tous les droits de manipulation des “règles” selon ses propres “valeurs”.
• On sait que se répand à une vitesse extraordinaire, aux USA d’abord mais également en Europe (en France notamment, certes), ce que nous nommons le wokenisme, qui est un ensemble de “valeurs” absolument et directement déstructurantes parce que poussées à leur extrême jusqu’à l’absurdité et la complète dénaturation. Toutes les branches de la société sont directement affectées, à partir des puissances “occupantes” de notre époque, que sont la bureaucratie d’État et le Corporate Power. Des entités qui semblaient intouchables et d’une puissance sans égale, sont investies par cette dynamique à une vitesse absolument affolante (les forces armées US).
On doit voir dans ce phénomène, sans la moindre hésitation, une pandémie de la décadence, et même de l’effondrement (la Grande Crise de l’Effondrement du Système). La pandémie Covid joue un rôle à la fois opérationnel et symbolique ; elle est à la fois l’inspiratrice, le moteur et le symbole de cette pandémie de la décadence-effondrement. A cet égard, la communication est absolument révélatrice.
• On second aspect de la situation du bloc-BAO est l’extraordinaire débâcle du pouvoir politique à qui échoie pourtant la tâche spectaculaire (qui se dit de ce qui est un beau “spectacle”) de transmuter les valeurs de la décadence-effondrement en victoire-éclair de type-napoléonien. En Europe, la débâcle est plus de type-covidien que de type-LGTBQ (wokenisme pur-style). Aux USA, c’est un peu le contraire quoique les deux s’emmêlent plus volontiers, grâce à la politisation déstructurante de la Covid. Le spectacle est sublimement résumé par l’étonnante doublette Joe-Harris, cette valse à mille-temps du président et de la vice-présidente. Le résultat est une politique bien au-delà du foutraque, ou la politique du “peloton d’exécution qui se déploie en cercle [avant de s’exécuter !]”, selon le mot de David P. Goldman (le 22 mars), chroniqueur géopoliticien impitoyable, selon le surnom de “Spengler” qu’il a pris dans Asia Times :
« La semaine dernière, l’administration Biden a établi un nouveau
record historique en menaçant de sanctions l’Allemagne, l’Inde, la
Russie et la Chine en l’espace de 72 heures. L’Allemagne et l’Inde sont,
ou du moins étaient, des alliés américains.
» Washington est furieux contre l’Allemagne pour avoir construit un
gazoduc avec la Russie, contre l’Inde pour avoir acheté un système de
défense aérienne russe, contre la Russie pour avoir maltraité les
opposants du président Poutine et contre la Chine pour le traitement de
sa minorité musulmane ouïgoure.
» Aucune des menaces récentes de Washington ne correspond à des
objectifs politiques identifiables. Au contraire, les récents
débordements de Biden et de son cabinet vont cimenter une alliance
sino-russe contre les États-Unis, saper les efforts américains pour
reconstruire les relations avec les alliés européens et nuire aux
efforts américains pour créer l’alliance ‘Quad’ (“quadruple”) contre la
Chine dans le Pacifique.
» Il est difficile d'éviter de conclure que personne n'est aux
commandes à la Maison Blanche et que les hauts fonctionnaires
s’efforcent de se positionner dans un vide de pouvoir en envoyant des
signaux vers les groupes d'intérêt nationaux. L’effet net rappelle la
vieille blague du peloton d’exécution qui se met en cercle pour procéder
à l’exécution. »
“Valeurs” versus “principes”
Comme l’on sait, le terme ‘rules’, dont on utilise dans le texte de Diesen le sens le plus neutre de ‘règles’, a une multiplicité de sens (‘règlement’, ‘autorité’, ‘pouvoir’, ‘empire’, ‘habitude’, ‘coutume’, etc.). A notre sens, pour bien rendre compte de l’enjeu de la “guerre” en cours, il doit être pris comme un medium d’application de quelque chose d’autre. Nous en revenons alors à la différenciation que nous avons souvent rencontrée, et tentée de définir, entre “valeurs” et “principes”.
L’argument développé dans le texte référencé garde sa complète pérennité, puisqu’il s’agit de l’opposition fondamentale aux principes constants des relations générales qu’a fait naître le subjectivisme extrémiste de la modernité (subjectivisme total, ou “subjectivisme totalitaire”). Cette distorsion intellectuelle se réfère évidemment à des “valeurs” qu’elle fournit elle-même, – créant ses propres références, qui s’avèrent ainsi être des faux-nez, des simulacres moraux (de moraline) ayant pour tâche la légitimation des actes de force et d’intérêt : « l’ère unipolaire [de la domination de la puissance US en tant qu’organisatrice et gardienne du soi-disant “Monde Libre”] a été celle où la force fait le droit et où les valeurs libérales ont simplement légitimé l’unilatéralisme. »
On rappelle ici une partie de l’argument de l’article cité plus haut, sur les différences et oppositions entre “valeurs” et “principes” et l’on voit évidemment aussitôt que cette comparaison s’applique à la situation actuelle :
« “L’on comprend évidemment que cette question “principes versus
‘valeurs’” oppose des orientations conceptuelles par rapport au
développement d’une civilisation, mais aussi, à notre sens, par rapport à
toute pensée structurée qui s’équipe pour jeter un regard critique sur
la situation du monde :
» • les “principes” sont des normes structurelles (structurantes par
essence), existant hors de telle ou telle civilisation, et qui doivent
être nécessairement utilisées pour
orienter structurellement le développement d’une civilisation, pour que
celle-ci ait un sens (pour que cette civilisation ne soit pas
littéralement insensée) ;
» • les “valeurs” sont des pseudo-normes conjoncturelles (dont le caractère structurant est absolument
aléatoire) déterminées par une civilisation donnée elle-même, pour
justifier son propre développement et lui donner un pseudo-sens
(faux-sens, contresens, simulacre de sens, etc.).
» Un principe, grâce à la puissance de son essence structurante, ne peut être infecté et subverti par une civilisation faussaire [notre contre-civilisation] et
peut donc devenir un instrument de critique radicale de cette
civilisation faussaire. Une “valeur”, qui n’a aucune essence
structurante, peut être utilisée par une civilisation faussaire (une
contre-civilisation) pour se faire prendre pour une vraie civilisation,
et elle l’est même systématiquement lorsqu'il s’agit effectivement d'une
contre-civilisation puisqu'elle est justement développée dans ce but.”
» ... D’une certaine façon en poussant l’observation jusqu’à la
pureté de l’idéal qui doit être se référence théorique, toute politique
qui s’appuie sur les principes et tout homme politique qui suit une
telle politique ont nécessairement la vertu de leur côté, tandis que le
choix des “valeurs” comme références uniques est nécessairement suspect
(du type “présumé coupable” à moins de prouver son innocence) parce
qu’il découle d’une idée politique avec tous ses pré-jugements et ses
intérêts partisans. Pour nous, une politique d’intérêt national n’a de
sens vertueux que si elle s’appuie sur les principes et, par conséquent,
rencontre les intérêts nationaux des autres. C’est Talleyrand engageant
la position française au Congrès de Vienne en annonçant que la France
renonce à toutes ses conquêtes “révolutionnaires et impériales”, parce
qu’ainsi “la France [cesse] d’être gigantesque pour devenir grande”. (Voir le 16 août 2007,
sur “l’éloge et la nécessité de la souveraineté”, où Talleyrand
argumente que seule la maison des Bourbons a la légitimité nécessaire
pour rendre à la France sa souveraineté : “La maison de Bourbon seule,
pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions
indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon,
la France cessait d’être gigantesque pour devenir grande. Soulagée du
poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule, pouvait la replacer
au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système social ; seule, elle
pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient
amoncelées contre elle.”) De même, un siècle et demi plus tard, de
Gaulle restaurera-t-il la souveraineté de la France en plaidant, non pas
les “intérêts nationaux” de la France, mais le principe de souveraineté
nationale, dont il réclamera d’ailleurs mais bien évidemment
l’application pour les autres autant que pour la France elle-même. »
On voit bien comment ces arguments et ces analyses rencontrent la position politique des Russes et des Chinois, justement quelle que soit leur politique. Certes, ils s’opposent aux effets de la politique du bloc-BAO, qui porte le masque des “valeurs” et s’y réfère pour toute démonstration de sa vertu, mais surtout ils le font de facto au nom de “principes” (les fameuses “règles”) qui sont par définition dégagés de toutes les distorsions d’intérêt. (Cela ne les empêcherait nullement, dans un cas ou l’autre, de faire intervenir leurs intérêts d’une façon exagérée, et déclenchant ainsi des conditions éventuellement conflictuelles, et dans tous les cas qui peuvent l’objet de contestation fondées. Mais c’est là un autre débat que celui que nous examinons.)
Ce qui fait absolument la singularité de la situation présente (par rapport, par exemple à 2012 ou à 2018, où les textes cités furent édités), c’est que nous sommes arrivés à un point de fusion de l’affrontement. La raison en est évidente : le bloc-BAO, qui s’appuie sur des “valeurs” qu’il manipule et dont il fait son miel, est parvenu pour lui-même à un piège terrible qui s’est refermé sur lui. Toutes les “valeurs” dont il usait ont pris des proportions énormes et sont devenues totalitaires, pour lui-même et à l’intérieur de lui-même. On le voit évidemment chaque jour dans les situations extraordinaires que les pays du bloc affrontent sur leurs propres territoires, dans leurs propres situations, dans leurs propres pensées sur eux-mêmes, enfin dans leurs propres psychologies qui sont ainsi complètement sujettes aux pathologies les plus extrêmes.
La situation est évidemment très délicate pour les Russes et les Chinois, parce que la réaction des directions du bloc-BAO est une constante surenchère de ces “valeurs”, notamment à l’encontre de Chine-Russie, pour ne pas se démentir, pour tenter de résister à la marée du totalitarisme interne de ces valeurs, – wokenisme et tout ce qui l’accompagne. “La situation est très délicate”, mais il n’y a pas d’autre issue pour les Russes et les Chinois que de tenir ; d’où leur durcissement actuel.
La possibilité que cet affrontement extrême se termine par un conflit armé existe évidemment, et de toutes les façons elle existe depuis longtemps. Mais au plus la situation se radicalise, au plus l’équilibre interne des pays du bloc-BAO est soumis à des tensions qui menacent la paix civile ; ou qui menacent de transformer l’espèce de “guerre civile froide” d’ores et déjà existante en guerre civile tout court ; ou qui menacent la structure de ces pays ; etc... On retrouve évidemment notre équation surpuissance-autodestruction, où les deux dynamiques s’alimentent l’une l’autre, la surpuissance conduisant inéluctablement à l’autodestruction : mais quand, cette autodestruction ? Et de quelle façon, en emportant les autres ou en se suffisant à sa propre autodestruction ?
A ce point où nous nous trouvons, on peut même envisager que l’hypothèse d’un conflit armé en bonne et due forme est de plus en plus contrebattue par la forme actuelle de l’affrontement, qui est culturelle et de communication, et par conséquent psychologique, et se réalisent parfaitement dans le conflit “valeurs” versus “principes”, réalisant ainsi une nouvelle sorte de conflit, totalement hybride et asymétrique, dont il est extrêmement difficile de prévoir le déroulement. On se trouve alors là aussi devant des perspectives énigmatiques mais colossales parce que les forces en présence sont inédites, et d’une puissance jamais vue (notamment pour la communication).
Quoi qu’il en soit, et qu’elles le veuillent ou non, ces deux puissances, Russie et Chine, se trouvent complètement dans la posture antiSystème simplement du fait qu’elles combattent une entité qui constitue absolument l’opérationnalisation ultime du Système. Elles ne s’y trouvent pas parce qu’elles ont un contre-modèle à proposer, ni même parce qu’elles ont choisi cette bataille ; elles s’y trouvent parce qu’il n’y a d’autre choix, parce que les événements ont “réduit” l’affrontement, c’est-à-dire l’ont grandi prodigieusement en le “réduisant” au choix le plus simple du monde et au choix ultime à propos d'être pour ou contre le Système, choix concernant l’effondrement du Système et de la modernité qu’il représente et qu’il prétend défendre.
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