Les nouvelles recrues policières qui exercent en Ile-de-France sont-elles toutes au niveau exigé par la profession? « Le niveau baisse », s'alarment des membres de jury de concours et des formateurs que nous avons interrogés.
Régulièrement modifiées, les grilles d'évaluation ont été revues à la baisse ces dernières années pour éviter les notes éliminatoires durant la formation des futurs gardiens de la paix. Lors de leurs examens, les policiers peuvent désormais oublier une signature ou la date sur un procès-verbal et ne perdre que quelques points. « Pourtant, c'est une erreur qui entraîne la nullité d'une procédure. Avant, c'était synonyme d'un zéro », constate un membre du jury du concours, aussi enseignant lors de la formation, qui nous a fait part de son expérience.
Régulièrement modifiées, les grilles d'évaluation ont été revues à la baisse ces dernières années pour éviter les notes éliminatoires durant la formation des futurs gardiens de la paix. Lors de leurs examens, les policiers peuvent désormais oublier une signature ou la date sur un procès-verbal et ne perdre que quelques points. « Pourtant, c'est une erreur qui entraîne la nullité d'une procédure. Avant, c'était synonyme d'un zéro », constate un membre du jury du concours, aussi enseignant lors de la formation, qui nous a fait part de son expérience.
«Généralement dans les derniers de leur promotion»
Ce nivellement par le bas des reçus au concours national se répercute directement sur le terrain en Ile-de-France. Car, pour compenser les nombreuses mutations de policiers aguerris quittant la région parisienne, attirés par le cadre de vie et le prix de l'immobilier de la province, plusieurs centaines de ces nouvelles recrues sont affectées chaque année dans la capitale et sa banlieue. « Et ceux qui arrivent dans les commissariats franciliens sont généralement dans les derniers de leur promotion. Beaucoup de candidats sont en effet des provinciaux qui préfèrent rester près de chez eux lorsqu'ils le peuvent, c'est-à-dire quand ils sont bien classés et peuvent choisir leur poste », reconnaît un cadre du ministère de l'Intérieur.
« Chaque année, entre la moitié et les deux tiers des postes à pourvoir au concours sont situés en région parisienne », affirme, chiffres à l'appui, un responsable de la Direction générale de la police nationale.
« Chaque année, entre la moitié et les deux tiers des postes à pourvoir au concours sont situés en région parisienne », affirme, chiffres à l'appui, un responsable de la Direction générale de la police nationale.
«Il manque des effectifs dans beaucoup de commissariats»
Crise de vocation ? Même pas. Besoin pressant d'effectifs surtout. En 2012, près d'un candidat sur 50 était reçu au concours de gardien de la paix. Mais dès 2013, ce ratio est tombé à près d'un sur cinq. Car près de dix fois plus de postes ont été ouverts pour un nombre de postulants sensiblement égal.
Et ce constat est toujours en vigueur : en 2020, 19546 candidats se sont inscrits en France pour 3631 postes. « Avec un tel ratio, il ne faut pas s'attendre à faire un réel tri », soupire un juré. En un an, entre 2018 et 2019, la note moyenne pour les candidats externes a baissé de près d'un point (12,69/20 à 11,43/20). « Et encore, cette moyenne générale est compensée par les très bonnes notes des candidats surdiplômés que l'on voit arriver depuis peu, note un formateur. Maintenant, c'est près de 20 % des inscrits. »
Un rapport du Sénat de novembre 2019 pointe ce problème. Il « s'inquiète de la capacité des forces de sécurité à réaliser, au cours des prochains exercices, les schémas d'emplois prévus (NDLR : les recrutements) sans abaisser de manière trop importante la qualité du recrutement ». « Si les viviers de recrutement venaient à ne pas être suffisamment renouvelés d'ici la fin du quinquennat, il importerait que soient réexaminés les objectifs annuels de créations de postes afin de ne pas abaisser irraisonnablement le niveau des incorporations en école », est-il écrit dans ce rapport.
«C'est du niveau collège»
« Le niveau des moins bons admis n'a fait que baisser au fil des années, soupire un membre du jury. On doit honorer la commande, il manque des effectifs dans beaucoup de commissariats… Et Emmanuel Macron a promis 10.000 agents durant son mandat ( NDLR : en incluant aussi les gendarmes ). On va y parvenir, mais à quel prix… »
Les derniers de la liste des reçus n'ont pas toutes les qualités requises pour exercer ce métier selon les jurys que nous avons interrogés. « Il y a encore cinq ou six ans, on n'aurait pas pris en dessous de 9/20, depuis deux ans on descend à 7 ou 8/20, assure un autre formateur. 12 c'est déjà très moyen, alors 7… C'est du niveau collège. »
«Ils perdent facilement leurs moyens et deviennent agressifs dans une discussion»
Selon les formateurs, la maîtrise de la langue et de l'écrit est particulièrement préoccupante. « Sur l'orthographe, ça concerne deux ou trois candidats sur une classe de 35, mais quelquefois on est à la limite du phonétique », assènent deux formateurs. Ces manques se retrouvent aussi à l'oral. « Une part des stagiaires ne sait pas s'exprimer clairement, appuie un troisième formateur. Ils perdent facilement leurs moyens et deviennent agressifs dans une discussion car ils n'ont pas le langage suffisant pour argumenter. »
Sur le plan du comportement aussi les formateurs s'alarment. « Il y a un problème d'implication, on tombe parmi les élèves sur de jeunes adultes qui sortent pour la première fois du cocon familial, souffle un formateur. Et quand ils n'aiment pas un domaine ou ne le maîtrisent pas, ils abandonnent. » Certains élèves se rendent compte aussi qu'ils ne seront pas dans les premiers et seront affectés certainement en Ile-de-France. « Ça leur fait peur, ils lâchent prise et ne se projettent pas dans leur métier », relate un troisième, qui veut tout de même rester positif : « Il reste heureusement des élèves super motivés, brillants ou pas, mais qui se fichent de leur classement pour l'affectation et cherchent juste à apprendre et comprendre. »
Une condition physique pas toujours au top
Plus surprenant, le niveau sportif aussi est décevant. Selon ces formateurs, des candidats contournent les épreuves physiques du concours, notamment les ADS en interne, qui présentent un certificat médical justifiant une blessure. « Il y a même des faux », assure un formateur également juré. « Et sur le test d'endurance exigé, des stagiaires affichent des performances en deçà de la moyenne d'un ado en classe de 6e, lâche un formateur. Ils devraient être inaptes et malgré cela, ils sont aujourd'hui policiers. »
« On a de plus en plus de stagiaires en surpoids, renchérit un autre. Et quand on aborde les exercices de maîtrise d'un individu lors d'une interpellation, certains se mettent en danger par manque d'entraînement physique. Des contrôles peuvent déraper à cause de ça. »
Une formation réduite de 12 à 8 mois
Et les carences du concours ne sont pas rattrapées durant la formation offerte aux lauréats. « On a même réduit la formation théorique de douze mois à huit mois, cela permet de gagner une ou deux promotions sur un quinquennat, avancent deux formateurs. Ça défie toutes les règles pédagogiques, il n'y a plus de qualité d'apprentissage. »
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a lui-même reconnu début décembre devant l'Assemblée nationale « une erreur fondamentale », celle d'avoir raccourci les délais de formation depuis juin, de douze à huit mois, pour que les élèves gardiens de la paix soient au plus vite opérationnels. « Ce n'était pas un bon calcul », a admis le ministre.
Sur la promotion 2020, plusieurs signalements ont été remontés par les formateurs. « Près de 150 stagiaires n'avaient ni le niveau d'implication, ni le bagage physique, technique ou intellectuel pour devenir policier », avance un cadre de la formation. Pourtant, seulement huit exclusions et deux redoublements ont été enregistrés. Douze futurs gardiens de la paix doivent encore passer devant la commission de discipline.
«Des élèves ayant commis des délits ont même été admis»
« On aimerait qu'un candidat qui ne nous satisfait pas ne puisse pas devenir policier. Mais la formation coûte cher à l'Etat, alors pour refuser un élève, il faut vraiment que son cas soit gratiné », confie un formateur. « Sur les dernières promotions, des élèves ayant commis des délits ont même été admis », assure un autre.
« Le jury reste souverain mais, alors que j'applique les grilles d'évaluation, on me dit que je suis trop sévère », appuie un troisième, qui rappelle que désormais « les fautes d'orthographe ne font plus perdre de points ». Ces formateurs sont même incités à se montrer cléments : « On doit s'expliquer quand on met de mauvaises notes. Indirectement, si on ne veut pas avoir de compte à rendre, il vaut mieux fermer les yeux, cela évite d'avoir des problèmes. »
De toute façon, la plupart des recalés à l'issue de la formation ayant effectué un recours au tribunal administratif ont obtenu gain de cause et été réintégrés. « Ils ont réussi le concours, ils sont donc en position de force. Notre administration protège, c'est bien, mais parfois trop », admet un officier de la Direction générale. « L'objectif, c'est de les convaincre qu'ils ne sont pas faits pour ça, qu'ils vont se mettre en danger eux, leurs collègues et la population, reprend un autre formateur. Pour qu'ils ne s'accrochent pas en faisant appel. »
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