La Russie vient de franchir une étape importante dans son processus de «dédollarisation». Pour la première fois, Moscou voit la part de l’or dans ses réserves de change dépasser celle du dollar. Moscou se place-t-il en précurseur? Fabrice Drouin Ristori, fondateur et dirigeant de Or.fr/GoldBroker.com, répond à Sputnik.
La Russie tente depuis des années de réduire son exposition aux actifs américains. Et Moscou vient de franchir un cap sur ce chemin entamé de longue date. Comme le rapporte un article de Bloomberg dont or.fr s’est fait l’écho, la Russie possède désormais beaucoup plus d’or dans ses réserves de change que de dollars. La part de l’or dans les 583 milliards du pactole de la Russie atteignait 23% fin juin. Quant aux avoirs «made in America», ils ne représentent plus que 2%. Pour se rendre compte de la route parcourue, il suffit de constater que le dollar comptait pour 40% des réserves de change russe en 2018.
«C’est une tendance de fond que l’on a pu observer ces dix dernières années. La Russie est l’un des plus gros acheteurs d’or du monde depuis un certain moment. Le but est d’accumuler un actif totalement neutre politiquement et libre de toute influence», explique au micro de Sputnik Fabrice Drouin Ristori, fondateur et dirigeant de Or.fr/GoldBroker.com et spécialiste du précieux métal.
Moscou s’est avéré un acteur prépondérant dans l’achat d’or ces dernières années. Pas moins de 40 milliards de dollars ont été dépensés en cinq ans afin d’acquérir le précieux métal jaune, selon Bloomberg.
Une stratégie réfléchie
Comme le note le journal américain, l’augmentation des réserves d'or de la Russie a bénéficié d’une flambée des prix du métal jaune de 26% entre juin 2019 et juin 2020. Dans un rapport récent, la Banque centrale russe dit avoir acheté pour 4,3 milliards de dollars d’or au cours de cette période. L’institution a déclaré qu’elle avait mis fin à ses achats d’or au cours du premier semestre de 2020 pour privilégier ses propres exploitations minières et pousser les banques du pays à plus exporter. Le but? Augmenter le pactole de devises étrangères de la Russie dans un contexte de chute des prix du pétrole.
«La stratégie russe prouve bien que l’or est la monnaie utilisée en derniers recours en cas de tensions géopolitiques. La Banque centrale russe sait que l’or est un actif neutre qui sera toujours accepté», souligne Fabrice Drouin Ristori.
Lors du forum de Saint-Pétersbourg, en juin 2019, Vladimir Poutine déclarait ceci: «Il est évident que ces changements profonds [du système financier mondial, ndlr] exigent d'adapter les organisations financières internationales, de repenser le rôle du dollar, qui, après être devenu une monnaie de réserve, s'est transformé en instrument de pression du pays émetteur sur le reste du monde.»
Les choix monétaires de Moscou apparaissent cohérents avec une stratégie au long cours. D’après les données de la Banque centrale russe, la part de paiements en dollars américains dans les exportations de biens et services a chuté de 80 à 68% entre 2013 et 2017. Dans le même temps, la part de l’euro a augmenté et est passée de 9 à 16% et le rouble a grimpé de 10 à 14%. Le mouvement a été moins marqué concernant les importations, la part du dollar passant de 41 à 36%.
La volonté de s’affranchir du dollar se retrouve également dans les ventes d’armes de la Russie. Moscou occupe une grande place sur ce marché avec 21 % des exportations dans le monde, d’après le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri).
En octobre 2018, les autorités russes annonçaient que les systèmes de défense anti-aériens S-400 vendus à l’Inde seraient payés en roubles.
Même le National Wealth Fund, le fonds souverain russe, a diminué ses investissements en dollars en 2020. D’autres devises, comme le yuan ou reminibi chinois, ont été privilégiées. Une décision expliquée par Vladimir Kolytchev, vice-ministre russe des Finances, qui note que «les motifs géopolitiques sont l'un des principaux facteurs qui déterminent la structure des réserves du National Wealth Fund». «Nous nous synchronisons davantage avec la banque centrale», souligne-t-il.
Selon Fabrice Drouin Ristori, l’une des raisons fondamentales qui pousse la Russie a se «dédollariser» demeure les sanctions économiques que Washington multiplie à l’encontre de Moscou. Récemment, les États-Unis ont pris des mesures contre plusieurs entreprises russes notamment liées à la Défense et au renseignement. Une décision qui n’a pas manqué de faire réagir le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov: «En ce qui concerne la question des nouvelles sanctions américaines imposées aux individus et entreprises russes et chinois, cela ne nous étonne pas, les États-Unis adoptent depuis longtemps une politique hostile envers notre pays. Et bien sûr, la réponse suivra, et non seulement en ce qui concerne la symétrie, mais nous tirerons des conclusions supplémentaires qui porteront sur l'ensemble des relations russo-américaines.»
«Les États-Unis ont abusé de leur position»
Un contexte qui n’a pas échappé à Fabrice Drouin Ristori: «La Russie s’écarte du dollar, car elle est la cible de sanctions de la part des États-Unis depuis des années. Moscou cherche à prendre ses distances avec un billet vert politisé.»
((citation))
«La dédollarisation de la Russie apparaît peut-être en pleine lumière aujourd’hui, mais c’est une stratégie entamée de longue date. Moscou sait que l’or revient en force dans le système monétaire. C’est une tendance claire. La Russie se prépare à l’avenir et à un système monétaire fondé sur d’autres actifs que le dollar. Les États-Unis ont abusé de leur position et d’un dollar monnaie de réserve internationale», conclut l’expert.
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