30 septembre 2020

La covirrida , le macrontador, et la tauromachild



La corrida est un truc que je n’aime pas, sans plus. Je me fous un peu que le brave taureau en bave, c’est pas plus qu’en nature, face à un lion qui éventuellement commence à le bouffer vivant, ou à un varan de Komodo, qui le mordrait et le suivrait pendant que la blessure s’infecte et que le taureau s’affaiblit, s’épuise, se couche et meurt. Je m’en fous un peu mais j’en ai vu une à 18 ans et j’ai pas aimé, c’est violent et moche, et assez stupide. En plus, l’un des taureaux était blanc, et vraiment ça saignait beaucoup, pas la belle teinte cuivrée luisante qui séduisait sans doute Hemingway, non, simplement rouge. Rouge sang, tiens. C’est pas la souffrance de l’animal, qui me gêne, c’est le fait qu’il n’a aucune chance et que les gens se réjouissent. La mort n’est jamais un beau spectacle.

Mais bon, ça se déroule toujours pareil. Le taureau fougueux (ou pas, d’ailleurs) s’énerve contre des imbéciles en costumes coloriés et ajustés pour bien mouler les génitoires, qui manient des capes roses et jaunes. Il fonce là-dedans comme un con, manifestement ça l’énerve qu’on vienne comme ça le faire chier. On ne s’installe pas sur le terrain d’un gaillard couillu comme lui.

Ensuite, ça s’aggrave. Un autre colorié pailleté arrive monté sur un cheval équipé d’œillères et enveloppé de dunlopillo. Il est muni d’une énorme pique à pointe acérée. Le taureau n’est pas au courant, il fonce sur ce couple infernal et hop, il se prend la pique dans le cou. C’est le jeu : il faut lui faire horriblement mal au cou pour qu’il mette moins d’énergie à lancer les cornes vers le haut en cherchant à se défendre. Quand il a la base du cou et les épaules bien poisseuses de sang cuivré (poésie farouche et sauvage) après deux ou trois coups à déchiqueter un bras humain, le cavalier se barre et on fait la place aux tortionnaires, les braves qui vont piquer toujours au même endroit, haut des épaules et base du cou, six harpons joliment appelées banderilles et entortillées de rubans et dentelles à la con, mais ce sont juste de lourds harpons qui restent plantés et torturent la viande en se ballottant au rythme des mouvements du « fauve ».

La bête est désormais ravagée de douleur et donc handicapée pour écarter un ennemi ou d’ailleurs pour le fuir, mais le taureau ne fuit pas, son instinct lui dicte de dégager ceux qui viennent l’emmerder. Et c’est par conséquent le moment choisi pour faire entrer le tueur. C’est comme ça que ça s’appelle, en espagnol : matador, substantif du verbe matar, tuer. On se fait de la poésie exotique en gardant ce nom étranger qui sonne comme l’or des Amériques, mais le vrai c’est tueur. Simplement tueur.

Tout fiérot dans son costard multicolore ajusté, il trimbale une épée qu’il camoufle dans la muleta, un grand torchon rouge (en espagnol, pour des raisons que je ne parviens pas à m’expliquer, muleta signifie béquille…). Il agite l’ensemble devant le pauvre bestiau qui commence à fatiguer (c’est le but) et qui, avec son QI de 20 ne comprend pas que ce qui l’emmerde c’est les deux pattes et non pas le torchon. Tous ces mouvements s’appellent des passes ; parfois, coup de chance, la corne du taureau tape dans le bonhomme, et le spectacle s’arrête là, mais c’est rarissime.

Au bout de dix-quinze minutes à se lancer contre le torchon qui s’écarte, le bestiau est épuisé, essoufflé, sanguinolent, bouffé de douleur, rongé d’exaspération, la tête baissée pour avoir moins mal en haut du dos, les pattes avant démolies par la douleur aux épaules. Souvent il s’arrête, il doit se dire je vais me tirer d’ici, ce connard va rester, tant pis faut que je me couche, ça me fait trop mal. Et c’est à ce moment, dans une posture solennelle, que le tueur dégage l’épée du torchon, se plante devant la bête hors d’haleine, et la lui enfonce jusqu’à la garde au ras de la colonne vertébrale, avec la certitude de crever un poumon et, avec de la chance, de trancher l’aorte ou de transpercer le cœur, ce qui met un terme immédiat aux réjouissances. Mais il faut parfois (souvent) qu’il s’y reprenne à plusieurs fois, il était ps dans le bon axe, il a touché une côte ou seulement écorché un poumon. Je me souviens plus des détails, mais c’est lamentable. Une épée spéciale pour finir, ou le descabello, une sorte de poignard pour piquer derrière la tête et couper les circuits nerveux, la bête s’effondre. Les gens sont contents. Le taureau aussi : en signe d’hommage, s’il a été brave, son cadavre bouffé d’acide lactique et d’adrénaline fait glorieusement le tour de l’arène, tiré dans le sable par des chevaux. Avant, pour récompenser le tueur qui est un gars à plaisirs simples, on lui a éventuellement coupé les oreilles et la queue. Que du bonheur !

Prochainement, si j’y arrive, je vous raconterai comment le covide n’est qu’une covirrida dans la vaste discipline de la tauromachilde, un spectacle pour riches. Chez nous, le tueur est le macrontador. Pensez-y un peu : nous sommes le taureau, l’immense majorité de nos peuples n’a pas la moindre idée qu’on puisse vouloir le détruire. Des organisateurs de plaisirs de luxe ambiance mise à mort de toute beauté, les taurotchild, ont lancé une covirrida.

Le confinement, c’était les piques. On s’en est sortis fatigués, beaucoup à demi-ruinés. Calme apparent. Et puis sont arrivées les banderilles, on en est là : confinement par ci, interdictions par là, amendes, restrictions, fermetures… Le taureau lance de vagues coups de corne, ne comprend pas, les troquets marseillais râlent, les péones (la flicaille) vient fermer et dresser procès verbal. Les faillites s’accumulent. Les médicastres fous exigent le masque, la distance. Une économiste prénommée Esther ((())) demande un confinement général de 3 semaines avant Nowel. J’imagine que Hanouka n’est pas tout à fait à la même date, donc. Y’a qu’à regarder si les chandeliers s’exhibent, on saura.

Stratégie de la tension : les gens sont terrorisés, redoublent de masques et de délation. Le pays va crever.

Le macrontador a justement été élu pour ça. Avec sa bénédiction, on va sortir l’épée du vaccin.

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