26 janvier 2021

Le soleil se lève à l’Est

Que le lecteur veuille bien considérer ce premier graphique.

 

Il s’agit des taux de change de quatre monnaies asiatiques contre la monnaie chinoise.



On distingue nettement trois périodes.

De 1996 à 2002, pendant la « crise asiatique » c’est du grand n’importe quoi, le FMI est en Asie, les taux de change varient du simple au double en quelques mois, la panique la plus totale règne.
Deuxième période, de 2002 à 2007 et donc avant le déclenchement de la grande crise financière, une certaine stabilité prédomine, qui laisse place à un nouvel effondrement en 2008-2009. La volatilité des taux de change a néanmoins baissé de moitié, d’une période à l’autre.
Depuis 2010, la stabilité est presque totale entre ces quatre monnaies et le Yuan, ainsi que d’une monnaie à l’autre, et toutes ces monnaies sont restées impavides en 2020, alors même que nous étions en pleine crise du Covid. Et la volatilité baisse à nouveau de moitié entre elles sur la période précédente.

Ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire des grimaces : quand je vois quatre monnaies de pays indépendants se mettre à avoir une tres faible volatilité non seulement entre elles mais aussi avec une cinquième monnaie totalement dominante dans la région, je me dis que des banquiers centraux doivent certainement être au boulot.

La réalité est que la Chine, depuis des années, organise une espèce de « serpent monétaire asiatique » comparable à ce qu’était le SME, qui tout en étant complètement non officiel, semble fonctionner à merveille.

En ce qui me concerne, je sais que c’est le cas depuis au moins 2008, et je peux même deviner les arguments qui ont été utilisés par les autorités chinoises quand elles discutaient avec leurs homologues asiatiques. En commençant par l’argument de la rémanence historique : 

  • Vous n’aimez peut-être pas la Chine, mais nous resterons voisins quoiqu’il se passe, alors que les USA peuvent décider de s’en aller. Or, toutes les économies asiatiques sont de fait sous le contrôle de la monnaie US depuis 1945.
  • Le commerce international entre pays est libellé en dollar. Quand Taiwan exporte vers la Corée, ces exportations sont libellées en dollar US.
  • Les financements à long-terme pour les investissements ont lieu en dollar, aucun pays n’ayant développé localement un marché obligataire suffisamment profond.
  • La plupart de ces pays étaient et restent importateurs nets d’énergie (pétrole), lequel est payable en dollar US.

Ce qui met chacun de ces pays dans une situation extrêmement dangereuse si le dollar venait à manquer, comme on le vit en 1998 et encore plus 2008. Dépendre du dollar rendait les économies de tous ces pays inutilement dépendantes de ce qui se passait à Washington. Trop de dollars, et elles avaient un boom, pas assez une profonde récession…

Et donc la Chine est allée voir chacun de ces pays en leur tenant le discours suivant :

Nous n’avons aucune raison de commercer en dollar entre nous, nous devons commercer dans nos monnaies nationales.
Pour que la volatilité des taux de change croisés (par exemple Taiwan contre Corée) reste faible et donc les couvertures de change peu onéreuses, vous allez tous essayer, avec l’aide de la Banque Centrale de Chine (BOC), de stabiliser votre taux de change contre le Yuan, et de ce fait, ils seront tous stabilisés les uns vis-à-vis autres. Stabiliser ne veut pas dire fixer, si vous avez besoin de laisser votre monnaie baisser ou monter, vous êtes totalement libres.

Ce qui veut dire que nous n’aurons plus besoin de dollars pour commercer les uns avec les autres

De mon côté, dit la Chine, je vais créer un nouveau FMI et une nouvelle Banque Mondiale dans lesquels vous serez actionnaires (c’est fait). Si vous avez un problème de financement d’un déficit extérieur, vous venez voir le nouveau FMI et vous n’aurez pas besoin d’aller à Washington comme en 1998 et de passer sous les fourches caudines du FMI, c’est-à-dire des USA. Si vous avez besoin de financement à long terme, vous pourrez passer soit par la nouvelle banque mondiale, soit vous émettrez des obligations à long-terme en Yuan à Hong-Kong (ce qui suppose bien entendu que HK soit sous le contrôle de la Chine, ce qui est maintenant le cas.) Voilà qui vous libérera des diktats de Wall -Street et des raids de ses traders quand vos monnaies sont vulnérables.
Finalement, en ce qui concerne le pétrole, j’ai créé, dit la Chine, un marché à terme du pétrole à Shanghai, où le pétrole est coté en… Yuan, ce qui fait que vous pourrez acheter du pétrole Iranien ou Vénézuélien sans passer par le dollar, mais en vous servant de vos yuans ou de ceux que nous vous prêterons, et les USA ne le sauront pas puisque vous n’utiliserez pas le dollar.

Le but de la Chine est donc très clair : elle ne cherche pas à transformer le yuan en monnaie de réserve, bien au contraire. Elle cherche simplement à sortir le dollar d’Asie

Mais pour que cela marche, il faut que ceux qui auraient trop de yuan puissent les investir librement en Chine, ce qui n’est pas possible puisque le compte capital de la Chine est fermé et le restera.

Qu’à cela ne tienne, dit la Chine, je vais ouvrir mon marché obligataire à tous les étrangers et je suis prête à payer à tous les épargnants du monde un rendement supérieur à celui que sont prêts à offrir mes deux principaux concurrents, les USA et l’Allemagne… Comme ces deux pays sont en train de ruiner leurs épargnants, moi, Chine, je m’engage à ne jamais pratiquer « l’euthanasie du rentier » chère à monsieur Keynes et donc à vous rémunérer convenablement, quoique fasse les deux autres. Ce qui veut dire que la Chine a pris son indépendance monétaire totale vis-à-vis des USA, ce que l’on a vu à l’été 2015 où le Yuan se mit à flotter …

Et c’est ce que montre mon deuxième graphique.

 

Aujourd’hui, il ne faut avoir des obligations qu’en Asie puisque c’est la seule zone géographique où les gouvernements n’essaient pas de ruiner les épargnants.
De même, c’est là où il faut avoir son cash puisque ni la banque centrale Chinoise ni les banques centrales locales n’ont fait marcher leurs planches à billets en raison du COVID, alors qu’aux USA et en Europe les masses monétaires ont quasiment doublé. Si le nombre de dollars double et si le nombre de yuan reste le même, il ne faut pas avoir fait de longues études pour comprendre que le dollar va baisser contre le Yuan.

Et en ce qui concerne les actions, le raisonnement est le même et le mouvement a commencé depuis les débuts de l’euro en 2000, comme le montre mon dernier graphique, ce qui prouve que la rentabilité du capital investi en Asie est très supérieure à ce qu’elle est en Europe.


Depuis 2000, l’Asie ex -Japon surperforme la zone Euro d’un peu plus que 3 % par an et cela va continuer puisque l’Euro est un système monétaire qui ne marche pas, car totalement rigide, alors que la Chine a mis au point un système complétement souple et qui lui marche, à la satisfaction générale.

Dans le fond, cela veut sans doute dire qu’en Europe le système a été monté par des technocrates communistes dans l’âme alors que les technocrates chinois respectent les marchés et ont créé une zone monétaire qui répondait à ce que voulait Deng Xiaoping : « Qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris »

Conclusion

Je ne sais pas si nous allons avoir une crise monétaire majeure en Occident

En revanche, et pour la première fois de ma vie, je me dis que cette éventualité est non seulement possible mais probable.

En tout cas, c’est ce que pense les autorités Chinoises, et elles ont tout préparé pour minimiser les dégâts, et si une grande réinitialisation devait avoir lieu, je suis certain qu’elle n’aura pas lieu en Asie.

Investir en Asie, c’est donc pile je gagne si rien de dramatique ne se produit et face, je ne perds pas, ou beaucoup moins qu’ailleurs.

C’est le genre de situation que j’aime bien.

Charles Gave

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