Je ne cacherais pas que le rôle des SR britanniques (MI5 pour la sécurité intérieure, MI6 pour le renseignement extérieur) ces quinze-20 dernières années, et surtout sinon essentiellement leur rôle dans les coups fourrés au Moyen-Orient et contre les Russes notamment, – false-flag, hoax, ‘révolutions de couleur’ et autres spécialités culinaires, – a souvent attiré mon attention et provoqué un certain étonnement, voire de la déception. Cette fois c’est-à-dire une fois encore, avec le cas Navalny-Novichok, la bande MI5-MI6, même si pas directement impliquée, est présente comme inspiratrice dans un de ces montages dont on a vu qu’ils épuisent les « narrativologues » par leur grossièreté, leur amateurisme brutal.
“Étonnement, voire déception”, ai-je écrit, parce que j’avais pour ces ‘services’ une assez haute estime, disons professionnelle, je veux dire pour leurs capacités professionnelles. Aujourd’hui, ils travaillent comme des cochons, sans souci de l’art et de la finesse, en traficotant des coups gros comme des maisons et comme le nez au milieu du visage de Tony Blair.
... Car, bien entendu, ce n’est pas un hasard mais un artifice de transition, si je cite le nom du frétillant Tony.
Auparavant, les ‘services’ britanniques avaient comme un aura de stratégie frôlant presque le spirituel. Ce n’est pas pour rien que le Lawrence des Sept Piliers de la sagesse était un officier de l’Intelligence Service, comme on appelait alors cette chose glorieuse. Il y a quelques années, avant le 11-septembre et avant que le beau-Tony ait sévi, une source, comme l’on dit, un officier de la DGSE parlant à un journaliste sans le compromettre, observait entre deux pousse-cafés et à mon intention, que « Les British ont toujours eu un faible pour les Arabes, ou disons pour les musulmans, oui les gens du Moyen-Orient avec leur religion... Un jour, une relation du MI6, – vous savez, on se parle, entre nous, – me confia avec un demi-sourire que c’était le MI6 qui avait sauvé le régime des ayatollahs et des mollahs à son origine, en filant aux services de police du nouveau pouvoir, au début des années 1980, tout l’organigramme identifié du parti Toudeh, le parti communiste iranien qui était la principale menace contre le régime islamiste. Les mollahs ont liquidé le Toudeh en quelques jours... »
Ma “source” poursuivit en précisant qu’il (elle) avait évidemment demandé à son pote du MI6 “pourquoi ?”. L’autre avait répondu, même demi-sourire passé en mode énigmatique qui en disait assez long : « Comme ça...» ; puis ajoutant, avec une précipitation nonchalante (seuls les Britts arrivent à faire ça, ‘précipitation nonchalante’) et sans trop d’inquiétude : « Bien sûr, la CIA n’en a jamais rien su... Et si un Français le lui disait, la CIA penserait aussitôt que la France veut saboter nos belles ‘special relationships’ en inventant un canard. »
Au reste, durant les années 1990, notamment en ex-Yougoslavie, au moins jusqu’en 1996-97 (arrivée de Blair), la coopération entre Français et Anglais était vraiment excellente, et notamment au niveau du renseignement et au niveau militaire. Blair hésita un peu à poursuivre dans cette voie (l’accord de Saint-Malo), avant d’effectuer un virage serré pour opter à fond pour les guerres néo-impérialistes et humanitaristes (Kosovo puis Irak, etc.) qui le plaçait directement en supplétif de Washington D.C. Il avait sa feuille de route et sa gamelle à lécher assurée.
Les ‘services’ devaient être mis au pas en fonction de ces événements subreptices. On vit bien l’orientation que prenait la doctrine blairiste lorsque Blair envoya à l’OTAN, au siège d’Evere, pendant la guerre du Kosovo, toute son équipe de spin doctors sous la direction de son conseiller préféré Alastair Campbell, pour prendre en main la ‘communication’ de la susdite Organisation ; c’est-à-dire, construire des narrative pour la presse et ainsi ouvrir une nouvelle ère du conflit armé, comme on l’a observé sur ce site, raconté sinon romancé, et dit à plusieurs reprises et de plusieurs façons.
Mais il fallut, nous semble-t-il et comme cela semble logique, un certain temps pour transformer le renseignement anglais en une bouillie de chat à la sauce américaniste. Je m’appuie sur deux films à cet égard, tournés vers la même époque (2007-2009), peu après le départ de Blair, et qui nous disent je crois bien beaucoup de vérité sur la transformation des services de renseignement britanniques et sur l’époque Blair.
• L’un est plutôt un téléfilm britannique, faisant partie d’une trilogie, mais à mon sens les un ou deux autres films de la série sont moins intéressants (je n’en ai vu qu’un autre, et ne sais rien d’un troisième). Il s’age de Page Eight (‘Page huit’), qui propose une intrigue au cœur du MI5, avec un analyste qui s’oppose au pouvoir politique pour ce qui concerne un changement de méthode impliquant un engagement plus serré avec les USA. L’analyste, qui possède des documents compromettants, affronte directement le Premier ministre.
• L’autre est le film The Ghost Writer (les Français emploient le mot “nègre” pour désigner cette fonction mais on comprend que cela ne serait pas convenable, aussi fermons-nous précipitamment la parenthèse avant que l’Inquisition ne se pointe et comprenons-nous que le titre en anglais face l’affaire en France). Dans ce film de Roman Polanski, un ancien premier ministre britannique engage un Ghost Writer ( ??!!) pour écrire ses mémoires. Tout cela tourne très mal : l’ancien PM est poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité, se fait abattre, etc. Avant d’être liquidé par qui de droit, le Ghost Writer ( ??!!) découvre que le Premier ministre collaborait complètement avec la CIA, quasiment un enfa nt naturel de la Compagnie.
Dans les deux cas, effectivement, les deux PM sont compromis avec la CIA, notamment et justement tous les deux avec les vols dits d’Extraordinary Rendition de la CIA, impliquant des séjours de torture de leurs prisonniers dans des pays étrangers, dont l’Angleterre dans ce cas. Dans les deux films, il est évident que le PM renvoie à Tony Blair, et que le Premier ministre double ses services de renseignement pour ce type de besogne, traitant directement avec les amis de Langley/Washington ; et il paraît très probable qu’il s’agit d’une référence à une situation bien réelle, peut-être pour les deux films à partir d’indications extérieures très précises (peut-être à partir d’un Alastair Campbell qui, après la fin du mandat de Tony Blair, eut à affronter une profonde dépression). Dans Page Eight, il est manifeste que l’affrontement décrit implique une purge générale du MI5 (et du MI6) pour introduire de nouvelles missions, de nouvelles méthodes, notamment avec des liquidations sommaires, des tortures, des montages faussaires, des manipulations de la presse, etc.
Sans en avoir aucun certitude factuelles, c’est-à-dire aussi peu de preuves que les gouvernements du bloc-BAO ont de la culpabilité de Poutine dans l’affaire Navalny-Novichok, j’ai le sentiment qu’il y a eu effectivement, directement sous l’impulsion de Tony Blair avec l’aide de ses spin doctors de la communication (Campbell), une purge et une refonte complète des ‘services’, pour en faire des instruments commodes pour des false flags, des liquidations, etc. Cela a impliqué des changements importants de personnels, avec l’introduction d’agents venus du privé et un accent hystérique mis sur la communication, le simulacre, la dissimulation, etc.
D’où la prolifération de documents d’une grossièreté incroyable, mais pourtant présenté comme ‘confidentiel’. Cela commença avec l’affaire irakienne, et cela s’est multiplié depuis, les Britanniques paraissant être les plus souvent sollicités pour transmettre des faux documents aux renseignement US, dans une tentative de créer une sorte de situation crédible de coopération entre les services des deux pays pour satisfaire les exigences d’un simulacre de communication, pour la presseSystème, pour le Congrès et pour la mystique de la Grande République et sa très-chère CIA.
C’est le cas du document communiqué par Jonathan Steele dans le cadre du Russiagate contre Trump et de la grotesque enquête du procureur spécial Mueller. Steele est sans doute un ancien officier ou collaborateur extérieur du MI5 ou du MI6. Son document est d’une incroyable grossièreté alors qu’il est présenté comme ‘confidentiel’. C’est l’exemple-type des documents qui circulent actuellement dans les diverses opérations de montage et de simulacre de ces agences de renseignement qui sont devenues des sorte de sociétés sécuritaires, spécialisées dans la relation publique, la manipulation médiatique, et diverses basses besognes de corruption, de tortures, de liquidation, etc.
L’impunité avec laquelle ces opérations de purge et de changement des SR britanniques (et de beaucoup d’autres dans le même sens, certainement aux USA), mais aussi et par contraste la baisse du niveau qualitatif des services offerts témoignent d’une grossière perversion de ces ‘services’. Cet état de chose participe très fortement à l’état de médiocrité, d’impuissance et de paralysie des gouvernements, et plus encore, ne cesse de les aggraver.
Il s’agit d’un élément qui concerne particulièrement les services de renseignement anglo-saxons, dans une occurrence telle qu’on peut se demander si la chose ne joue pas un rôle important dans l’évolution des situations intérieures UK et (surtout) US, et n’est pas appelée à jouer un rôle encore plus important. Mais cela existe aussi pour nous, nous qui ne résistons pas au “modèle” anglo-saxon. Cela fait réaliser que nos dirigeants ont des renseignements qu’ils ont eux-mêmes calibrés à leur convenance, en orientant les services et les dotant du personnel qui va bien, pour avoir à leur disposition une image du monde qui corresponde à leurs fantasmes et aux simulacres qu’ils affectionnent.
Ces gens-là, nos dirigeants et élites-Système, ce sont eux qui sont dans la caverne de Platon, avec des lunettes de sommeil.
Philippe Grasset
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