25 novembre 2020

Le troisième corps du roi



Je vous rassure aussitôt, comme je me rassure moi-même. Je n’ai pas vu l’allocution de Sa-Grandeur, mais j’ai pu reconstituer par des bribes, vidéos diverses, homélies, son climat, ses grandes lignes, ses thèmes centraux. D’ailleurs, on nous avait tout dit, c’est dire, pour ainsi dire.

J’ai vu tout de même, en direct, et un peu par hasard je l’avoue, le tout-début, lorsqu’on entend La Marseillaise sur fond de l’Élysée se rapprochant, avec son superbe drapeau aux trois-couleurs, qui claque, qui claque, qui claque, peut-être bien au vent des “quarante rois qui ont fait la France”...

Et là, je me suis dit... Non, rien du tout, rien dit finalement, juste sans voix.

J’ai zappé, comme je fais avec un des jeux du gentil Nagui, en fait occupé par autre chose, avec le choix pour ces occupations pressantes entre manger un morceau de chocolat et boire un bon grand verre d’eau bien chlorée. Et puis, le temps passa.

Un moment venu, je ne sais quand, comme quelque chose vous vient à l’esprit, venu d’on ne sait où. C’était l’idée qu’il y avait finalement là-dedans et là-dessus, quelque chose d’énormément grotesque, ou de grotesquement énorme, un peu comme une déclamation-bouffe. Après tout, ce personnage, ce type, est le président de la République Française ; une personne avec le doigt sur l’arme nucléaire s’il le faut ; un personnage élu, investi, légitimé et souverain, avec son corps terrestre soudain investi par la Corps Céleste du Roi de Droit-Divin qui régna si longtemps sur le grand Royaume de France. Eh bien, je m’aperçois à l’instant que a Macron a réussi à nous fabriquer un troisième corps du Roi.

Car tout de même, mesurez les actes et les paroles, pesez les choses, et réalisez de quoi il s’agit. Mon zapping, je sais bien d’où il vient ; devoir me taper, pas d’autre mot, le nième discours du Roi (combien ? Cinq, six, sept, je ne sais plus moi), sur le sujet de la pandémie, du port du masque, du nombre de personnes qui peuvent se rassembler, et puis bien se laver les mains n’est-ce pas, respecter la ‘distance sociable’ et ‘sociale’ à la fois, parler court, peut-être par idéogrammes, pour limiter les postillons chargés de virus affreux comme l’est un B-52 de cluster-bombs.

(Tiens, savez-vous que la fortune du mot cluster si souvent utilisé par nos soignants vient de cette bombe chargée de petites bombes très méchantes et meurtrières, qui coupent les jambes facile, qui s’éparpillent au moment de l’explosion, – cluster-bomb aujourd’hui interdite par traité, sauf pour les sachants-américanistes qui s’en tapent comme du reste et continuent à larguer leurs bombes humanitaires.)

Vous comprenez, je suis d’un temps où un général en guise de président prenait la parole pour vous annoncer le 16 septembre 1959 qu’on allait auto-déterminer en toute humanité gaulliste l’Algérie, en avril 1961 pour crier « Aux armes, citoyens ! » contre les mercenaires d’un «quarteron de généraux à la retraite », en 1966 (l’OTAN), le 30 mai 1968, etc. Les successeurs suivirent cahin-caha ce chemin. Je me rappelle les derniers vœux d’un Mitterrand mourant, crapule avérée atteignant à cet instant tragique aux plus grandes hauteurs avec son «Je crois aux forces de l’esprit ».

Et puis là, vraiment, non ; le petit-soignant à portée de tous, qui vient vous prendre votre température, après avoir lancé son « Aux armes, citoyens ! », en talons aiguille et en consultant son smartphone. Ainsi ai-je assisté, sans m’en douter sur le moment, à la naissance du troisième corps du Roi, le corps postmodernisé, tweeté, upstarté, SUVifié, LGTBQuisé. Le bébé se porte bien, il sait déjà chanter La Marseillaise, vous savez ce dernier succès considérable du rap des quartiers des banlieues toujours si difficiles mais bientôt réintégrés, grâce à la prochaine livraison de migrants, dans la glorieuse République.

Vous savez, je ne suis pas de ces cyniques qui se désintéressent des morts du Covid ; ni de ces complotistes qui complotisent, ni de ces Marseillais qui montent des insurrections contre les jalousies parisiennes en chantant (What else?) La Marseillaise. Tout cela, c’est une autre histoire, et vous comprenez bien que ce n’est pas de celle-là que je veux parler.

Je me rappelle de ce pote-banquier, des Rothschild boys, qui voulait devenir Délégué pour les Ressources Humaines de l’upstart nation, puis qui avait découvert Jupiter, là-bas, vers le haut, tout en haut, dans une station sympa qui s’appelle Olympe. Il s’y était hissé tour après tour, jurant qu’ainsi il se grandirait et qu’il grandirait à mesure, et entraînerait avec lui ce pays branlant et trébuchant vers de grandioses destinées européanisées et globalisées. En un sens, il voulait se hausser et nous hausser du col, à la fois, – alors ce n’est pas un mauvais bougre, mais quoi, on est ce qu’on est...

Il a réussi son coup, en pleine inversion, à force de travail, parvenant dans un effort surhumain et herculéen à abaisser la fonction à un niveau de basse-cour qu’on jugeait inatteignable, au troisième ou quatrième sous-sol, là où se font les basses-œuvres. Lorsque la Légitimité et la Souveraineté deviennent deux personnages en quête d’auteur, des articles en super-solde camouflés parmi d’autres un jour de Black Friday, on se dit que le spectacle est terminé et qu’il ne reste plus qu’à rentrer chez soi, en-confinement volontaire, comme un très-bon petit soldat.

Il tente bien de vous retenir, proclamant « The Show Must Go On ». Si vous n’êtes pas trop fatigué, vous lui répondez, sans mépris ni hostilité particulière, comme on secoue sa veste et comme Montherlant : « Va jouer avec cette poussière. »


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